LA RÉTENTION DES MINEURS ÉTRANGERS (2018)

En France, la « loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », publiée au Journal officiel le 11 septembre 2018, a prévu des dispositifs de lutte contre l’immigration irrégulière. Toutefois, il convient de noter que la loi n’a pas été modifiée concernant le placement en rétention des mineurs étrangers accompagnant leur famille en dépit de nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Selon la Cour de Strasbourg, la France est l’un des trois pays européens qui pratiquent régulièrement la rétention des mineurs accompagnés[1]. Il est important de souligner que la réalité de la rétention des mineurs est contraire à leur dignité humaine, une atteinte à leur liberté et à leur vie privée et familiale. Se pose alors la question de savoir si la loi asile et immigration de septembre 2018 est conforme aux exigences de la Convention européenne.

Le sort des mineurs étrangers dans les centres de rétention

Plusieurs constats ont été soulevés par des associations affirmant que les conditions de vie des mineurs dans les centres de rétention étaient inadaptées pour les mineurs étrangers. En 2017, il a été constaté que 304 enfants ont été placés dans des centres, soit une augmentation de 70 % par rapport à l’année précédente. Ainsi, la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité et le Défenseur des droits soulignent la violence et le traumatisme de la rétention subie par les enfants mineurs. Le Commissaire des droits de l’Homme condamne cette pratique car il considère que c’est un lieu de surpeuplement et d’enfermement inapproprié pour les enfants. Par ailleurs, dans un arrêt de principe, Popov contre France de 2012, la Cour de Strasbourg a jugé que l’aménagement de certains centres de rétention avaient des conséquences néfastes sur les mineurs[2]. Par exemple, elle a établi que les lits d’adulte en fer, la fermeture automatique des portes, l’insécurité et l’environnement hostile sont dangereux pour les enfants.

Une protection consacrée par le système prétorien des droits de la Convention EDH

Force est de constater que la France a déjà été condamnée à maintes reprises en 2016 par les juges européens dans des affaires[3] concernant la rétention des mineurs. De prime abord, dans l’affaire précitée Popov contre France, la Cour de Strasbourg a jugé que la rétention des mineurs étrangers constituait une violation des droits fondamentaux notamment des articles 3, 5 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En principe, les mesures de placement en rétention ne constituent pas une violation de l’article 3 de la Convention EDH stipulant que « nul ne peut être soumis à des traitements inhumains et dégradants ». Cependant, la Cour européenne utilise le mécanisme de la « protection par ricochet » pour juger que les conditions matérielles de la rétention peuvent tomber sous le coup de cet article. Il appartient au requérant d’apporter la preuve d’un mauvais traitement pour atteindre le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention européenne. Dans le cas de Popov, la Cour de Strasbourg a jugé que la durée excessive était constitutive d’un mauvais traitement dépassant le seuil de gravité.

Conformément à l’article 5 §1 de la Convention, prévoyant que « nul ne peut être privé de liberté », la Cour a estimé que le système français n’avait pas assuré de manière suffisante le droit à la liberté des enfants. A cet effet, il convient de s’interroger sur les garanties reconnues à toutes personnes privées de libertés notamment sur la question de l’ouverture des voies de recours contre la rétention des mineurs. Selon le droit français, les enfants accompagnants tombent dans un vide juridique ne leur permettant pas d’exercer un recours garanti à leur parent. En effet, il faut noter que les enfants ne sont ni concernés par un arrêté préfectoral prévoyant l’éloignement[4], ni un arrêté de placement en rétention. Par conséquent, le juge de la liberté et de la détention ne peut se prononcer sur la légalité de leur placement en rétention. Ce faisant, la Cour EDH condamne ce mécanisme juridictionnel contre la rétention des mineurs mais il existe une possibilité pour les parents leur permettant d’exercer des voies de recours. Le juge s’assure « par ricochet » de la conventionnalité de la situation des enfants. Le recours parental par ricochet doit remplir deux conditions cumulatives. D’une part, la prise en compte de la situation particulière de l’enfant et d’autre part, une obligation de l’État de rechercher des solutions alternatives à la rétention. La Cour valide que la base légale de la rétention des mineurs réside dans le consentement des parents qui apparaît contraint. Elle affirme que l’article 5 §4 de la Convention n’est constitutif d’une violation que si les deux conditions cumulatives ne sont pas réunies.

