Droit de la presse et droit de la famille : Les bonnes mœurs s’en sont-elles définitivement allées ?

Dans un arrêt rendu le 17 décembre 2015 (1) , la Première chambre civile de la Cour de cassation expulse l’infidélité conjugale du giron des bonnes mœurs en droit de la presse.

Cet arrêt a été rendu dans un contexte médiatique.

Patrick Devedjian, avocat et homme politique attaquait le magazine Point de vue en diffamation, après la publication d’une interview du journaliste Christophe Jakubyszyn, auteur d’un livre sur Valérie Trierweiler intitulé « La Frondeuse ». Le journaliste faisait état d’une liaison entre Monsieur Devedjian et celle qui allait devenir la Première Dame de France. Monsieur Devedjian étant marié, cette affirmation consiste à dire qu’il a commis un adultère.

Patrick Devedjian s’est estimé lésé par des propos diffamatoires à son égard et a donc assigné le directeur de la publication du magazine Point de Vue et la société Groupe Express-Roularta, éditeur dudit magazine, aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice et la publication d’un communiqué judiciaire.

En l’espèce, la Cour de cassation a jugé qu’il n’y avait pas eu de diffamation.

Une diffamation est « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé» (article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse).

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation précise que « l’atteinte à l’honneur ou à la considération ne pouvait résulter que de la réprobation unanime qui s’attache, soit aux agissements constitutifs d’infractions pénales, soit aux comportements considérés comme contraires aux valeurs morales et sociales communément admises au jour où le juge statue. »

La Première chambre civile considère alors que l’imputation d’une infidélité conjugale n’est pas de nature à elle seule à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’autrui compte tenu de l’évolution des bonnes mœurs comme des conceptions morales.

« Les bonnes mœurs se définissent par référence à la morale sociale. Ce n’est donc pas l’immoralité intrinsèque d’un comportement, mais la visibilité sociale de ses conséquences qui explique l’atteinte aux bonnes mœurs. » (2)
Ainsi, selon la première chambre civile de la Cour de cassation, la visibilité sociale des conséquences de l’adultère est quasi-nulle. L’adultère est un acte banal. Celui à qui l’on impute une infidélité conjugale ne peut pas se prévaloir devant une juridiction d’une éventuelle diffamation commise à son encontre.

Nous savons que les bonnes mœurs se réduisent déjà à peau de chagrin en droit de la famille, la nouveauté étant que l’infidélité conjugale soit expulsée du giron des bonnes mœurs en matière de droit de la presse.

Il faut rappeler que dans le Code civil de 1804, le mariage civil avait conservé des règles essentielles du droit canonique :
– L’indissolubilité du mariage
– L’hétérogénéité des sexes
– L’obligation de fidélité (la Bible condamnant l’adultère)

A notre époque, le mariage civil est déconnecté du droit canonique notamment en raison de l’admission du divorce et du mariage entre personnes de même sexe (3).

Les survivances du droit canon restait l’obligation de fidélité dans le mariage, ce qui est logique puisque la présomption de paternité découlant du mariage repose sur l’obligation de fidélité entre époux. Cette obligation est nécessaire au maintien de l’adage «pater is quem nuptiae demonstrant».
La présomption de paternité constitue «le cœur du mariage» selon l’expression du doyen Carbonnier.

Cette obligation de fidélité est inscrite à l’article 212 du Code civil en ces termes : «Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.»

L’adultère a été dépénalisé par la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce (4) et n’était plus une cause péremptoire de divorce. Depuis, le manquement à l’obligation de fidélité est sanctionné sur le plan civil uniquement.
L’article 242 du Code civil prévoit que «le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérables le maintien de la vie commune.»

