La reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe: obligation positive pour les États membres du Conseil de l’Europe ?

Au sein du Conseil de l’Europe, le mariage entre personnes du même sexe est reconnu par treize pays ; une reconnaissance qui offre aux couples homosexuels des droits complets, comme par exemple le droit à l’adoption homo-parentale (1), tandis que d’autres États membres du Conseil de l’Europe n’autorisent que le mariage entre une femme et un homme.

L’institution du mariage entraîne des effets importants sur les plans social et juridique, en attribuant un statut différent aux couples mariés, ceux-ci étant plus fortement liés du point de vue juridique que ne le sont les concubins, entre autres. Les principales conséquences du mariage sur le plan patrimonial sont les devoirs qu’il implique pour les mariés. Par exemple, l’obligation de contribution des deux époux aux charges du mariage, proportionnellement à leurs ressources financières ou même l’obligation solidaire entre époux pour les dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants. Dans le même temps, les époux ont des obligations mutuelles, comme le devoir de fidélité ou le devoir de respect mutuel.

Le droit au mariage est un droit conditionnel prévu par l’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH), qui consacre le droit de toute personne de se marier et de fonder une famille. Un article qui est lié à l’article 8, qui prévoit  lui le droit au respect de la vie privée et familiale. Etant un droit conditionnel, son exercice peut être limité par le droit interne, à la condition que l’ingérence de l’État-partie concerné ne porte pas atteinte à la substance de ce même droit. Par exemple, les restrictions liées à l’âge des titulaires de ce droit ne constituent pas une violation de l’article 12, mais en revanche, le refus d’autoriser un détenu à se marier en prison porte atteinte à ses droits et constitue une violation de l’article 12 (2).

Toutefois, en raison d’une nécessité de garantir la non-discrimination et la protection juridique des couples de même sexe, l’article 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) impose-t-il aux États-parties à la Convention, de reconnaître les mariages homosexuels ?

Qu’est que c’est une obligation positive dans la conception de la Cour de Strasbourg ?

Pour assurer une effectivité maximale des droits protégés par la Convention, la Cour a créé des mécanismes propres au droit européen des droits de l’homme, comme les notions autonomes (3), l’interprétation restrictive des limitations aux droits prévus par la Convention (4) et les obligations positives qui incombent aux États membres.

En ce qui concerne les obligations positives des États, la jurisprudence de la Cour n’offre pas de définition générale de ce mécanisme. Toutefois, pour le juge européen, les obligations positives se caractérisent en ce qu’elles exigent des autorités nationales qu’elles prennent certaines mesures nécessaires pour garantir la sauvegarde d’un droit conféré par la Convention. Les obligations positives trouvent leur fondement dans l’affaire Airey c. Irlande (CEDH, 06/02/1981), dans laquelle la Cour a affirmé pour la première fois que « la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs », et en conséquence,  nous pouvons rencontrer des situations où l’État doit prendre des mesures positives, d’agir dans un sens concret, et non pas se contenter d’une abstention. En conséquence, les obligations positives ont pour but d’assurer les conditions matérielles et juridiques concrètes pour que chaque personne puisse jouir effectivement de ses droits protégés par la Convention.

Le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8)

L’article 8 de la Convention consacre le droit de toute personne au « respect de sa vie privée et familiale ». La notion de « vie privée » comprend le droit dont on conduit sa vie privée et sa manière de vivre, incluant le droit de mener la vie sexuelle de son choix ; tandis que le concept de « vie familiale » englobe l’existence des liens personnels qui ne se limitent pas à l’existence d’un mariage ou d’un lien de parenté, le seul critère imposé par la Cour étant « l’effectivité du lien interpersonnel ». Toutefois, ce droit est un droit conditionnel et -en conséquence- l’ingérence de l’État est possible dans le respect des conditions de l’alinéa 2, mais également dans le respect des dispositions de l’article 14 (interdiction de discrimination), les distinctions de traitement étant autorisées seulement s’il existe un motif raisonnable et objectif qui justifie la mesure prise ou si les personnes concernées ne se trouvent pas dans des situations similaires.

La notion de « vie privée » inclut aussi l’option pour chaque personne de pouvoir changer de sexe par une opération de conversion sexuelle. Depuis l’arrêt Goodwin, les États membres du Conseil de l’Europe ont l’obligation positive de reconnaître juridiquement le changement d’identité sexuelle pour qu’existe une concordance avec la vie privée de la personne en cause. Toutefois, cette reconnaissance peut être soumise à certaines conditions. Par exemple, dans l’arrêt Hämäläinen c. Finland (CEDH, 16/07/2014) l’État finlandais refusait d’accorder à la requérante un numéro d’identité indiquant son sexe féminin à la suite de sa conversion sexuelle, sauf à ce qu’elle eut accepté de transformer son mariage en partenariat enregistré, puisque le droit finlandais interdisait – à l’époque- les mariages homosexuels, en accordant, en revanche, aux couples de même sexe la possibilité d’un partenariat enregistré. La Cour, en considérant que le partenariat enregistré offre une protection juridique sérieuse aux couples homosexuels et que la condition imposée par l’État dans l’espèce n’est pas disproportionnée, constate la non-violation de l’article 8.

