Quelle architecture pour le futur code de la commande publique ?

La loi Sapin II du 9 décembre 2016 a habilité le Gouvernement à rédiger la partie législative du Code de la commande publique. Cette réforme s’inscrit dans le droit fil de la simplification du droit de la commande publique menée à la faveur de la transposition des dernières directives de l’Union européenne. Si la synthèse réalisée a été bien accueillie par les acteurs, acheteurs comme praticiens, elle ne constitue qu’un préalable à une codification depuis longtemps envisagée. Dans quelle mesure cette réforme peut-elle servir de base à la rédaction d’un code de la commande publique adapté aux acheteurs et aux usagers ? [1]

Le Code de la commande publique, une occasion souvent manquée

La réalisation d’un Code de la commande publique a déjà fait l’objet de plusieurs tentatives, toutes restées infructueuses. Déjà, dans le cadre de la loi de simplification du droit en 2004 [2], le gouvernement a été habilité à prendre des mesures par voie d’ordonnance pour faciliter les procédures de passation de marché publics. Elle a permis l’adoption de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés publics passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. Toutefois, le projet de code de la commande publique fut abandonné par un communiqué de presse du Ministère de l’Économie et des Finances du 14 novembre 2005. [3]

En 2009 [4], à nouveau pour 18 mois, le gouvernement a été habilité à réaliser un code de la commande publique, regroupant les règles applicables aux contrats non soumis au code des marchés publics. Le projet est toutefois mort-né à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 12 février 2009 [5], censurant l’article 33, au motif qu’il était « dépourvu de tout lien avec les dispositions qui figuraient dans le projet de loi », y voyant donc d’un cavalier législatif.

Ces initiatives avortées témoignent de la volonté contrariée de rédiger « un texte fondateur en matière de droit des contrats publics, définissant des principes communs relatifs à la passation et à l’exécution des contrats » [6]. Ce code répondrait ainsi aux recommandations du rapport public 2008 du Conseil d’État, et permettrait d’« introduire davantage de simplicité, de lisibilité et de sécurité dans notre droit des contrats » [7].

Les mérites des ordonnances des 23 juillet 2015 et 29 janvier 2016

Fort de ces revers antérieurs, le Gouvernement a saisi l’opportunité donnée par les directives adoptées le 26 février 2014 par l’Union européenne pour faire aboutir ses ambitions. Comme le notait Pierre Moscovici, alors ministre de l’économie et des finances et aujourd’hui commissaire européen aux affaires économiques, « la transposition des directives est l’occasion de repenser le droit interne de la commande publique pour qu’il retrouve son unité et sa cohérence » [8].

Les mérites de cette réforme s’apprécient, tout d’abord, en termes de sources. Aux quatre sources différentes en matière de marchés publics avant la réforme [9], se sont substituées deux ordonnances, une première du 23 juillet 2015 relatives aux marchés publics et une seconde du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, précisée par leurs trois décrets d’application, les décrets du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics et aux marchés publics de défense et de sécurité et le décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concessions.

Ces nouveaux textes ont également permis une redéfinition des catégories juridiques existantes. Si auparavant la notion de partenariat public-privé regroupait plusieurs types de montages contractuels, elle semble désormais être réduite aux marchés de partenariats (qui sont eux même qualifiés de marchés publics).

De même, alors que la concession n’était qu’un mode de gestion des délégations de service public en droit français, elle constitue aujourd’hui une catégorie aussi « recouvrante » que celle de marché public. L’ordonnance du 29 janvier 2016 et le décret du 1er février 2016, applicables à tous les types services, en donne la seule définition et le régime.

C’est pourquoi, après avoir procédé à la clarification des différents corpus de règles applicables aux marchés publics, la phase rédactionnelle du code a logiquement été initiée par la loi Sapin II [10], qui en son article 38 prévoit que le Gouvernement peut « procéder par voie d’ordonnance, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la promulgation de la présente loi, à l’adoption de la partie législative du code de la commande publique ».

La recherche de l’architecture la plus pertinente

La structure et le plan du Code ne peuvent s’observer qu’au regard du périmètre de ce dernier. Si l’habilitation prévoit effectivement une transposition à droit constant, y compris des règles jurisprudentielles [11], l’intégration de législations spécifiques n’est pas assurée. À titre d’exemple, l’intégration au code des dispositions relatives au régime des concessions autoroutières, déjà inclus dans le code de la voirie routière par la loi Macron, peut poser question.

Dans le projet inachevé de 2009, il était précisé que le code serait composé de 3 parties : la première concernant les principes généraux de la commande publique, la deuxième sur les règles spécifiques des contrats non soumis au code des marchés publics et enfin, la troisième sur les autres règles de la commande publique. Au vu des modifications de fond opérées par les ordonnances, il est difficile de penser qu’une telle construction sera retenue. 

image001Il semble logique que l’articulation du code de la commande publique puisse se dérouler autour des quatre grandes étapes de la commande publique, conformément à la structure des textes actuels : 1) Définition du champ d’application et des contrats ; 2) Préparation du contrat ; 3)  Passation du contrat ; 4) Exécution du contrat. Mais ces périodes doivent-elles  constituer des segmentations structurantes ou des subdivisions ?

Une hypothèse possible est que le code se subdiviserait en autant de livres [12] que de catégories de contrats de la commande publique. Le type de contrat serait alors structurant et les étapes seraient des subdivisions. Les quatre étapes de la vie du contrat seraient inscrits et reprises dans chaque livre. L’intérêt d’un tel découpage serait incontestable : une grande clarté pour l’utilisateur, mais au risque d’une réitération de dispositions identiques.

