Le Mandat d'arrêt européen : Objet d'un dialogue des juges au sommet

 

 

 


 

A propos de l’arrêt CJUE, 30 mai 2013, Jeremy F. c/ Premier Ministre, aff. C-168/13 PPU.

 

La Cour de justice de l’Union européenne a répondu, ce 30 mai 2013 à la question préjudicielle (QPC) historique posée par le Conseil constitutionnel français sur l’interprétation des articles 27 § 4 et 28 §3 c) de la décision-cadre 2002/584/JAI relatifs aux demandes d’extension du mandat d’arrêt européen (MAE).

 


 

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Monsieur F., un enseignant anglais se rend coupable de fait d’enlèvement d’enfant en fuyant l’Angleterre avec une élève de quinze ans. Arrêté en France, il fut remis aux autorités britanniques en application du MAE délivré par la Cour d’assises de Maidstone. Lors de son arrivée sur le territoire britannique, il fut interrogé pour des faits d’atteintes sexuelles sur mineur, alors même que le MAE ne couvrait pas cette infraction. Le juge britannique refusa, en application du principe de spécialité, d’ordonner son placement en détention et demanda aux autorités françaises l’extension du MAE, laquelle fut autorisée par la Chambre d’instruction de Bordeaux. Alors que M. F. souhaitait former un recours contre la décision de la chambre d’instruction (l’extension du MAE l’exposait à une peine de prison deux fois plus longue), il se heurta à l’article 695-46 du code pénal qui dispose que les décisions de la Chambre de l’instruction en la matière ne sont pas susceptibles de recours. Considérant que cette disposition porte atteinte au principe d’égalité devant la loi et au droit à un recours juridictionnel effectif[1], la Cour de cassation, saisie du pourvoi, posa une QPC. Mais l’affaire ne s’arrête pas là ! Pour la première fois le Conseil constitutionnel a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice afin de savoir si la décision-cadre s’opposait à ce qu’un recours suspensif soit mis en place dans ce type de procédure.

 

Il serait prématuré de conclure que le Conseil constitutionnel opère un revirement de jurisprudence concernant le contrôle de conventionnalité. En effet, en matière de MAE, l’article 88-2 de la Constitution institue le droit de l’Union européenne comme la norme de référence de contrôle ; ce dernier est alors comme « constitutionnalisé » dans l’ordre interne. On ne peut que douter que le Conseil constitutionnel adoptera le même comportement lorsqu’il s’agira d’autres matières.

Du point de vue de Luxembourg, il faut noter la prudence avec laquelle la Cour de justice a accueilli cette question. La rigueur juridique obligeait d’examiner la question de la recevabilité d’un renvoi préjudiciel exercé par le Conseil constitutionnel. La notion de « juridiction » fait l’objet d’une définition autonome dans l’ordre juridique de l’Union ; la Cour de justice prend en compte un ensemble de facteurs parmi lesquelles la nature contradictoire des procédures ou encore l’indépendance de l’organe[2], ce qui aurait mérité d’être examiné concernant le Conseil constitutionnel. La  Cour de justice, en n’abordant pas la question de la recevabilité, fait le choix de l’encourager dans la voie du dialogue des juges.

 

Concernant la question en interprétation, il faut préciser que la décision-cadre circonscrit dans des délais stricts l’exécution des MAE de sorte que la mise en place d’une voie de recours interne risquerait de contrevenir au respect de ces délais et par là même à l’efficacité du système du MAE. La Cour de justice insiste sur cette double préoccupation d’effectivité-efficacité du système du MAE et de protection des droits fondamentaux. Ceux-ci sont protégés par le système même de la décision-cadre et par les ordres juridiques nationaux, ces dernier bénéficiant d’une présomption en la matière en vertu du principe de reconnaissance mutuelle. En outre si le droit au recours effectif impose l’accès à un tribunal, la Cour de justice et la Cour EDH ne l’on pas interprété comme impliquant l’accès à plusieurs degrés de juridiction.

Mais si la décision-cadre ne prévoit pas de recours suspensif, elle ne l’interdit pas pour autant et les Etats-membres, en vertu du principe d’autonomie procédurale sont libres d’en instituer. Néanmoins ils ne seront conformes au droit de l’Union que s’ils ne remettent pas en cause les délais prévus par la décision-cadre.

 

Ninon Forster

Doctorante en droit européen

Université Paris II



[1] C.cass,ch. Crim, QPC, 19 évrier 2013, pourvoit n°1380, arrêt 1087.

[2] V. CJCE, 30 juin 1966, Vaassen-Goebbels,  aff. 61/65, rec. p. 377.

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