D’autre part, en ce qui concerne la notion de « vie familiale » et son application dans le cas des couples homosexuels, par l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche (24/06/2010) la Cour de Strasbourg a effectué un revirement de jurisprudence. En l’espèce, la Cour affirme pour la première fois que la cohabitation de deux personnes de même sexe entraînant une relation stable est constitutive d’une « vie familiale », conformément au sens de la notion autonome de « famille » et à celle de « vie familiale ». C’est pourquoi la notion de « vie familiale » ne se limite pas aux relations fondées sur le mariage, incluant, en outre, d’autres liens personnels fondés sur la cohabitation des deux personnes, même en dehors du mariage. De plus, le fait de reconnaitre que la relation d’un couple hétérosexuel cohabitant de manière stable relève de la notion de « vie familiale » et refuser la jouissance de ce même droit à un couple homosexuel qui se trouverait dans une situation similaire, constituerait une discrimination au sens de l’article 14 de la Convention. Depuis l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche, un couple homosexuel ne relève plus seulement de la notion de « vie privée », mais aussi de celle de « vie familiale ».

L’interdiction des discriminations (art. 14) 

Selon la jurisprudence constante de la CEDH, l’article 14, instituant l’interdiction de la discrimination « fondée notamment sur le sexe » ou sur l’orientation sexuelle, complète les autres droits établis par la Convention et ses Protocoles additionnels. La Cour, en combinant les articles 14 et 8 de la Convention, sanctionne les discriminations exclusivement fondées sur l’orientation sexuelle. Par exemple, dans l’arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni (22/10/1981), la Cour a condamné l’État sur le fondement de l’article 8 parce que, par sa législation pénale qui réprimait par des peines de prison les relations homosexuelles entre des adultes consentants, il a porté atteinte au droit du réclamant au respect de sa vie privée, y compris de sa vie sexuelle. De même, les révocations fondées exclusivement sur l’orientation sexuelle de la personne (5) ou le refus d’octroyer l’autorité parentale à un père homosexuel après son divorce (6) constituent aussi une violation de l’article 8.

Le droit au mariage (art. 12)

En ce qui concerne le droit au mariage, l’article 12 de la Convention prévoit qu’« à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales » . Comme il est indiqué dans ce texte, seuls l’homme et la femme sont les titulaires de ce droit, ce qui soulève des questions concernant la situation des transsexuels et des personnes homosexuelles. 

D’une part, relativement au droit au mariage des transsexuels, la Cour de Strasbourg a effectué un revirement de jurisprudence à l’occasion de l’affaire Christine Goodwin c. Royaume-Uni (11/07/2002), en reconnaissant pour la première fois le droit à la rectification de l’état civil de la réclamante qui avait subi une opération de conversion sexuelle et, par la  même, son droit au mariage. En outre, par cet arrêt la Cour crée à la charge des États membres du Conseil de l’Europe une obligation positive de reconnaitre juridiquement le changement d’identité sexuelle parce qu’il est nécessaire qu’existe une compatibilité entre le statut juridique d’une personne et sa vie privée. L’affaire Goodwin reste fondamentale parce qu’elle consacre le droit au mariage des transsexuels.

D’autre part, en ce qui concerne le droit au mariage des deux personnes de même sexe, il reste un problème difficile à trancher, car aujourd’hui, même si nous constatons une tendance à la reconnaissance juridique des mariages homosexuels par le droit interne des États membres, il n’y a pas de consensus européen. Pour ce motif, la Cour laisse une assez grande marge d’appréciation aux États, en les obligeant toutefois à garantir la protection juridique sous certaines formes pour les couples engagés dans des relations stables.

Une affaire très importante en la matière est l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche par laquelle la Cour a affirmé que l’impossibilité d’épouser une personne de même sexe ne constitue pas une violation de l’article 12. En l’espèce, les requérants soutiennent que, la Convention étant un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des réalités contemporaines, l’article 12 doit se comprendre comme obligeant les États membres du Conseil de l’Europe de reconnaitre dans leur droit interne le droit au mariage des couples homosexuels. La Cour considère que l’institution du mariage a été « bouleversée » par l’évolution de la société depuis l’adoption de la Convention et que, en conséquence, l’article 12 ne doit plus se limiter au mariage entre deux personnes de sexes opposés. Toutefois, elle a soutenu dans sa constante jurisprudence que le problème concernant l’autorisation ou l’interdiction du mariage homosexuel reste du domaine de la marge d’appréciation des États parties à la Convention. La conception permissive de la Cour s’appuie sur le fait qu’il n’y ait pas encore de consensus européen concernant le mariage homosexuel. 

