Affaire PIP : une condamnation confirmée pour « l’apprenti sorcier »

Par une décision du 2 mai 2016, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme la condamnation de Jean-Claude Mas, Président fondateur de la société Poly Implants Prothèses (PIP). Il est reconnu coupable de « faute aggravée » et d’ « escroquerie » et se voit ainsi condamné à 4 ans de prison ferme, à payer une amende de 75000 euros et à une interdiction définitive d’exercice dans le domaine de la santé et la gestion d’une société.

Le 10 décembre 2013, le Tribunal correctionnel de Marseille[1] déclare le fondateur de la société PIP coupable de « tromperie aggravée » et d’ « escroquerie » pour avoir vendu entre avril 2001 et mars 2010 des prothèses mammaires défectueuses. Une peine de 4 ans de prison ferme et 75000 euros d’amende est ainsi prononcée, condamnation dont le prévenu fait appel (l’appel étant suspensif). « Le fait d’utiliser une matière première non conforme, non testée, selon un processus de fabrication artisanale, en variant les proportions et les compositions, est générateur d’un risque », avait argué l’avocat général lors de l’audience en appel en novembre 2015.

Par ailleurs, les juges n’ayant pas prononcé d’exécution provisoire de la peine, Jean-Claude Mas était resté libre. Suite à la confirmation de condamnation[2], aucun mandat de dépôt n’a pas été évoqué par les juges, son entrée en prison se fera à plus ou moins court terme.

Le bilan sanitaire du scandale PIP en France est sans appel : au 31 mars 2015, l’ANSM (Agence de sécurité nationale du médicament et des produits de santé) comptabilisait plus de 18 000 femmes ayant dû se faire explantées, dont 4 919 à la suite « d’un signe d’appel correspondant à la détection d’un dysfonctionnement, ou à un signe clinique justifiant l’explantation ». En tout, 5 776 dysfonctionnements sont signalés à l’ANSM avec notamment des ruptures de prothèses et deux cancers sont également diagnostiqués.

Il est également important de souligner en l’espèce la pertinence des actions des autorités sanitaires « post-révélation du scandale » (après 2010), qui ont toujours été réactives et protectrices de la sécurité des patientes porteuses de prothèses PIP.

Néanmoins, leur manque de réactivité en amont (en comparaison à la FDA qui a agi dès 2000) est fortement décrié par les associations de victimes et a fait l’objet d’une plainte en juillet 2010 pour défaut de contrôle. Les éléments en ce sens sont bien présents. Déjà en 2006,  la société PIP était condamnée en Grande-Bretagne à 1,4 millions d’euros de dommages et intérêts pour avoir commercialisé des prothèses défectueuses (fuite de gel de silicone), ce qui aurait dû alerter les autorités sanitaires françaises. Mais il apparait que cette information n’a jamais été portée à leur attention, ce qui sème une nouvelle fois le doute sur la mise en œuvre du principe de veille sanitaire et surtout interpelle sur le respect de l’obligation d’information, de suivi et vigilance incombant à la société PIP… Il n’y a pas d’incertitudes possibles, elle savait soumettre les porteuses de prothèses à un risque qui était bien révélé et connu.

La révélation de ce scandale sanitaire mondial aura au moins eu le mérite de changer le système des inspections au niveau européen. Le 22 octobre 2013,  le Parlement européen a adopté une nouvelle législation (deux projets de règlements) concernant les dispositifs médicaux. Il renforce ainsi le contrôle des dispositifs médicaux sur le marché européen. Et notamment en ce qui concerne les qualifications des organismes notifiés en charge de l’évaluation de la conformité et la surveillance post-commercialisation des produits, en instaurant la mise en place d’inspections annuelles inopinées. Ce qui évitera à l’avenir les dérives de l’espèce.

Face aux risques éventuels inhérents aux dispositifs médicaux, dans l’intérêt des patients et des consommateurs, il est essentiel que tous ces dispositifs fassent l’objet d’une évaluation rigoureuse de leurs caractéristiques en matière de sécurité et de performances avant de pouvoir être commercialisés sur le marché européen[3]. Une question reste en suspens, quid de la mise en œuvre de cette nouvelle réglementation ? Nous attendons toujours l’application de ces règlements en droit interne, qui conformément à la procédure législative ordinaire devraient devenir obligatoire en 2017.

Retour en arrière

2000 : La FDA (Food and Drug Administration) interdit l’importation des prothèses mammaires PIP (alors 3e exportateur mondial de prothèses) aux États-Unis. Suite à une inspection au cœur des locaux de la société PIP, elle juge que les règles de fabrication ne sont pas conformes à la législation en vigueur.

2008 : Premiers signalements à l’AFSSAPS de divers chirurgiens de cas suspects de ruptures et réactions inflammatoires, qui deviendront monnaie courante.

Mars 2010 : Inspection des autorités sanitaires françaises dans les locaux de la société PIP, suite à un nombre anormal du taux de rupture et de l’utilisation d’un gel « différent de celui déclaré lors de la mise sur le marché » dénoncé par les chirurgiens. Des lots non conformes sont trouvés.

L’AFSSAPS annonce alors le retrait et la suspension de mise sur le marché ainsi que la distribution et l’exportation des prothèses fabriquées par PIP. Les porteuses de ces prothèses sont appelées à consulter leur chirurgien.

