Autorisations d’urbanisme : Halte aux recours abusifs !

S’il existe un cheval de bataille pour les promoteurs immobiliers, c’est bien celui de la lutte contre les recours abusifs envers les autorisations d’urbanisme. La profession avance en effet une paralysie dans la construction de 33 000 logements du fait de recours abusifs. Dans un contexte de pénurie de logements dans certains secteurs de France (Paris et ses alentours en tête), ce chiffre a de quoi alerter, bien que celui-ci soit contesté par de récents rapports. Pour autant, cette question mérite une attention particulière au regard des récentes évolutions.

Evolutions au regard de l’intérêt à agir d’un requérant en annulation d’une autorisation d’urbanisme

Le législateur s’est d’ailleurs déjà emparé de la question. L’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme vise à accélérer les délais et le traitement des contentieux en matière d’urbanisme, ainsi qu’à prévenir les recours dits « abusifs » contre les autorisations d’urbanisme, tout en préservant le droit au recours, de valeur constitutionnelle, dans l’objectif de faciliter la réalisation d’opérations d’aménagement et de construction de logements.

Avec cette ordonnance, le législateur a notamment crée un article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme visant à encadrer l’intérêt à agir pour former un recours contre un permis de construire, et dont les modalités ont été précisées dans un arrêt du Conseil d’Etat du 10 juin 2015[1].

Dans cette continuité, un arrêt récent du 10 février 2016[2] du Conseil d’Etat a prolongé le durcissement de cet intérêt à agir en imposant des conditions qui semblent bien strictes pour admettre la recevabilité des requérants.

Dans son considérant 4, le Conseil d’Etat indique que : « les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux, […], pour justifier leur intérêt à agir, les requérants se sont bornés à se prévaloir de leur qualité de « propriétaires » de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses  ; que, par ailleurs, les pièces qu’ils ont fournies à l’appui de leur demande établissent seulement que leurs parcelles sont mitoyenne pour l’une et en co-visibilité pour l’auteur du projet litigieux ».

Le Conseil d’Etat ajoute qu’alors que le greffe du tribunal administratif les a invités à apporter des précisions pour apprécier l’atteinte, les requérants « se sont bornés à produire, […], la copie de leurs attestations de propriété ainsi que le plan de situation cadastral déjà fourni ».

Avec cet arrêt, le Conseil d’Etat a considérablement durci les conditions de recevabilité d’un requérant qui agit en annulation d’un permis de construire. Pour preuve, la mitoyenneté entre l’habitation du requérant et la future construction n’est pas suffisante pour établir une présomption d’intérêt à agir !

Le requérant doit donc préciser très clairement son intérêt affecté et apporter des éléments probants très précis et explicites.

Néanmoins, il nous faudra attendre de futures décisions du Conseil d’Etat pour poursuivre la construction de l’édifice de l’intérêt à agir et confirmer cette position très stricte, surprenante dans son exigence pour certains commentateurs, et dont on prédit un assouplissement.

Pour autant, l’évolution vers un intérêt à agir plus stricte est notable avec ces volontés récentes, tant législatives que jurisprudentielles, et ce afin de limiter les recours abusifs en annulation d’autorisations d’urbanisme.

Evolutions au regard de la violence économique

Une autre notion arrive au secours des promoteurs : c’est celle de la violence économique. Introduite tout d’abord par une volonté prétorienne, la réforme du droit des contrats qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016 (sous réserve de sa ratification dans les temps par le Parlement) va venir apporter un nouvel élément légal dans la lutte contre les recours abusifs.

C’est un arrêt de la 1ère Chambre Civile de la Cour de cassation du 4 février 2015[3] qui est venu ouvrir la voie en introduisant la notion de contrainte économique dans le monde des permis de construire.

Dans cet arrêt, les sociétés Bouygues Immobilier et Parismed ont transigé avec la société Karous afin que cette dernière renonce à exercer des recours contre trois permis de construire délivrés à Bouygues Immobilier, en contrepartie d’un versement de 500 000 euros. L’indemnité n’ayant pas été réglée, la société Karous a fait pratiquer une saisie-attribution au préjudice de Bouygues Immobilier, qui a alors invoqué la nullité du contrat pour violence ou pour défaut de concessions réciproques.

