« Brexit » : perspectives fiscales

À l’issue du référendum ayant eu lieu le 23 juin 2016, le peuple britannique a voté sa sortie de l’Union européenne. Fait étonnant, le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit ce cas de figure inédit, en son article 50. Dans un tel cas, il est fait notification à la Commission par le gouvernement, après quoi un délai de deux ans est ouvert durant lequel sont négociées les conditions de sortie de l’Etat concerné. Ainsi, à l’issue de ce délai, et sauf prorogations particulières, le Royaume-Uni deviendra un pays tiers à l’Union : l’union douanière, le marché commun, les règlements européens, les règles imposées par les directives ou encore les sanctions de la CJUE sont autant de notions qui ne concerneront plus le Royaume insulaire.

Les implications fiscales de l’Union européenne

L’UE est une union douanière et un marché commun, ce qui met logiquement la fiscalité au centre des dispositions communautaires. L’union douanière élimine les droits de douanes pour les échanges intra-communautaires et instaure une barrière douanière commune. Les Etats membres de l’Union partagent un régime de TVA qui s’est progressivement harmonisé sur tout le territoire. La TVA constitue même une part du budget de l’Union.

Pour ce qui est de l’imposition des sociétés, il n’existe pas d’harmonisation. Si les obstacles aux activités transfrontalières sont en partie traités par les directives communautaires, l’impôt sur les sociétés reste une compétence nationale. Toujours est-il que l’adhésion à l’Europe est loin d’être neutre sur le plan de la fiscalité et les conséquences de la récente décision du peuple britannique se doivent d’être considérées.

Vers une TVA britannique autonome

Si elles ne sont pas uniformisées, depuis la sixième directive TVA du 17 mai 1977, les règles en matière de TVA ont été progressivement harmonisées au sein de l’Union. Ces règles communes, suite à la sortie du Royaume-Uni de l’Union, ne s’imposeraient plus à ce dernier. Par exemple, le régime des importations et exportations intracommunautaires ne s’imposerait plus et le Royaume-Uni pourrait imposer à la TVA les exportations vers l’Union. Bien qu’on puisse s’attendre à des allègements du taux de la TVA Britannique suite au « Brexit », un changement de structure du système de la TVA semble peu probable, du moins à court terme. En effet, et afin d’éviter de désavantager ses exportations, le pays sortant a tout intérêt à conserver certains principes applicables à la TVA au sein de l’Union Européenne. Notamment, une imposition à taux zéro afin d’éviter les doubles impositions lors des exportations est un gage de compétitivité qui ne pourra pas être ignoré par le législateur. Si les Britanniques devront composer avec une TVA autonome, la perspective d’une révolution en la matière est peu plausible.

Un nouveau départ pour l’impôt sur les sociétés au sein de l’UE ?

L’impôt sur les sociétés est au centre des discussions européennes contemporaines. Tandis que l’OCDE travaille sur le projet BEPS, la Commission a récemment relancé le débat sur l’adoption d’une Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des sociétés (ACCIS). Si la lutte contre l’érosion des bases imposables et le rapprochement des législations peuvent compter certains soutiens réels, le Royaume-Uni est un des adversaires les plus criants du projet d’ACCIS. Pour le Royaume Uni, la sortie de l’Union signifie alors une récupération de sa souveraineté fiscale en la matière. À l’inverse, pour l’Union européenne, cette sortie pourrait faciliter l’avancée vers l’harmonisation des législations fiscales, vers l’échange automatique d’information et vers la lutte contre l’érosion des bases d’imposition des sociétés. Bien que subsistent, au sein de l’Union, des opposants au projet, le débat sera surement rapidement relancé.

Un possible maintien d’une union douanière

Autre donnée à considérer, la sortie de l’Union Européenne implique une sortie de l’union douanière, porte drapeau de l’intégration européenne et du marché unique. Néanmoins, il faut noter qu’une union douanière existe entre l’Union européenne et la Turquie, pourtant non membre, en vertu de l’accord d’Ankara. Ainsi, il n’est pas impossible que le Royaume Uni signe un accord bilatéral semblable afin de rester dans l’union douanière. Aussi, il est probable que le Royaume-Uni se joigne à l’Espace Économique Européen, lui ouvrant ainsi un accès aux libertés de circulation mais ne garantissant pas une union douanière.

À défaut d’union, les échanges entre l’Union européenne et le Royaume-Uni se verraient freinés par une barrière douanière, au même titre que les échanges existants avec la Norvège. Les tarifs douaniers seraient alors déterminés par des relations bilatérales entre le Royaume et chaque Etat membre, la clause de la nation la plus favorisée régulant les négociations (aux termes des Accords de l’OMC, les pays ne peuvent pas, en principe, établir de discrimination entre leurs partenaires commerciaux. Si un pays accorde à un autre un tarif douanier favorable, il doit le faire pour tous les autres membres de l’OMC).

Toujours est il qu’environ la moitié des exportations britanniques se font vers l’Union européenne. Le retour des droits de douane ne semble alors pas souhaitable afin de ne pas freiner ce commerce. Cette donnée non négligeable sera surement au centre des discussions qui vont accompagner le « Brexit ».

La fin des règles sur les retenues d’impôt à la source

Deux principales directives européennes ont pour effet de favoriser la liberté d’établissement en évitant les doubles impositions. D’une part, la directives Intérêt et redevance interdit les retenues à la source sur les distributions d’intérêts et de redevances entre sociétés d’un même groupe établies sur le territoire de l’Union. D’autre part, la directive mère-fille supprime les retenues à la source sur les distributions de dividendes d’une filiale vers sa mère lorsque les deux sociétés sont situées sur deux Etats membres de l’Union.

Or, une grande partie des sièges sociaux des multinationales européennes sont situés sur le sol de la Couronne. Les filiales européennes ne pourront ainsi plus profiter de ces deux régimes et se verront, à défaut de convention de double imposition, imposer des retenues à la source sur leurs distributions de dividendes ou d’intérêts vers leurs mères britanniques. Évidemment, des conventions fiscales bilatérales pourraient permettre d’atténuer les doubles impositions, mais rien ne garanti à ce stade que ces conventions auront un effet aussi efficace que les directives européennes (à savoir 0% de retenue d’impôts à la source).

Un gain de liberté en matière d’aides d’Etat britanniques

La construction européenne d’un marché unique est largement fondée sur l’élimination des obstacles à la libre concurrence. Ainsi, les aides publiques d’Etat sont prohibées lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet de restreindre le commerce entre les Etats membres. Ces aides peuvent être positives (c’est le cas lorsqu’il y a un transfert d’argent), mais elles peuvent également être négatives, auquel cas elle peuvent avoir un caractère fiscal (exonérations et régimes favorables discriminatoires). Ainsi, le Royaume-Uni par sa sortie s’offre la possibilité de modifier sa politique fiscale, sans redouter les remontrances de la Cour de Justice de l’Union européenne ou de la Commission. Des régimes fiscaux favorables pourront être mis en place afin d’accroitre la compétitivité de certains secteurs, de certaines entreprises sur le territoire britannique. En somme, c’est un véritable protectionnisme qui pourra être mis en place par le biais de la fiscalité.

 

 

Nicolas Planard

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