Le devoir de conseil du notaire mis à rudes épreuves

La mission du notaire est double : d’une part il a une fonction d’authentificateur, en d’autres termes il donne la forme authentique aux conventions des parties, d’autre part il est un conseiller pour ses clients.


Le devoir de conseil incombant au notaire consiste à éclairer les clients sur le contenu et les effets des engagements qu’ils ont souscrits. Il réside en un avertissement donné aux parties sur la meilleure façon d’exercer leurs droits et sur les conséquences de cet exercice. Le devoir de conseil, à la différence du devoir d’authentification, ne possède en effet aucune définition légale. Nul texte précis ne vient, dans ce domaine, indiquer les obligations du notaire si bien que le devoir de conseil, mis au point peu à peu par la jurisprudence, a fini par prendre une importance considérable au sein de la responsabilité notariale. Le devoir de conseil représente plus qu’un simple devoir d’information. La jurisprudence a fait de ce devoir, l’élément fondamental de la responsabilité notariale. Le domaine d’application du devoir de conseil est très précis. En effet il ne met pas uniquement à la charge du notaire une obligation de recherche et d’information. Le notaire doit d’une part assurer la validité des actes qu’il reçoit et d’autre part permettre leur efficacité.

 

L’étude de la jurisprudence de la Cour de cassation rend compte de l’importance du devoir de conseil quant à sa consécration et à ses limites. Ce devoir est une création prétorienne mais ses limites résident en son absence de définition légale.

 

Cette absence de définition légale suscite des difficultés  d’interprétation pour les officiers publics  notamment en raison des évolutions jurisprudentielles qui ont supprimé au fil du temps tous les facteurs d’atténuation pour ne conserver que les facteurs d’aggravation. Désormais le champ d’application du devoir de conseil est très étendu et la Haute juridiction a fait de ce devoir un devoir absolu. L’absolutisme de ce devoir est strictement contrôlé par la Cour de cassation qui retient dans de nombreuses hypothèses la responsabilité du notaire.

 

Auparavant, il existait des facteurs d’atténuation à la mise en œuvre de cette obligation. En effet, la compétence du client ou la présence d’un conseiller aux côtés du client pouvaient modérer ou annihiler l’obligation de conseil qui pèse sur le notaire.  En effet, avant 1995, la Cour de Cassation admettait que les compétences personnelles du client pouvaient écarter le devoir de conseil du notaire. Ainsi un client compétent avec les connaissances juridiques suffisantes pour comprendre les difficultés qui pouvaient apparaître, n’était pas admis à se transformer en profane pour la cause.

 

Les juges considéraient que le devoir de conseil était fait pour protéger ceux qui avaient besoin de protection. Il n’obligeait pas le notaire à fournir automatiquement toutes les informations envisageables mais seulement celles qui étaient nécessaires dans le contexte particulier de chaque affaire. De nombreuses critiques ont été faites laissant apparaître une responsabilité à deux vitesses et une certaine forme de discrimination parmi les clients.

 

Ces critiques ont été entendues par la haute juridiction, le revirement de jurisprudence a été total. A présent, le notaire n’est plus déchargé de son devoir de conseil par les compétences personnelles de son client.

 

L’obligation de conseil pour le notaire pouvait se voir également diminuer par la présence qui lui était imposée par son client d’un autre conseiller (un avocat ou un autre notaire).

Lorsque la présence d’un conseiller permettait d’affirmer que le client avait été informé, le notaire se trouvait déchargé de son devoir de conseil.

 

le petit juriste notaire

 

Cependant suite à de nombreux revirements jurisprudentiels, on a assisté au renforcement du caractère absolu du devoir de conseil où les cas d’exonération pour le notaire restent exceptionnels. Le devoir de conseil est considéré comme un devoir professionnel impératif dont rien ne saurait dispenser les notaires car il fait partie intégrante de l’exercice de la fonction notariale.

 

Le caractère constant et absolu du devoir de conseil a été mis en évidence pour la première fois dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 21 juillet 1921 : « les notaires, institués pour donner aux conventions des parties les formes légales et l’authenticité qui en est la conséquence, ont également pour mission de renseigner les clients sur les conséquences des engagements qu’ils contractent, responsables en vertu de l’article 1382 du Code civil, ils ne peuvent stipuler l’immunité de leurs fautes et par suite décliner le principe de leur responsabilité en alléguant qu’ils se sont bornés à donner la forme authentique aux conventions des parties ».

