Après l'affaire Cahuzac : grand ménage de printemps sur l’évasion fiscale

Difficile de passer à côté : depuis les aveux de Jérôme Cahuzac et les révélations de l’International Consortium of Inestigative Journalists  sur les investissements dans des paradis fiscaux, ou « juridictions à palmiers », l’indignation gronde contre l’évasion fiscale et le secret bancaire. Ces deux affaires intervenant au même moment, il devient difficile de distinguer tous ces termes et leurs implications fiscales. Seule certitude, ces pratiques permettent à des particuliers ou des sociétés de faire échapper à l’impôt français des sommes qui y seraient normalement dues. Petit point sur les régimes de lutte contre l’évasion fiscale en France.

 I. La nécessité d’adopter un langage précis pour décrire des réalités multiples

  1. Un paradis pour différentes réalités

Il est un terme sur lequel il faut insister : la notion de paradis fiscal n’existe pas en droit.

Cependant, l’OCDE a instauré depuis 2009 quatre critères permettant de reconnaître ce que les fiscalistes appellent un Etat ou territoire non-coopératif (ETNC). Pour résumer il s’agit d’Etats à fiscalité embryonnaire, recourant au secret bancaire sans pour autant collaborer avec les administrations fiscales d’autres Etats et tolérant les sociétés sans substance, ou « coquilles vides » n’ayant une existence que juridique. Qui sont-ils ? Depuis 2012, il s’agit de Brunei, du Guatemala, des Îles Marshall, Montserrat, Nauru, Niue, des Philippines et du Botswana. Exit donc les fameuses Bermudes et Caïmans. Une fois inscrits sur la liste française[1], les flux en provenance de ces pays seront soumis à une fiscalité dissuasive, afin d’ôter l’intérêt de l’implantation ou investissement,

Néanmoins cela ne signifie pas que les contribuables français sont libres d’investir librement dans le reste du monde ! Certains Etats, sans être des ETNC, offrent une fiscalité allégée aux investisseurs ; pour tous les Etats dans lesquels une entreprise paie moins de 50% de l’impôt qu’elle aurait eu à payer dans la même situation en France, on parle d’Etats à fiscalité privilégiée[2]. Qu’il s’agisse d’entreprises[3] ou de particuliers[4], au-delà d’un certain seuil les actionnaires ou associés de sociétés établies dans de tels Etats verront imposer en France une quote-part du résultat de la société étrangère. De plus, les intérêts, paiement de prestations de services et redevances versés à une société établie dans ces Etats ne sont pas déductibles en France et donnent donc lieu à réintégration et imposition[5]. Ces régimes peuvent potentiellement viser les implantations dans tous les Etats du monde, même si, et c’est heureux, le contribuable français pourra prouver que l’opération a à titre principal un objet ou un effet autre que la délocalisation des bénéfices dans l’Etat concerné[6], ce qui nécessite de prouver la notion de substance de l’implantation.

Enfin, certains régimes de faveur sont fermés aux Etats ou territoires n’ayant pas conclus avec la France de convention comportant une clause d’assistance administrative, ce qui est notamment le cas d’Etats cultivant le secret bancaire (Suisse, , Singapour etc) et réticents à livrer les informations. La France sanctionnera alors plus durement les atteintes à l’obligation de déclarer les comptes ouverts dans de tels Etats. Récemment le Luxembourg et l’Autriche ont annoncé qu’ils faciliteraient dorénavant la transparence et la transmission d’informations.

  1. Une évasion pour différentes opérations

L’évasion fiscale est une appellation qui doit être affinée afin d’être bien comprise.

Au regard de la fiscalité il faut en effet distinguer les hypothèses où une personne physique a des activités bancaires non déclarées à l’étranger des hypothèses où une personne physique ou morale investit dans une société établie dans un paradis fiscal. Dans le premier cas il va s’agir de sanctionner les personnes physiques qui transportent des liquidités ou valeurs d’un Etat à un autre sans le déclarer ou qui ouvrent, utilisent ou clôturent des comptes à l’étranger sans le déclarer. C’est donc l’absence de déclaration qui est ici sanctionnée, et non la fiscalité ou le secret bancaire de l’Etat étranger. En revanche, dans le cas des investissements c’est bien l’existence d’une fiscalité privilégiée dans l’Etat étranger qui entraîne la sanction en France.

Pour la France ces deux hypothèses relèvent de l’évasion fiscale et doivent être combattus : en dissimulant des sommes à l’étranger la personne physique diminue son imposition, celle-ci étant établie sur ses propres déclarations. De même, en investissant dans des filiales ou entités juridiques étrangères il existe un risque qu’une société française délocalise une activité hors de France pour le soustraire à l’impôt sur les sociétés. En effet, celui-ci, en application du principe de territorialité, ne s’applique qu’aux bénéfices réalisés dans des entreprises exploitées en France[7] . Sans disposition de lutte contre l’évasion fiscale, une société serait libre de construire le montage suivant : implanter une holding au Luxembourg détenant une marque transférée depuis la France et recevant les redevances de sociétés hors UE : le résultat serait alors imposable à un taux plus faible et la distribution à la société française quasi-exonérée en vertu d’une directive européenne. Il est encore possible pour un groupe de localiser toute sa marge à l’étranger en faisant facturer au prix fort les services ou biens vendus à la société française, qui verra donc son résultat et ses impôts baisser d’autant[8].