Cette décision de la Cour a été réaffirmé dans l’affaire Oliari et autres c. Italie (21/07/2015) dans laquelle la Cour a ajouté que « la Convention impose aux États membres l’obligation de reconnaitre juridiquement les unions homosexuelles, la non-reconnaissance du statut juridique de ces unions emportant violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la CEDH » 

En conclusion, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a affirmé que, même si conformément à l’article 12 les États ne sont pas obligés de reconnaitre les mariages entre personnes de même sexe, ces couples se trouvent dans une situation similaire à celle des couples hétérosexuels et doivent donc bénéficier de la protection juridique garantie par l’article 8. En conséquence, même si les États membres du Conseil de l’Europe détiennent en la matière une très grande marge d’appréciation, ils sont toutefois obligés par la Convention d’assurer la protection juridique nécessaire pour défendre le droit au respect de la vie familiale, peu importe qu’il s’agisse d’un couple hétérosexuel ou homosexuel. Cette obligation positive qui incombe aux États peut être réalisée soit par la reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe, soit par différentes formes de partenariats civils (union civile ou partenariat enregistré) qui assurent des garanties similaires aux celles de l’institution du mariage. 

Manea Alexandra-Raluca

 

 

(1) – Aujourd’hui, l’adoption par un couple homosexuel marié ne peut être refusée par l’un des États-membres du Conseil de l’Europe que pour faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est pourquoi le refus en raison de l’homosexualité constitue une violation de l’article 8 CESDH. Cependant, l’article 8 ne crée pas une obligation positive pour les États-membres d’étendre le droit à l’adoption aux couples homosexuels non-mariés ; Gas et Dubois c. France, 15/03/2012 et X et autres c. Autriche, 19/02/2013.

(2) – CEDH, Affaire Frasik c. Pologne, 05/01/2010 – (req. 22933/02)

(3) – Cette technique a pour but de trouver le même sens juridique pour certaines notions afin d’éviter les disparités de définition que les États attribuent à certains termes. C’est pourquoi les notions qui font partie de cette catégorie possèdent le même sens juridique pour l’ensemble des États membres.

ex: « matière pénale », « accusation » (article 6 CEDH), « domicile », « vie familiale » (article 8 CEDH) etc.

(4) – Toute ingérence de l’État doit respecter certaines conditions imposées par la Cour : l’ingérence doit être prévue par la loi (la notion autonome de « loi » englobe tout le droit en vigueur), elle doit viser un but légitime (par exemple, la sécurité publique, l’ordre public, la santé publique etc.) et doit être nécessaire dans une société démocratique (l’ingérence doit être proportionnée au but légitime poursuivi).

(5) – CEDH, 27/09/1999, Affaire Smith & Grady c. Royaume-Uni dans laquelle les requérants ont été révoqués de l’armée à cause d’une politique d’interdiction des homosexuels dans les forces armées du Royaume-Uni. La Cour constate qu’il y a violation de l’article 8.

(6) – CEDH, 21/12/1999, Affaire Salgueiro Da Silva Mouta c. Portugal dans laquelle l’autorité parentale sur l’enfant a été attribuée à l’ex-épouse du requérant, décision fondée exclusivement sur l’orientation sexuelle de celui-ci. La Cour constate la violation de l’article 8 combiné avec l’article 14.

 

 

 

Pour en savoir plus :

– Sur les obligations positives : « Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme », Jean-François Akandji-Kombe, https://rm.coe.int/168007ff61

– Sur l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) : page 157, 162-163, 168-169 « Droit européen des droits de l’Homme », Catherine Gauthier, Sébastien Platon, David Szymczak, 2016 ;

– Sur l’article 12 (droit au mariage) : page 182-185 « Droit européen des droits de l’Homme », Catherine Gauthier, Sébastien Platon, David Szymczak, 2016 ;

– Sur l’article 14 (interdiction de discrimination) : page 224-242 « Droit européen des droits de l’Homme », Catherine Gauthier, Sébastien Platon, David Szymczak, 2016 ;

– Sur l’interdiction des mariages homosexuels : Avis no 876/2017 de la Commission de Venise sur le projet de Constitution révisée ;

– Sur l’arrêt Hämäläinen c. Finlande, 16.7.2014 : Note d’information sur la jurisprudence de la Cour no176, juillet 2014, page 24-26 ;

– Sur l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche, 24.6.2010 : Note d’information sur la jurisprudence de la Cour no131, juin 2010, page 10-15 ; « Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », Vincent Berger, 2014, page 439-441 ;

– Sur l’arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni, 22.10.1981 : « Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », Vincent Berger, 2014, page 522-524 ;

– Sur l’arrêt Christine Goodwin c. Royaume-Uni, 11.7.2002 : « Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », Vincent Berger, 2014, page 525-528 ;

– Sur l’arrêt Frasik c. Pologne, 5.1.2010 : Note d’information sur la jurisprudence de la Cour no 126, janvier 2010

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