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Une autre option envisageable serait de considérer les quatre temps de la vie du contrat comme porte d’entrée. Les dispositions communes à ces quatre types de contrats seraient réunies dans un premier titre, suivi de chapitres distinctifs par type de contrat, contenant les dispositions spécifiques applicables à chaque contrat.

Cette option permettrait de réduire la quantité de texte en supprimant des articles doublons ou similaires [13], mais nuirait à la lisibilité du texte, le lecteur devant faire des allers-retours entre dispositions communes et spécifiques.

Le choix de la numérotation des articles s’effectuerait suivant la construction préférée. Si le code se répartit suivant les types de contrat, la numérotation décimale (type CGCT) paraît logique, permettant rapidement de différencier les dispositions applicables suivant la catégorie de contrat.

En revanche, si le code se déclinait en dispositions générales puis spécifiques, la numérotation n’aurait pas forcément d’utilité à être décimale, l’intérêt de séparer visuellement les dispositions générales des dispositions spécifiques allant moins de soi. La numérotation pourrait alors être continue (type Code Civil).

Le code des relations entre l’administration et le public : un exemple à suivre ?

Un exemple de codification récent peut inspirer le législateur : celui du code des relations entre le public et l’administration instituée par l’ordonnance et le décret du 23 octobre 2015. Ce code, d’une spécificité rare, s’éloigne «de la masse de l’œuvre codificatrice» [14]. L’intervention appuyée de la commission supérieure de codification, saisie une dizaine de fois au cours du processus d’élaboration, est de ce point de vue, notable. Le résultat est un code qui, au-delà de son caractère novateur, attire l’attention pour son agencement, composé d’un entremêlement des articles issus du domaine réglementaire et du domaine législatif, permettant une lecture plus accessible du code. À ce sujet, les professeurs Terneyre et Gourdou [15] notent que cette construction permet de pallier à un déséquilibre dans des droits où le droit réglementaire est quantitativement plus important. Cette solution est également indiquée pour un code peu volumineux.

Dans le cadre du futur code de la commande publique, il est souhaitable que cette combinaison puisse être retenue alors que le code ne devrait pas constituer un ouvrage particulièrement volumineux. De plus, les décrets des 1er février et 25 mars 2016 restent tant en nombre d’articles qu’en quantité textuelle plus épais [16] que les ordonnances marchés publics et concessions. Juxtaposer les articles légaux et réglementaires permettraient de faciliter la compréhension des procédures, et in fine à une efficience et une simplicité textuelle, objets des volontés codificatrices.

En outre, la présence d’un livre spécifique pour les dispositions applicables à l’Outre-Mer dans le Code des relations entre l’administration et le public, se retrouve déjà dans un livre III des ordonnances marchés publics et concessions. Tout laisse penser que le Code verra une partie spéciale réservée aux dispositions d’outre-mer, pour les différencier du droit applicable en métropole afin d’en permettre une lisibilité accrue.

L’issue de cette réflexion reste en suspens, comme le relèvent les professeurs Terneyre et Gourdou [17].

S’il est seulement permis d’émettre des hypothèses sur la rédaction future du code de la commande publique, on ne peut que souhaiter que l’architecture retenue sera celle qui paraitra la plus claire pour les rédacteurs et la plus simple d’utilisation pour les acteurs de la commande publique. Qu’ils soient acheteurs chargés de veiller à la meilleure utilisation des deniers publics, ou PME souhaitant remporter de nouveaux marchés, les rédacteurs du Code se doivent de leur livrer un « instrument à la fois utile et maniable » [18], pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs économiques.

Nicolas Farré
Master 2 Droit public des affaires
Université Toulouse 1 – Capitole

[1] Suivant en cela les préconisations du Conseil d’État et du Secrétariat Général du Gouvernement d’un « code adapté au projet et à l’usager » – Guide de Légistique, 1.4.2 Codification (considérations générales), 4 mars 2015
[2] Art. 65 de la loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit
[3] Alain Ondoua, Fasc-10 : notion de contrat administratif, Jurisclasseur contrats et marchés publics, mise à jour 2016, p.6, 49
[4] Art. 33 de la loi du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés
[5] Conseil constitutionnel, déc. n° 2009-575 DC, 12 février 2009, Loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissements publics et privés
[6] Op.cit. Alain Ondoua
[7]  Conseil d’État, Le contrat, mode d’action publique et de production de normes – Rapport public 2008, EDCE n° 59,p.253
[8] Pierre Moscovici, Clôture du colloque sur la transposition des directives européennes relatives aux marchés publics, 12 mars 2014, p.5 [En ligne] Disponible sur : http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/17150.pdf (consulté le 19/02)
[9] Code des marchés publics, ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005, décret n°2005-1742 du 30 décembre 2005 et décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005
[10] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
[11] Dacosta Bertrand, Roussel Sophie, Commande publique : vers un code fin 2018, Editorial de la lettre de la DAJ n° 227, 9 mars 2017
[12] Ou partie, titre, chapitre suivant la consistance de l’ouvrage
[13] Pour exemple : les articles 1,3, 10, 11 des ordonnances, ou notamment les contrats exclus du champ d’application qui représentent une grande similitude et restent volumineux.
[14] Philippe Terneyre, Jean Gourdou, L’originalité du processus d’élaboration du code : le point de vue d’universitaires membres du « cercles des experts » et de la Commission supérieure de la codification, RFDA, 2016, p.9
[15] Op. Cit. Philippe Terneyre, Jean Gourdou
[16] Les ordonnances représentent un total tout compris (visa, signature etc.) de 52243 mots contre 63203 pour les décrets. Il convient de noter que le décret concession ne représente que 10 641 mots contre 17760 pour l’ordonnance.
[17] Op.cit. Philippe Terneyre, Jean Gourdou
[18] Op.cit. Guide de légistique

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