Par ailleurs, le placement des enfants dans des centres de rétention peut être constitutif d’une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée et familiale, principe posé par l’article 8 de la Convention européenne. La rétention des mineurs ne peut être admise que si celle-ci est prévue par la loi et proportionnée au but poursuivi par l’État. D’ailleurs, l’article L.554-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile assimile la situation des mineurs à celle des parents. En d’autres termes, les autorités doivent également aménager un juste équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et la lutte contre l’immigration clandestine. Dans l’affaire Popov contre France, le juge européen a conclu que le maintien de la cellule familiale et l’enfermement pendant quinze jours constituaient une violation de l’article 8 de la CEDH.

Il existe également d’autres instruments de protection à l’échelle internationale et européenne en matière de rétention des mineurs. Les États membres doivent désormais prendre en compte les intérêts supérieurs de l’enfant dans le cadre de l’article 3 §1 de la Convention internationale des droits de l’enfant[5] et de l’article 17 §1 de la Directive Retour[6].

L’encadrement du cadre juridique de la nouvelle loi Asile et immigration

La « loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » prévoit de nombreuses mesures concernant le délai de traitement des demandes d’asile, le droit au séjour et la lutte contre l’immigration irrégulière. La rétention est portée à quatre-vingt-dix jours pour rendre plus efficace la procédure d’éloignement. En revanche, se pose la question du placement des enfants avec leurs parents dans l’attente d’une expulsion. En effet, la législation française interdit la rétention des mineurs mais autorise le placement que si ce dernier est accompagné d’un adulte[7]. Depuis la loi du 7 mars 2016, il convient de rappeler que le législateur a voulu empêcher autant que possible la rétention des mineurs accompagnant un représentant légal. Elle a en effet prévu seulement trois hypothèses de placement sous réserve que la rétention ait lieu dans un délai court. De plus, la rétention doit être réalisée dans des chambres isolées et adaptées à l’accueil des familles pour satisfaire les conditions de détention prévue par l’article 3 de la Convention européenne.

En conclusion, la pratique des autorités administratives françaises est encadrée par les juridictions françaises et européennes. Bien que la rétention des mineurs soit prévue par la récente loi, le responsable du centre de rétention a l’obligation de tenir un registre mentionnant l’état civil et les conditions d’accueil adaptées pour les mineurs. De plus, il appartient à l’autorité nationale de prendre en compte la situation particulière de l’enfant et la recherche d’alternative pour satisfaire les exigences de la Convention européenne, de la Convention internationale pour les droits des enfants et de la Directive Retour.

POLAT Hava

[1] Rapport de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen de décembre 2007
[2] Cour EDH, Grande chambre, Popov c. France, 19 janv. 2012, req. n°39472/07 et 39474/07, §100
[3] Plusieurs condamnations de la France en 2016 : Cour EDH, RM et autres c. France, 12 juillet 2016, req. n° 33201/11 ; Cour EDH, AB c. France, 12 juillet 2016, req. n°11593/12 ; Cour EDH, AM c. France, 12 juillet 2016, req. n°56324/13 ; Cour EDH, RM et VC c. France, 12 juillet 2016, req. n°76491/14
[4] Art. L.511-4, 1° du CESEDA : « ne peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français : 1) L’étranger mineur de dix-huit ans »
[5] Art. 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant : « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale »
[6] Art. 17§1 de la Directive : « Les mineurs non accompagnés et les familles comportant des mineurs ne sont placés en rétention qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible »
[7] Art. L. 551-1 du CESEDA : « III bis. – L’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention. Il ne peut être retenu que s’il accompagne un étranger placé en rétention dans les conditions prévues au présent III bis »

Pour en savoir + :
– AJDA p. 1581 – article « Loi asile et immigration achève son parcours chaotique »
– Dalloz actualité du 10 septembre 2018 – article « le conseil constitutionnel valide l’essentiel de la loi Asile Immigration »
– Dalloz actualité du 3 septembre 2018 – article « Asile et immigration : une loi de plus »
– LOI n°2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie publiée le 11 septembre 2018 au JO de la République française.
– Site AFP.com → 3 juillet 2018 → 3 juillet 2018 → 3 juillet 2018 → Article « la rétention des mineurs migrants en France a atteint des records en 2017 »
– Site Ouest-France.fr → 3 juillet 2018 → Article « migrants le nombre de mineurs en rétention explose en France »
– Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, 8e édition, Sous la Direction de Frédéric Sudre

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