Dans tous les cas, si l’évasion est avérée, la société française sera imposée sur le résultat qu’elle a voulu délocaliser, à part si il est possible de démontrer que l’implantation a une substance réelle, une société n’ayant pas nécessairement que des motivations fiscales.

 paradise close

II. Le secret bancaire n’est plus à la portée de tous

  1. Quelles seraient les obligations fiscales violées par J.Cahuzac ?

Aucun Français n’ignore plus que J.Cahuzac a détenu en Suisse un compte bancaire, clôturé depuis et dont les fonds ont été transférés à Singapour, autre Etat cultivant le secret bancaire. Pour lutter contre ce genre de pratique, la France a mis en place des dispositifs de lutte contre les transferts sans intervention d’organisme financier ou par l’intermédiaire de comptes non déclarés.

Une première sanction vise les personnes physiques qui transfèrent vers un Etat membre de l’Union Européenne (UE) ou en provenance de celui-ci des sommes, titres ou valeurs sans l’intervention d’un organisme financier pour un montant supérieur ou égal à 10 000€ par transfert. Le même régime existe pour les transferts sortant ou entrant dans la communauté. On vise donc ici le « porteur de valise » qui transférerait des sommes entre Etats sans les déclarer à l’administration des douanes (d’où l’affiche dans les aéroports). La sanction est une amende égale à 25% de la somme ou sa confiscation ainsi que l’imposition en France des sommes transférées majorée de 40% si la sanction précédente n’est pas appliquée, l’administration devant prouver si la personne est résident étranger que les revenus concernés sont rattachables à la France..

Ce qui est vraisemblablement reproché à J.Cahuzac est de n’avoir pas déclaré un compte ouvert, utilisé ou clos en Suisse, ce qui aurait dû être fait à chaque déclaration de revenus. Il risque ainsi une amende de 10 000€ par compte non déclaré (au lieu de 1500€ car la Suisse n’avait pas conclu de convention d’assistance avec la France[9]) qui peut être portée à 5% si le solde créditeur est supérieur à 50 000€. Le contribuable sera de plus imposable en France des sommes concernées majorées des intérêts de retard et d’une majoration de 40% de la base imposable[10]. Le contribuable peut échapper à la sanction en prouvant que les sommes en question étaient exonérées ou avaient déjà été imposées en France .

  1. Quelles sont les sanctions pénales applicables à de telles manœuvres ?

Commençons par la fraude fiscale. le contribuable serait concerné s‘il s’avère qu’il s’est frauduleusement soustrait à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts, en ayant volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt. Ce manquement est sanctionné d’une amende de 500 000€ et d’un emprisonnement de 3 ans, augmenté à 1 000 000€ lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit de comptes ouverts dans des Etats pratiquant le secret bancaire[11], ce qui est le cas de la Suisse aujourd’hui.

Ensuite le blanchiment, caractérisé par la facilitation, par tout moyen, de la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.[12] Il est puni d’une peine de 5 ans de prison et de 375 000€ d’amende, porté à 10 ans et 750 000€ d’amende lorsqu’il s’agit d’un acte de bande organisée ou que l’acte a été facilité par l’exercice d’une activité professionnelle notamment.

Là où le droit se sublime, c’est quand ces deux régimes s’articulent pour donner place au « blanchiment de fraude fiscale », qui est le fait de réinjecter dans le circuit économique ses revenus non déclarés, soit en se faisant prêter une somme par la banque détenant les sommes non déclarées, celles-ci servant alors de garantie, soit en souscrivant un emprunt auprès d’un particulier, qui sera remboursé par l’argent dissimulé via des versements sur un compte offshore du prêteur.[13] La sanction est alors la même que pour le blanchiment et le point de départ de la prescription fixé au jour de la révélation des faits.

L’ironie est qu’en tant que Ministre du Budget, il avait renforcé les pouvoirs d’enquête de l’administration fiscale[14] notamment sur la communication des relevés de comptes bancaires qu’un contribuable détient à l’étranger sans les déclarer.

Mathieu Sabonnadière

Master 221 – Fiscalité de l’entreprise

Université Paris Dauphine



[1] Art 238-0-A CGI, vise les Etats non membres de l’UE ayant fait l’objet d’un examen de l’OCDE au regard de la transparence et de l’échange d’information, n’ayant pas conclu de convention avec la France et douze autres Etats

[2] Art 238 A CGI

[3] Art 209 B CGI

[4] Art 123 bis CGI

[5] Art 238 A al 3 CGI

[6] Art 209 B III CGI, présomption d’applicabilité mise en place par la LF2013, justement sous le ministère de J.Cahuzac

[7] Art 209-I CGI  .

[8] Art 57 CGI, art L13 AA et L13 AB LPF viennent limiter cette problématique dite des « prix de transfert »

[9] La première clause d’assistance administrative en la France et la Suisse a été conclue à partir du 1er janvier 2010

[10] Prévue à l’art 1758 CGI, elle est distincte de la pénalité de 40% pour mauvaise foi (art 1728 CGI) mais non cumulable.

[11] Art 1741 al 1 CGI, renforcé par la loi 2012-354 du 14 mars 2012 art 15

[12] Art 324-1 du Code pénal

[13] Bénédicte Lutaud dans quoi.info d’après Eric Vernier, Techniques de Blanchiment, Dunod, ed 2008

[14] Loi 2012-1510 du 29-12-2012 art 8,I,II-A,II-C à F,III et IV : FR 54/12 inf.46 n°2 à 8

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