Le football et le droit de l’Union européenne


Le champ d’application du droit de l’Union européenne ne s’arrête pas aux normes étatiques mais touche également les règlementations sportives et peut notamment avoir des impacts sur l’économie du football. Ainsi, la Cour de justice a pu se pencher sur les questions de transferts des joueurs et sur les droits de diffusion de matches. Un arrêt récent de la Cour de justice pourrait remettre en question l’économie actuelle de la discipline.


On se souvient de l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995 (C-415/93) qui a bouleversé le paysage footballistique européen provoquant un emballement du marché des transferts de joueurs. Au nom de la libre circulation des travailleurs, la Cour de justice avait sanctionné le système de quotas de joueurs par nationalité (au maximum trois joueurs non-ressortissants de l’Etat du club) ce qui a eu pour impact de relancer le marché des transferts des joueurs de football en modifiant ainsi les effectifs des clubs, qui ne comptent aujourd’hui plus que très peu de nationaux du club.

La Cour de justice a plusieurs fois par le passé rencontré des litiges relatifs aux transferts des joueurs de football et a admis dès Bosman que les règlementations sportives entraient dans le champs des règles devant respecter le droit de l’Union européenne.

Dans l’arrêt Olympique Lyonnais du 16 mars 2010 (C-325/08) la Cour a précisé que représentait également une restriction à la libre circulation le fait qu’un joueur devenant professionnel après une formation soit obligé de signer un contrat professionnel avec le club l’ayant formé en tant que jeune espoir. L’indemnité prévue au bénéfice du club dans ce cadre n’étant pas proportionnée à la nécessité de former des joueurs ni au financement des activités du club.

Les entraves aux libertés de circulation en matière de transferts de joueurs de football sont d’ailleurs rarement justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général. Un des seuls cas illustrant cette justification est l’arrêt Lehtonen du 13 avril 2000 (C-176/96), dans lequel la Cour de justice admet l’entrave à la liberté de circulation du joueur de football par l’interdiction de son transfert lorsqu’il intervient en cours de saison en raison des répercussions que ce transfert pourrait avoir sur le championnat en cause.

La jurisprudence de la Cour est donc fixée en matière de transferts.

Plus récemment, ce sont les droits de diffusions des matchs qui ont fait l’objet de deux arrêts du 4 octobre 2011 C-403/08 Football Association Premier League, (autres) contre QC Leisure et C-429/08 Karen Murphy c/ Media Protection Services Ltd (affaires jointes par la Cour). La High Court of Justice de Grande-Bretagne pose plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne dont certaines relatives au droit de la concurrence et à la libre prestation de service.

Avant de s’attaquer aux réponses de la Cour aux questions préjudicielles posées, qui envisagent différentes normes européennes, il faut poser le cadre du litige.

L’affaire a lieu en Grande-Bretagne et concerne les matchs de Premier League (championnat britannique). Ces rencontres sont filmées et leur diffusion fait l’objet d’une concession sous licence par la FAPL (Football Association Premier League), qui est octroyée après une procédure de mise en concurrence ouverte. Cette concession s’accompagne d’une limite territoriale et peut être accordée pour une diffusion régionale, nationale ou mondiale.

Les droits de diffusion octroyés sont évidemment exclusifs sur la zone géographique déterminée. Ainsi, dans le cas de l’espèce, le bouquet satellite britannique BSkyB, ayant emportée la procédure d’octroi, se voit être le seul autorisé à diffuser les matchs de Premier League sur le territoire anglais.

La valeur monétaire de l’octroi de ces droits de diffusion est à souligner car ce sont, in fine, les clubs de Premier League qui bénéficient de cette ressource financière atteignant une proportion non négligeable dans leur budget.

En contrepartie des droits, l’organisme diffusant les matches s’engage à empêcher le public hors du territoire accordé de recevoir ces rencontres. Donc la chaîne anglaise s’engage à ne pas diffuser les matchs de Premier League en France, par exemple, en cryptant ses données et en ne distribuant pas de système de décodage hors du territoire attribué. Or, en l’espèce, la gérante d’un pub anglais, en s’abonnant à une chaîne de télévision grecque (par le satellite) reçoit les matches de Premier League. Cette gérante a opéré ce choix en raison de la grande différence de coût de l’abonnement entre la chaîne anglaise et la chaîne grecque. Mais cette possibilité va à l’encontre du concept territorial d’attribution des droits de diffusion. En pratique, cela pourrait entraîner une perte financière importante pour la chaîne anglaise.

La FAPL engage ainsi une procédure contentieuse à l’encontre de la gérante devant les juridictions britanniques qui posent plusieurs questions préjudicielles relatives au droit d’auteur et droit de la concurrence.

Au titre de la libre prestation de service, article 56 TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne), la Cour considère «  que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre rendant illicites l’importation, la vente et l’utilisation dans cet État de dispositifs de décodage étrangers qui permettent l’accès à un service codé de radiodiffusion satellitaire provenant d’un autre État membre et comprenant des objets protégés par la réglementation de ce premier État ». La réglementation visée ici est bien celle de la fédération de sport (la FAPL) qui encadre les droits de diffusion et le fait d’empêcher la vente de décodeurs pour permettre de regarder certains les programmes télévisuels de certaines chaînes est contraire à la libre prestation de service.

De plus, au titre du droit de la concurrence, la Cour précise que « les clauses d’un contrat de licence exclusive conclu entre un titulaire de droits de propriété intellectuelle et un organisme de radiodiffusion constituent une restriction à la concurrence interdite par l’article 101 TFUE dès lors qu’elles imposent l’obligation à ce dernier organisme de ne pas fournir de dispositifs de décodage permettant l’accès aux objets protégés de ce titulaire en vue de leur utilisation à l’extérieur du territoire couvert par ce contrat de licence ».

Concrètement, le système existant d’exclusivité sur une zone territoriale donnée de diffusion de matches de football cloisonne les marchés et contrevient ainsi au droit de l’Union européenne. En effet, la Cour remet en cause la délimitation géographique qui accompagne l’octroi des droits de diffusion d’un match de football.

Il faudra ainsi observer si les fédérations de football modifient leur système d’octroi de droits de diffusion, lorsque ceux-ci s’accompagnent de limitation géographique, comme c’est souvent le cas dans l’Union européenne. Il conviendra également de voir si cette jurisprudence aura un impact concret sur le coût de ces licences qui peut souvent atteindre des sommes considérables (par exemple pour la saison du championnat français 2011-2012 la chaîne Canal + a déboursé 420 millions d’euros en droits de diffusion).

Tania Racho

 

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