« Avocats debout » : la consultation juridique au coeur de la cité ?

            La mise en place par les « Avocats Debout », fondé par Me Dominique Tricaud, de consultations juridiques sur la Place de la République relance le débat classique de l’accès au droit par les justiciables : comment permettre à tous de connaitre ses droits, et surtout de les mettre en œuvre ?

 

L’accès à la justice : un droit fondamental

Le droit d’accès à un tribunal est garanti par l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne a notamment estimé dans son arrêt Golder c. Royaume-Uni qu’ « on ne comprendrait pas que l’article 6, § 1 décrive en détails les garanties de procédure accordées aux parties à une action civile en cours et qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet d’en bénéficier en réalité: l’accès au juge »[1].

Consacrant l’effectivité du droit à un procès équitable par cette décision, la Cour de Strasbourg est amenée à censurer les obstacles au droit. Néanmoins, il est aisé de remarquer que ce principe est souvent entravé.

 

Des textes éloignés des justiciables

L’adage « nul n’est censé ignorer la loi » est assurément mis à mal par la pratique. La technicité croissante du droit, et l’avalanche de textes juridiques réactualisant de manière obscure les normes applicables tendent à entraver l’accès au droit des justiciables.

De nombreuses difficultés préexistent à une action en justice et continuent tout au long de la procédure. Le premier obstacle répond de la complexité du droit. Pour le justiciable, il devient complexe de comprendre clairement les voies d’instance qui lui sont offertes. Or, sans compréhension, sans conscience des droits et des devoirs qu’il possède, le citoyen ne peut utiliser le droit comme outil de protection pour les faire reconnaitre. En ce sens, la Cour européenne des droits de l’homme estime que l’effectivité du droit d’accès à un tribunal suppose la possibilité claire et concrète pour l’individu de contester un acte allant à l’encontre de ses droits[2].

 

Le coût de la procédure : un frein pour les justiciables

L’une des principales contraintes évoquée concernant l’accès à la justice est celui du coût élevé de la procédure judiciaire. Effectivement, la précarité que connaissent certains peut stopper leur volonté d’effectuer une action en justice. Les explications données par ceux-ci s’accumulent : l’incertitude de la décision du juge, l’obligation d’être représenté par un avocat, la peur d’être moins bien défendu en cas de recours à l’aide juridictionnelle, le faible montant des sommes en jeu, etc.

Il est donc nécessaire d’offrir un premier contact entre les professionnels du droit et les justiciables, sans que cela ne passe nécessairement par un entretien formel dans le cabinet. Le but est ici de dédramatiser le recours à un conseil juridique.

Plusieurs permanences juridiques existent déjà. Elles sont mises en place par le ministère de la Justice[3] : dans les palais de justice directement ou dans les missions locales notamment. Ces antennes juridiques permettent aux justiciables de questionner des professionnels du droit (avocats, juristes, notaires, etc.). Le barreau de Paris a même mis en place depuis quelques années un « bus de la solidarité » en partenariat avec la mairie de Paris et l’association Droits d’urgence. Cinq fois par semaine et toute l’année, les 3 avocats à bord du bus répondent gratuitement et sans rendez-vous, aux questions des particuliers (plus d’info par ici).

Sur Twitter, plateforme principale de communication du mouvement, des critiques se sont élevées contre les #Avocatsdebout : ce pro-bono ne résulte-t-il pas d’un « phénomène de mode » ? Une manière pour les avocats de « chasser le client » ? Face à ces critiques, les organisateurs ont tenu à rappeler que les consultations étaient anonymes, et qu’aucune carte de visite n’était transmise par les participants[4].

 

Avocats Debout : un renouveau des consultations juridiques gratuites?

Un bémol persiste cependant. D’une part, ces antennes juridiques sont mal connues du public. Peu de justiciables savent qu’une aide juridique gratuite leur est proposée dans l’enceinte du palais ou de la mairie. Si certains barreaux commencent à communiquer dessus, le citoyen n’en a pas forcément connaissance

Ainsi, le barreau de Paris a tiré la sonnette d’alarme depuis 2012 en créant « l’Avocat dans la cité », un évènement qui se passe une fois par an, notamment sur le parvis de l’Hôtel de ville[5]. L’initiative a été saluée, mais elle est insuffisante pour une partie de la profession. Certains estiment qu’un événement aussi ponctuel ne garantit pas l’accès au droit des citoyens.  De la même manière, le « bus de la solidarité » n’est pas fixé dans un lieu unique : chaque jour, il se déplace à côté des différentes portes encadrant Paris. Cette difficulté d’accès et ce perpétuel mouvement peut annihiler l’efficience d’un tel dispositif.

D’autre part, les antennes de consultations juridiques sont situées dans des lieux qui ne sont pas exempts de préjugés. Ainsi, Me Eolas a estimé sur Twitter que « pour un sans-papier, les contrôles vigipirates des mairies ou ceux du Palais sont assez rédhibitoires ».

 

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La méconnaissance de telles permanences et les préjugés qui lui sont inhérents, ont donc conduit certains avocats à se placer directement sur la Place de la République. Ils réinvestissent la cité et entrent directement en contact avec le justiciable. Ces consultations juridiques sont, pour la quasi-totalité, des éclaircissements sur le droit du travail, la réforme à venir, et les droits existants lors d’une interpellation et une garde à vue. L’objectif de ces professionnels est de permettre aux citoyens de se ré-approprier le droit comme outil de protection, et non plus comme moyen d’oppression.

Par ailleurs, pour les questions de droit qui nécessitent un examen approfondi, les AvocatsDebout répondent de manière succincte et invitent les justiciables à se tourner vers les permanences juridiques existantes. Ils constituent donc un relai de communication indéniable pour ces dernières.

La vice-bâtonnière du barreau de Paris Dominique Attias a salué cette initiative des avocats, en considérant qu’elle était en adéquation avec le serment prêté par les avocats, « conforme au principe d’humanité et de désintéressement [6]».

 

Magalie JULLIEN

[1] CEDH, Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, Requête no 4451/70

[2] CEDH, Gouffre de la Pradelle c. France, 16 décembre 1992

[3] http://www.annuaires.justice.gouv.fr/annuaires-12162/annuaire-des-permanences-juridiques-21770.html

[4] Chloé Pilorget-Rezzouk, A la rencontre des « Avocats debout », place de la République, www.europe1.fr, 20 avril 2016

[5] http://www.avocatcite.org

[6]  Olivier Hielle et Anne Portman, Des avocats debout contre la précarité juridique, Dalloz Actu, Ed.20 avril 2016.

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