L’introduction des dommages et intérêts punitifs en droit français : un nouveau mélange des genres ?


 

Un sujet essentiel anime aujourd’hui les débats parlementaires français : la réforme, tant attendue, de la responsabilité civile. Une proposition de loi, présentée au Sénat par Monsieur le sénateur Laurent Béteille le 9 juillet 2010, prévoit notamment en son article 2 d’instituer une nouvelle faute, dite lucrative, et sa sanction : la condamnation à des dommages et intérêts punitifs. D’inspiration anglo-saxonne, les « punitive damages » séduisent le législateur français qui discute aujourd’hui de l’éventualité, controversée, de son intégration en droit positif. Si les dommages et intérêts punitifs répondent aux insuffisances du droit positif en garantissant l’effectivité de la règle de droit, ils présentent le risque d’une confusion inopportune entre les sanctions civile et pénale.

 


 

 

I.    Les dommages et intérêts compensatoires : un constat d’échec


Le constat est le suivant : le droit de la responsabilité civile repose traditionnellement sur le principe de réparation intégrale, qui implique que « les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit » (not. Civ. 2ème, 23 janvier 2003).

 

Par ailleurs, le mouvement contemporain d’objectivisation de la responsabilité civile a cantonné celle-ci à une fonction essentiellement indemnitaire, ce qui ne permet pas toujours d’assurer efficacement le respect de la règle de droit.

 

Certaines atteintes aux droits de la personnalité, de la propriété intellectuelle ou de la concurrence notamment, procurent à leur auteur un avantage financier substantiel nettement supérieur au montant que celui-ci peut être condamné à verser à titre de dommages et intérêts strictement compensatoires, fixés au regard d’un préjudice souvent difficile à évaluer.

Il en est ainsi d’un magazine « people » qui violerait le droit à la vie privée d’une célébrité pour accroître ses ventes, ou d’une société qui développerait son chiffre d’affaires en violation d’une obligation de non concurrence ou en commettant des actes de parasitisme économique.

 

Ainsi, en l’état actuel du droit positif, il existe parfois un intérêt financier certain à violer les règles de droit.


La consécration en droit français de la faute lucrative et de son corollaire répressif, les dommages et intérêt punitifs, se propose de pallier cette carence juridique.

 

Code-civil

 

II.   Les dommages et intérêts punitifs : une  garantie de l’effectivité du droit


L’article 2 de la proposition de loi préconise l’introduction dans le Code civil d’un nouvel article 1386-25, instituant la notion de faute lucrative, « commise volontairement », dont la spécificité serait de permettre « un enrichissement que la seule réparation du dommage n’est pas à même de supprimer ».

 

Il prévoit la possibilité de condamner l’auteur d’une telle faute à des dommages et intérêts punitifs, dont la finalité, dévoilée par le rapport d’information dressé par les sénateurs MM. Alain Anziani et Laurent Béteille, est de « sanctionner le responsable du dommage en amoindrissant ou annulant le bénéfice qu’il tire de la faute lucrative qu’il a commise ».

 

L’intérêt de cette nouvelle sanction résiderait essentiellement dans son caractère dissuasif : en annulant le bénéfice que pourrait potentiellement réaliser l’auteur d’une faute lucrative, elle tendrait à assurer le respect effectif de la règle de droit.

 

Sa consécration est à ce titre plébiscitée dans le domaine de la concurrence, où le droit positif peine à prévenir de manière efficace les comportements et pratiques anticoncurrentiels.

 

Poursuivant un but parfaitement légitime, les dommages et intérêts punitifs risquent toutefois de dénaturer la finalité classique de la réparation civile, en lui attribuant une fonction quasi-pénale.

 

III.   Les dommages et intérêts punitifs : une sanction civile à coloration pénale

 

Les sanctions pénale et civile sont fondamentalement différentes : si l’une est par essence répressive et punitive, l’autre a une finalité essentiellement indemnitaire et réparatrice.

 

Il existe pourtant en droit positif certaines dérogations à cette distinction de principe : on relèvera à titre d’exemple l’amende civile ou encore l’astreinte, dont la nature est essentiellement punitive, ou encore la règle qui impose au juge, en matière de contrefaçon, d’évaluer le montant des dommages et intérêts au regard du bénéfice réalisé par le contrefacteur.

 

Toutefois, si la réparation civile a parfois un accessoire sanctionnateur, les dommages et intérêts punitifs franchissent explicitement la frontière devenue ténue entre la sanction civile, compensatoire, et la sanction pénale, punitive.

 

Tout d’abord, la faute lucrative est une faute intentionnelle ; or l’élément moral, s’il est un élément constitutif de l’infraction pénale, est généralement absent dans la qualification de la faute civile.

 

D’autre part,  les dommages et intérêts punitifs ont une finalité exclusivement répressive, parfaitement indifférente à la réparation d’un préjudice : ils arborent ainsi les couleurs d’une véritable peine.

 

Une telle sanction pourrait d’ailleurs trouver sa place dans ce que le juge européen nomme la « matière pénale », celle-ci étant notamment fondée sur le critère de la nature et de la sévérité de la sanction (sur les critères retenus pas la CEDH pour qualifier la matière pénale : CEDH, 8 juin 1976, Engel c/ Pays-Bas).

 

Or les dommages et intérêts trouvent classiquement leur cause dans le préjudice subi par la victime, qu’il appartient à l’auteur du dommage de réparer intégralement.

 

Des dommages et intérêts octroyés à titre de sanction seraient donc dépourvus de cause au regard du droit positif, à moins que ceux-ci ne soient versés à un fonds de garantie ou au Trésor public, ce que préconise le texte en discussion.

 

Il résulte de ces quelques éléments d’explication que c’est au moyen d’une remise en cause profonde et discutable des règles élémentaires du droit de la responsabilité civile que le législateur entreprend cette réforme, initiatrice d’un nouveau mélange des genres civil et pénal.

 

 

Antoine Moizan

Master 2 Droit Privé Général

Université Paris X Nanterre

 

 

Pour en savoir plus

 

Civ. 2ème, 23 janvier 2003, Bull. n°20

 

Proposition de loi présentée par le sénateur Monsieur Laurent Béteille au Sénat le 9 juillet 2010

 

Rapport d’information des sénateurs MM. Alain ANZIANI et Laurent Béteille

 

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