« Philanthropie à la française » : haro sur la réserve héréditaire

Fin novembre 2018, Gabriel Attal, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse décide de lancer une mission parlementaire en vue de revoir le mécanisme de la réserve héréditaire. Cette idée s’inscrit dans le projet de créer une « philanthropie à la française » (1). Il faut selon lui « permettre à des grandes fortunes de donner l’essentiel de leurs biens à des œuvres, plutôt qu’à des héritiers directs » (2).

Le mécanisme de la réserve héréditaire est un principe fondamental du droit des successions qui reflète un choix sociétal qu’est la préservation de l’institution familiale au détriment de la volonté individuelle du défunt. Le Code civil actuel permet cependant quelques souplesses pour contourner le mécanisme de la réserve héréditaire. Il n’en demeure pas moins qu’un changement de paradigme justifié par une nouvelle culture du don des plus riches ne manquerait pas d’avoir des répercussions sur toute la société.

Le principe a priori intangible de la réserve héréditaire

En droit français, il y a une fraction de la succession qui est réservée par la loi à certains héritiers, ce sont les héritiers réservataires.

Les enfants en ligne directe ou les petits enfants par représentation sont des héritiers réservataires (3), à défaut c’est le conjoint survivant qui est héritier réservataire (4). On dit réservataire car il s’agit de droit théorique minimum revenant à des héritiers institués par la loi. Ainsi, en présence d’un enfant unique, il a droit à la moitié de la succession, s’il y a deux enfants, ils ont droit aux deux-tiers, et s’il y a trois enfants ou plus, ils se partagent les trois quarts de la succession (5).

En absence d’enfants du défunt mais en présence d’un conjoint survivant ce dernier a une réserve d’un quart de la succession (4). Ce n’est qu’en l’absence d’enfant et de conjoint survivant que le défunt peut librement disposer dans l’intégralité de son patrimoine (6).

La part qui n’est pas instituée par la loi aux héritiers réservataires est la quotité disponible, dont le défunt peut disposer librement. Cette dernière sera au minimum d’un quart de la succession dans l’hypothèse où il y a trois enfants ou plus. Or, si le défunt porte atteinte à la réserve héréditaire par ses donations ou testaments en excédant la quotité disponible de son patrimoine, les héritiers réservataires peuvent agir par une action en réduction afin que le taux de la réserve héréditaire soit respecté.

Autrement dit, le défunt ne peut pas disposer de l’intégralité de son patrimoine comme il le souhaite. Pour le secrétaire d’Etat Gabriel Attal, cette entrave à la liberté empêche le développement d’une culture philanthropique en France.

La réserve héréditaire constitue donc un verrou, un minimum, dont ses bénéficiaires ne peuvent être privés. Il existe pourtant quelques tempéraments qui peuvent permettre de développer la culture du don.

Des assouplissements limités par le Code civil

Le Code civil peut paraître rigide en fixant des taux de réserve héréditaire et de quotités disponibles. Toutefois deux mécanismes permettent d’y échapper. L’article 929 du Code civil énonce le mécanisme de la renonciation anticipée à l’action en réduction. Autrement dit, il s’agit par anticipation, du vivant du futur défunt, que les présomptifs héritiers acceptent que leur part normalement dévolue soit réduite partiellement ou totalement. Les donations et legs ainsi consentis par le défunt ne pourraient donc pas être remis en cause par l’action en réduction. Le consentement des présomptifs héritiers est donc nécessaire. Il nécessite en outre un formalisme lourd puisqu’il faut passer par acte authentique signé par deux notaires.

En pratique, le mécanisme de la renonciation anticipée à l’action en réduction est souvent pratiqué dans une famille lorsque l’un des enfants est handicapé, les parents avantagent ce dernier et les autres enfants s’engagent alors à ne pas remettre en cause les donations et legs faits à son profit. Rien n’empêche les riches philanthropes à faire de même au profit d’associations d’utilité publique.

L’article L 132-13 alinéa 1 du Code des assurances énonce que l’assurance vie n’est pas prise en compte dans le calcul de la masse de calcul de la quotité disponible telle que définit par le Code civil (7) en raison de sa qualification juridique qui est une stipulation pour autrui et non une libéralité. Autrement dit, c’est encore un moyen d’échapper au respect de la réserve héréditaire à la différence que la renonciation anticipée à l’action en réduction ne nécessite pas un formalisme lourd ni le consentement des présomptifs héritiers. Il faut toutefois noter l’inconvénient d’une éventuelle requalification de l’opération en donation indirecte qui peut avoir lieu, si les primes versées sont manifestement excessives et si l’assurance est souscrite peu de temps avant son décès (8).

Le droit français offre des tempéraments pour priver partiellement ou totalement les héritiers réservataires de leurs droits. Mais leurs mises en œuvre sont complexes. L’idée est donc de réformer afin que le futur défunt puisse disposer plus librement de son patrimoine.

L’ouverture d’une réflexion philanthropique bouleversant le droit des successions  

Pour rendre le droit successoral français plus souple, le secrétaire d’Etat Gabriel Attal a lancé une mission parlementaire qui réfléchit à de nouveaux mécanismes afin de favoriser la culture du don en France. L’idée est louable, permettre aux personnes les plus fortunées de pouvoir disposer de l’intégralité de leurs fortunes afin de la donner à des associations d’utilité publique. Le futur défunt serait alors libéré de l’entrave que constitue la réserve héréditaire. Créer une « philanthropie à la française » (1) reviendrait à suivre le modèle anglo-saxon où une culture du don est très développée d’autant que pour la plupart de ces pays le mécanisme de la réserve héréditaire est inexistant.

Si la réserve héréditaire est un problème pour les plus aisés qui ne peuvent pas donner autant qu’ils le souhaitent, il n’en demeure pas moins que modifier le mécanisme de la réserve héréditaire pourrait avoir des conséquences sur toute la société française. Certes, le défunt ne peut pas disposer de l’intégralité de son patrimoine ce qui est une aliénation de sa volonté personnelle. Mais la réserve héréditaire a le mérite de mettre les héritiers réservataires à égalité sans distinction, limitant ainsi les conflits et querelles au sein des familles. Au fond, la réserve héréditaire a un effet pacificateur dans les familles et plus largement dans la société.

Les riches philanthropes ne manquent pas de solutions pour disposer de leurs fortunes. Il reste donc à voir les propositions qui seront formulées par la mission parlementaire.

Arnaud Stevens

  (1) Conférence de presse Gabriel Attal sur le secteur associatif en date du 29 novembre 2018

(2) Interview France Inter en date du 29 novembre 2018

(3) Article 913-1 du Code civil

(4) Article 914-1 du Code civil

(5) Article 913 du Code civil

(6) Article 916 du Code civil

(7) Article 922 du Code civil

(8) Arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation en date du 21 décembre 2007

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