 

Toutefois, tel n’est plus le cas à présent, le notaire doit remplir son obligation de conseil dès lors que son intervention est requise. En effet, ce devoir s’accompagne pour toute rédaction d’actes, authentique et sous seing privé. Le notaire est obligé de conseiller ses clients tant qu’il peut se prévaloir du titre de notaire.

 

C’est à partir du 28 novembre 1995, que la Cour de cassation a commencé à appliquer le principe du caractère absolu du devoir de conseil avec constance.  Elle confirme sa volonté de poser cette solution comme un principe. Elle précise que la faute notariale consiste en un manquement à l’obligation d’assurer la validité ou l’efficacité de l’acte.  Le devoir de conseil connait une extension notoire, en d’autres termes, tout manquement au devoir de conseil engagera la responsabilité professionnelle du notaire. Les principes régissant la matière relèvent du droit commun de la responsabilité. Ainsi, la responsabilité notariale ne pourra être retenue dès lors que les juges auront constaté l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

 

Les évolutions jurisprudentielles soulignent la sévérité des sanctions du non-respect du devoir de conseil. Cette rigidité prétorienne est constamment réaffirmée et de plus en plus élargie, en effet, le client pourra désormais engager très facilement la responsabilité notariale.

 

Cette responsabilité est mise à rude épreuve notamment en raison des imprécisions et des confusions des concepts. Les officiers publics ne savent plus où se trouvent les limites de cette obligation et la Cour de cassation n’est pas suffisamment précise sur la définition de ce devoir.

 

On assiste donc à une inflation du droit de la responsabilité civile des officiers publics. Leur responsabilité s’est profondément modifiée, car aujourd’hui les individus sont focalisés sur la protection de leurs biens et de leurs droits.

 

Les victimes ne sont plus résignées, elles exigent réparation. Cependant, parmi les professions libérales, la profession notariale semble plus touchée que les autres par cette inflation certaine et continue de la responsabilité, la consultation de la jurisprudence en témoigne.

 

Cette inflation de la responsabilité notariale peut s’expliquer par des raisons classiques du développement de la responsabilité civile, tels que le changement des mœurs, l’absence de résignation chez les victimes, l’accessibilité plus grande à la justice et le progrès des assurances. Les autres facteurs de cette inflation sont propres à la profession en raison du caractère original de la fonction assumée par les notaires.

 

La profession notariale est en effet une profession complexe et étendue, d’une haute technicité, dotée d’un statut particulier qui la différencie des autres professions juridiques. La responsabilité qui en découle a donc suivi le développement de cette fonction ; elle s’est affinée et alourdie au fur et à mesure que la profession s’organisait et se particularisait.

 

Ce que cette étude nous a finalement révélé, c’est la nécessité de définir le devoir de conseil et de préciser les contours de la faute notariale pour manquement à ce devoir. Il serait plus évident de distinguer d’une part les obligations substantielles relatives à la réalisation de formalités nécessaires à la rédaction de l’acte et d’autre part l’obligation de conseiller les parties sur les choix et les risques de leur projet. De plus, il est important de rappeler que la finalité du devoir de conseil est de conseiller les parties contractantes et non d’assurer la validité et l’efficacité des actes. Cependant l’évolution de la jurisprudence a fait de ces deux obligations distinctes une même et unique obligation devenues indissociables. Ainsi, ces obligations s’entremêlent et peuvent chacune donner naissance à l’autre.

 

Alexia PHILIP

 

Pour en savoir plus


Rouzet (Gilles),  Précis de déontologie notariale, (3ème éd. Presses Universitaires de Bordeaux), 359 p.

 

Biguenet-Maurel (Cécile),  Le devoir de conseil des notaires, 2006, éd. Defrénois, 352 p.

 

Piedelièvre (Stéphane), « Plaidoyer pour une application raisonnée du devoir de conseil du notaire », Lamy droit de la responsabilité, décembre 2006.

 

« Le devoir de conseil et l’obligation d’information », Lamy droit Immobilier, 2009.

 

Kuhn (Jean-Pierre), « Le devoir de conseil face à un client expérimenté » ;  La semaine juridique Notariale et Immobilière, 3 mai 2002, n°18,; Cass. 3ème civ., 21 nov. 2001 ; SCI Y.C/Epx D et A. 

 

Parance (Béatrice), « La confirmation très nette du caractère absolu du devoir de conseil des notaires » Lamy droit du contrat, septembre 2007 ;  Cass. 1ère civ., 3 avr. 2007, n°06-12.831, P+B. 

 

Revue Lamy droit civil novembre 2005, n°21,  « Le notaire : un conseil, non un détective » ; Cass. 3ème civ., 6 juill. 2005, n°01-03.590, P+B.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.