La Cour de cassation a conclu à la nullité de la transaction consentie sous la contrainte des recours en annulation des permis de construire :

« Attendu que […], l’arrêt retient que cette menace illégitime a fait naître, pour la société, la crainte de voir mettre en échec une vaste et coûteuse opération immobilière, […], que la cour d’appel, caractérisant ainsi la contrainte économique exploitée par la société Karous pour amener son cocontractant à lui consentir une indemnité transactionnelle d’un montant particulièrement élevé, a, par ces seuls motifs, justifié légalement sa décision de tenir la transaction pour nulle ».

Il est à noter que la société Karous était déjà dans le viseur des juridictions en ayant pour habitude, directement ou indirectement, d’exercer des recours abusifs.

Néanmoins cet arrêt présente un intérêt certain quant à l’utilisation de la contrainte économique, assimilable à la violence, pour décourager les requérants de menacer de recours abusifs les promoteurs afin de les forcer à transiger, faisant peser la crainte d’une augmentation considérable des délais des projets avec la prise en compte d’une période contentieuse.

Le deuxième apport notable de cet arrêt est la prise en considération de l’envergure de la société Bouygues Immobilier : la Cour de cassation admet en effet que l’envergure financière du promoteur n’empêche pas que celle-ci subisse une contrainte économique de la part de son cocontractant réclamant une indemnité illégitime.

Désormais, il est à parier que la violence économique sera largement plaidée dans les contentieux relatifs aux recours contre les permis de construire.

En effet, si la jurisprudence a ouvert une voie, l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations vient renforcer ce moyen de défense.

Jusqu’alors d’une manière générale, l’assimilation de la contrainte économique à de la violence a été réalisée par la 1ère Chambre de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 mai 2000[4] qui a jugé que « la contrainte se rattache à la violence et non à la lésion », solution affirmée dans un arrêt du 3 avril 2002[5] où la Cour de cassation est venue poser définitivement le principe d’un vice de violence économique rattaché au vice de consentement.

Or, la réforme du droit des contrats du 10 février 2016 vient consacrer légalement la violence économique avec l’article 1143 qui disposera à compter du 1er octobre 2016 que :

« Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui en engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

Le législateur assimile donc l’abus de dépendance à la violence économique.

Cet article va maintenant être un levier légal pour les promoteurs, s’ajoutant aux solutions prétoriennes, permettant d’obtenir la nullité des transactions passées sous contrainte, afin de prévenir le risque contentieux chronophage des recours contre les autorisations d’urbanisme.

Le futur article 1143 pose cependant la condition que la partie « en tire un avantage manifestement excessif« , cette condition sera amenée à être précisée en jurisprudence pour déterminer quels éléments sont pris en compte pour définir  l’avantage manifestement excessif (montant de l’indemnité au regard de l’ampleur du projet ? de la santé financière du cocontractant ? etc…)

Ces éléments s’ajoutant à la possibilité pour le bénéficiaire du permis de réclamer des dommages et intérêts au requérant pour recours abusif en vertu de l’article L 600-7 du Code de l’urbanisme, ces solutions semblent aller vers une volonté de limiter et décourager les recours abusifs contre les autorisations d’urbanisme afin de ne pas freiner la construction.

Pour autant, est-il possible d’imaginer d’ici quelques années ou décennies une éradication totale des recours abusifs, même avec toutes les meilleures volontés législative et prétorienne réunies ?

Il peut sembler idéaliste d’imaginer que oui, car même si divers rapports révèlent que les français considèrent qu’il n’y a pas assez de logements en France, ce n’est pas pour autant qu’ils souhaitent voir lesdites constructions se faire dans leur cadre de vie, selon le fameux syndrome NIMBY (not in my backyard).

Fanny ETIENNE

[1] CE, 10 juin 2015, n° 386121 et article « la définition attendue des modalités de mise en œuvre de l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme », Le Petit Juriste, 5 janvier 2016

[2] CE, 10 février 2016, 2016, n°387507

[3] Cass 1ère Civ, 4 février 2015, n°14-10920

[4] Cass 1ère Civ, 30 mai 2000, n°98-15242

[5] Cass 1ère Civ, 3 avril 2002, n°00-12932

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