Avril 2010 : Le parquet de Marseille ouvre une enquête préliminaire pour « tromperie aggravée sur la qualité d’un produit » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Création de l’association PPP regroupant toutes les victimes porteuses de prothèses PIP. Dépôt d’une première plainte au civil d’une victime. Les langues se délient sur la composition du gel. Un ancien cadre de la société avoue que ce dernier fut « mis au point par les ingénieurs [de la société PIP], à base d’huile de silicone alimentaire et industrielle. Aucun essai clinique (entendre « tests de qualité ») pour vérifier l’innocuité du gel n’a été fait ni aucune vérification sanitaire, ces procédures étant trop chères. Il existait un double système de production. Les contrôleurs de la Tüv, ont été bernés par des dossiers falsifiés ou cachés, les fûts d’huile de silicone étaient transportés dans un 3ème entrepôt de PIP »[4].

En effet, il apparait que la société PIP était prévenue à l’avance des différentes inspections de l’organisme de certification allemand Tüv. Cela lui permettait de sortir les bons de stocks de gel (ceux autorisés) pour les analyses, tout en sachant pertinemment que ce n’était pas ce gel qui au final se retrouvait dans les prothèses vendues aux distributeurs, mais un gel artisanal à prix cassé (du silicone industriel à usage non médical) fabriqué en dehors de tout contrôle sanitaire par les ingénieurs de la société PIP.

Septembre 2010 : Suite aux premiers résultats d’analyse du gel, l’Afssaps recommande un renforcement de la surveillance et le retrait des prothèses en cas de suspicion de rupture. Le Ministère de la santé annonce la prise en charge des frais médicaux et chirurgicaux, ainsi que le remplacement des implants dans le cadre d’une reconstruction mammaire après un cancer.

Novembre 2010 : Dépôt de plainte de l’association PPP puis des distributeurs de prothèses contre l’organisme de certification allemand, qui avait certifié le gel utilisé par PIP.

Février 2011 : L’organisme de certification allemand dépose plainte contre la société PIP.

Novembre 2011 : Décès d’une femme ayant développé un cancer suite à la rupture de ses prothèses PIP.

L’AFSSAPS indique maintenant aux femmes porteuses d’implants PIP, la nécessité de consulter leur chirurgien, ou leur médecin traitant et met à leur disposition un numéro vert, le 0800 636 636.

Décembre 2011: Suite au dépôt de plainte de la mère d’une porteuse de prothèses PIP, décédée d’un cancer, en 2010, ouverture de la première information judiciaire contre X pour « blessures et homicide involontaires ».

Les autorités sanitaires recommandent aux porteuses de se faire retirer leurs prothèses à titre préventif, au motif de « risques bien établis » de « ruptures » et de « réactions inflammatoires ».

Désormais, l’AFSSAPS dénombre le signalement d’une vingtaine de cancers, mais aucun lien de cause à effet n’est jusque-là établi.

Janvier 2012 : Le Ministre de la santé, demande des enquêtes à la Direction générale de la santé et à l’AFSSAPS pour déterminer si des défaillances dans les systèmes de contrôle avaient permis à la société PIP de commercialiser ses prothèses.

Dans le même temps, la presse révèle que le fondateur de PIP, avait précédemment reconnu lors d’un interrogatoire avoir produit et utilisé pour ses prothèses un gel non homologué, « moins cher […] et de bien meilleure qualité ». En parallèle, un distributeur de produits chimiques admet avoir fourni du silicone industriel à la société PIP, alors que l’avocat de ce dernier affirmait que les implants défectueux contenaient un gel alimentaire. Ce qui nous montre bien le caractère organisé de l’escroquerie, tout le monde savait et se taisait dans le but d’augmenter toujours plus les profits de l’entreprise, au détriment de la sécurité et de la santé des porteuses de prothèses.

Fin janvier 2012 : Le fondateur de la société PIP est mis en examen pour « blessures involontaires ». Il reste libre, placé sous contrôle judiciaire avec l’obligation de verser une caution de 100 000 euros dans un délai d’un an. L’OMS lance une alerte mondiale pour les implants mammaires PIP.

Mars 2013 : Procédure au civil. Assignation par plusieurs milliers de victimes et six distributeurs étrangers de PIP devant le Tribunal de commerce de Toulon du certificateur allemand pour « manquement à ses obligations de certification et de contrôle ». Qui sera condamné à verser des provisions aux victimes en novembre (appel) puis en décembre 2013 (demande de suspension) et enfin en janvier 2014.

Avril 2013 : Ouverture du procès au pénal devant le Tribunal correctionnel de Marseille pour « tromperie aggravée et escroquerie ». La décision est rendue en décembre 2013. Des condamnations sont prononcées mais appel du fondateur de PIP, qui reste encore libre (voir ci-dessus).

Novembre 2015 : Ouverture du procès en appel. La décision est rendue en mars 2015, confirmation des condamnations (voir ci-dessus).

 Elodie GUILBAUD

[1] Trib.corr. Marseille, 10 décembre 2013

[2] CA Aix-en-Provence, 2 mai 2015

[3] Dispositifs médicaux : vers une législation européenne sécurisante, le 23 octobre 2013, gillespargneaux.eu

[4] Récit de l’affaire PIP : scandale des prothèses frauduleuses, le 21 avril 2011, porteuses-de-protheses-mammaires-pip.over-blog.com

POUR EN SAVOIR PLUS

Méhana Mouhou, avocat, « Jugement des prothèses PIP : les condamnations sont tombés », le 5 février 2014, village-justice.com

Récit de l’affaire PIP : scandale des prothèses frauduleuses, le 21 avril 2011 (màj novembre 2015), porteuses-de-protheses-mammaires-pip.over-blog.com

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