L’adultère peut donc constituer une violation des devoirs et obligations du mariage constitutif d’une cause de divorce.
Ainsi, il a pu être jugé que l’existence d’un accord amiable entre les époux les autorisant à vivre séparément ne justifie pas l’adultère et le fait pour le mari d’entretenir une relation extra-conjugale est une faute au sens de l’article 242 du Code civil.
La violation de cette obligation peut également donner lieu au versement de dommages-intérêts pour la réparation du dommage moral subi sur le fondement de l’article 1382 du Code civil et/ou sur le fondement de l’article 266 du Code civil.

Néanmoins, l’obligation de fidélité est devenue une obligation diminuée, n’étant plus considérée comme faisant partie intégrante des bonnes mœurs.

Ainsi, la Cour de cassation a pu considérer «que n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère (5).»

Il a également pu être considéré que «la complicité d’adultère n’est pas à elle seule une faute à l’égard de l’époux trompé (6).»

Les conventions passées entre époux prévoyant une dispense de l’obligation de fidélité dans le cadre d’une procédure de divorce ont pu être validées par certaines juridictions (7).

Récemment, la Cour de cassation a jugé que «le contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nul, comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait qu’il est conclu par une personne mariée (8).»

Dans cet arrêt rendu le 17 décembre dernier, la Cour de cassation expulse définitivement l’adultère du giron des bonnes mœurs. L’imputation d’une infidélité conjugale n’est pas à elle seule de nature à porter atteinte à la considération ou à l’honneur d’autrui en raison de l’évolution des mœurs et des conceptions morales.

Si la doctrine a pu se demander si l’obligation de fidélité est en voie de disparition, il est possible de croire que sa disparition est imminente.
Cette attitude est critiquable puisque «la prétendue libération des mœurs pourrait (…) profiter davantage à ceux qui sont affectivement et émotivement armés pour tirer profit de leur liberté, alors que les plus fragiles seraient, du fait de l’absence de norme sociale, dotés d’une prétendue autonomie plus liberticide que libératrice (9).»

Si le manquement à l’obligation de fidélité reste une sanction civile aujourd’hui, elle ne pourrait plus le rester effectivement si l’obligation de fidélité est vidée de toute substance. Comme disait Victor Hugo, il semblerait plus que jamais que «ce que l’on appelle aujourd’hui l’adultère est identique à ce qu’on appelait autrefois l’hérésie», que cela plaise ou déplaise.

Dès lors, il est possible de penser que c’est parce que l’obligation de fidélité est galvaudée en droit de la famille que la Cour de cassation a pu considérer qu’il en était de même en droit de la presse allant jusqu’à expulser fermement l’obligation de fidélité du giron des bonnes mœurs.

Les bonnes mœurs s’en sont définitivement allées. D’ailleurs, les bonnes mœurs disparaissent du titre III du livre III du Code civil (10) suite à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (11).

Sonia BEN MANSOUR
Avocate à la Cour,
Doctorante à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

1. Civ.1ère, 17 décembre 2015 n°14-29.549, comm. B. de Boysson P., AJ. Famille, 2016.109
2. Lavaud-Legendre B., Où sont passées les bonnes mœurs, PUF, 2005, page 13
3. Libchaber R., La notion de mariage civil in Libres propos sur les sources du droit, Mélanges Philippe Jestaz, Dalloz 2006, pages 325-342
4. Ancien article 337 du Code pénal : « La femme convaincue d’adultère subira la peine d’emprisonnement pendant trois mois au moins et deux ans au plus. Le mari restera le maître d’arrêter l’effet de cette condamnation, en consentant à reprendre sa femme ».
5. Cour de cassation, AP, 29 octobre 2004 n°03.11.238
6. Civ. 2ème, 4 mai 200 n°95-21567
7. TGI Lille, JAF, 26 novembre 1999, D.2000. 254, note Labbée
8. Civ.1ère, 4 novembre 2011, n°10-20114
9. Lavaud-Legendre B., Où sont passées les bonnes mœurs, PUF, 2005, page 15
10. Excepté de l’article 6 du Code civil
11. Entrera en vigueur le 1er octobre 2016

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