Neurosciences et droit : l’expansion d’un nouveau domaine de recherche

 

Les neurosciences se définissent schématiquement par l’étude des systèmes nerveux centraux et périphériques, elles connaissent depuis quelques années une croissance exceptionnelle, notamment illustrée par le Human Brain Projet européen et la BRAIN Initiative américaine. Les développements sont multiples et intègrent souvent les techniques d’imagerie cérébrale – CT scan, TEP, IRM fonctionnelle ou anatomique … L’étude de la « neurolaw » a fait ses premiers pas aux États-Unis il y a quelques années. Aujourd’hui, ses développements se trouvent en partie concentrés au sein de l’Université Vanderbilt, Nashville, Tennessee ; ce domaine d’étude commence toutefois à prendre racine en Europe …

 

Projets de recherche internationaux, multiplication exponentielle des publications, commercialisation de technosciences embryonnaires … la présente décennie s’écoule sous des auspices neuroscientifiques. A l’instar de ce que connurent les années « génétiques » et le Projet Génome Humain, la prolifération des intérêts, des appellations des champs disciplinaires ayant trait aux neurosciences, aboutit à un « neuroeverything », véritable effet de mode. Ainsi coexistent une myriade de « neurodisciplines » dérivées des sciences de la nature – neurophysique, neurochimie – humaines – neuropsychologie, neurobiologie, neuroesthétique –  et sociales, neuromarketing, neurosociologie, neuroéconomie …   Le « neurodroit », quant à lui, traduction du néologisme anglais « neurolaw », reflète d’une part le saisissement des neurosciences par le droit et d’autre part, l’impact de celles-ci sur le droit.

Le « neurodroit » a gagné en visibilité dans l’Hexagone grâce à la révision de 2011 des lois bioéthiques et l’introduction d’un article 16-14 au sein du Code civil, relatif aux utilisations de l’imagerie cérébrale.

« Les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen. Il est révocable sans forme et à tout moment » [i]

Multiplication des financements de thèses portant sur la thématique neuroscience et droit, projets MSH, formations ENM, colloques, publications [ii] … et d’autres manifestations soulignent la fertilité de ce domaine,

Quid des applications neuroscientifiques susceptibles d’influer ou d’interagir avec un système normatif ? L’article 16-14 du Code civil reprend les trois cas pour lesquels un cadre juridique précis est classiquement jugé nécessaire. L’expérimentation en recherche et développement ainsi que l’expertise médicale se positionnent dans l’ensemble des problématiques connues par le droit de la bioéthique, réactivées sous l’effet de nouveaux outils technologiques. Ainsi, les questions du consentement et du « droit de savoir » relatif aux « découvertes imprévues », observées lors de tests d’expérimentation, se posent dans le cadre d’utilisation de l’imagerie cérébrale. Le droit applicable à ces cas se situe à des échelles normatives variées, nous citerons à titre d’exemple la convention d’Oviedo de 1997 [iii] et son protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale de 2004 dont les dispositions, initialement prévues pour la génétique, peuvent s’étendre aux neurosciences.

La troisième hypothèse d’utilisation de l’imagerie cérébrale se démarque fortement des dispositions généralement adoptées en matière de bioéthique et représente une des parties les plus volumineuses du « neurodroit » actuel, il s’agit de l’expertise judiciaire. Une journée d’étude consacrée exclusivement à ce type d’usages a été effectuée par le Comité d’analyste stratégique en 2009 et se trouve être un condensé illustratif des développements scientifiques relatifs à cette question thématique [iv]. Il existe plusieurs emplois potentiels de l’imagerie ; au sein du procès civil par exemple,  en matière de capacité juridique (présence ou détection d’une tumeur liée à une baisse ou perte de cognition) mais aussi pour la mesure d’un préjudice (lésion cérébrale affectant une capacité motrice ou une perte de cognition). Le point de focalisation de nombreuses publications neuroscientifiques reste cependant le procès pénal, où la mesure de la dangerosité est parfois présentée comme possible, ainsi que la détection du mensonge (technique par ailleurs commercialisée aux États-Unis[v]). Si l’ensemble de ces éventuels apports de l’imagerie reste, pour l’heure, techniquement embryonnaire, il existe une percée législative pouvant, à l’avenir, réguler ce type d’application.

Qu’il provoque scepticisme ou engouement, ce nouveau champ souligne l’importance qu’il convient d’apporter aux évolutions des techniques et du droit. S’agissant de l’impact des neurosciences sur le droit, une partie de la doctrine prône l’avènement de nouveaux paradigmes fondés, entre autres, sur la remise en question de la notion actuelle du libre arbitre et de la responsabilité morale qui en découle, ce qui affecterait des pans entiers du droit pénal ; au contraire d’autres développements doctrinaux qui ancrent ces conclusions dans une conception historique et dépassée du déterminisme biologique.

 

Victor Genevès

 

[i] Art. 16-14 C.civ, issu de la loi n°2011-814 du 7 juillet 2011

[ii] Larrieu P., Roullet B., Gavaghan C. (éd.). Neurolex sed … dura lex ? L’impact des neurosciences sur les disciplines juridiques et les autres sciences humaines: études comparées.  Comparative Law Journal of the Pacific – Revue Juridique Polynésienne, 2013

[iii] Convention sur les droits de l’Homme et la biomédecine signée à Oviedo, en Espagne, en 1997, en vigueur en France en 2012, suivi d’un protocole additionnel relatif à la recherche médicale, signé à Strasbourg le 20 juin 2004

[iv] Centre d’analyse stratégique, « Actes du séminaire : Perspectives scientifiques et légales sur l’utilisation des neurosciences dans le cadre des procédures judiciaires », 2009

[v] Les sociétés américaines commercialisant un service de détection de mensonge par imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle sont Cephos™ et NoLieMRI™, technique actuellement rejetée par les tribunaux américains en tant que preuve. Les clients de ces sociétés sont principalement des agences américaines pour des questions de recrutement, ainsi que des couples, pour des questions de fidélité conjugale

 

Pour en savoir +

  • Conférence donnée par N. Rose du King’s College de Londres à l’Institut d’études avancées de Paris le 12 octobre 2015, Vidéo consultée le 4 janvier 2016
  • Mise à disposition d’une bibliographie recensant une partie de la littérature mondiale relative à la « Neurosciences & Law » sur le site de l’université Vanderbilt

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