La CEDH va t-elle pousser à une réforme de notre Procédure pénale ?

 


 

S’il fallait mettre en avant un arrêt fondamental récemment rendu par la Cour de Strasbourg, il faudrait sans doute choisir l’arrêt MEDVEDYEV c/ France (CEDH, 10 juill. 2008, n° 3394/03). Cette décision soulève des questions majeures.

 


 

 

Tout d’abord, cette décision a un impact direct sur la Procédure pénale française. Déjà au cœur de plusieurs débats (suppression du juge d’instruction, indépendance des magistrats du parquet…), cette matière fait l’objet d’un travail en commission depuis plusieurs mois (Le Comité de réflexion sur la rénovation des codes pénal et de procédure pénale, présidé par le Haut Magistrat Philippe Léger).

 

Il permet également de s’interroger sur les limites de l’influence politique et morale des arrêts de la Cour européenne.

 

Tout juriste sait combien la Cour de Strasbourg dispose d’une influence morale considérable aujourd’hui en droit français. Son rôle de contrôle des décisions françaises a conduit à maintes reprises, le législateur à consacrer ses jurisprudences. Qui aurait pu prévoir cette influence il y a plus de 40 ans, lorsque la France a ratifié la Convention européenne des Droits de l’Homme ?

 

Plus encore, le nombre d’affaires mettant en cause la France devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) est en constante augmentation. Le “pays des Droits de l’Homme“ est celui qui donne à la Cour européenne le plus gros de son travail. Les multiples évolutions des règles de droit interne qui ont suivi de nombreux arrêts de la Cour de Strasbourg démontrent qu’il faut être particulièrement vigilant aux arrêts, surtout aux arrêts remettant en cause des principes de la procédure pénale française pourtant bien ancrés.

 

C’est le cas de l’affaire Medvedyev. Pour beaucoup, l’arrêt rendu par la CEDH est susceptible d’entrainer la révision de pans entiers de notre procédure pénale. Il intervient dans un contexte où la révision de cette matière était déjà d’actualité.

 

 

Les faits de l’arrêt MEDVEDYEV

 

 

Après avoir été informées qu’un navire, « Le Winner », battant pavillon cambodgien, était susceptible de transporter des produits stupéfiants, les autorités de la marine française ont demandé et obtenu l’accord des autorités cambodgiennes aux fins de procéder à son arraisonnement. L’interception du Winner a été réalisée par la marine au Cap Vert.

 

Les marins suspectés ont ensuite été détenus dans leur bateau et envoyés vers la France pour être présentés devant les autorités judiciaires. Les autorités françaises ont visité le navire et placé sous scellé les pièces à conviction et ont décidé de dérouter le navire. Cette détention a duré 13 jours au total avant que le bateau n’arrive en France, à Brest.

 

Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, les requérants se disent victimes d’une privation de liberté. Ils soulignent qu’ils ont été détenus sur le bateau durant treize jours sous la surveillance des forces militaires françaises sans que cette détention n’ait été contrôlée par une autorité judiciaire. Ils dénoncent ensuite l’imprécision des textes fondant cette privation de liberté.

 

 

 

 

La réponse de la Cour

 

 

La non-violation de l’article 5 § 3 de la Convention européenne

 

 

Les requérants invoquaient une violation de l’article 5 de la Convention, dont les paragraphes 3 et 5 sont libellés ainsi :

« […] 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

 

La Cour de Strasbourg répond qu’aucune des dispositions nationales et internationales invoquées n’autorisait « expressément la privation de liberté des membres de l’équipage du navire intercepté » (§ 61 de l’arrêt). De plus, aucunes des dispositions ne prévoient la possibilité de contacter un avocat ou des proches et aucune ne prévoit le contrôle d’une autorité judiciaire.

 

La Cour écarte pourtant cet argument en raison des circonstances exceptionnelles de l’espèce. « L’inévitable délai d’acheminement du Winner vers la France » est ainsi pris en considération par la Haute juridiction européenne. Il n’était pas possible de traduire les prévenus plus rapidement.

 

 

Le droit invoqué : le droit à la sûreté

 

 

Le droit à la sûreté est posé par des normes constitutionnelles : Article 66 de la Constitution.

 

Article 66 de la Constitution :

« Nul ne peut être arbitrairement détenu.

L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

 

L’enjeu réside dans la qualification des personnes entrant dans le champ de “ l’autorité judiciaire“. Cette question a été réglée depuis longtemps par le Conseil constitutionnel qui a fixé la jurisprudence et la loi par deux décisions :

Décision du 20 Janvier 1981 : toute privation de liberté avant jugement excédant 48 heures doit nécessairement être autorisée par un magistrat du siège.

 

Décision du 11 août 1993 dite « garde à vue » : le Conseil constitutionnel considère qu’au-delà de 24h la décision doit être autorisée et contrôlée par l’autorité judiciaire. On se satisfait alors de l’intervention du Procureur de la République.

 

La loi française comme la jurisprudence se sont donc fait une idée claire : le procureur de la République fait partie de l’autorité judiciaire

 

 

L’apport principal de l’arrêt : le Procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire

 

 

La CEDH indique au § 61 que « force est cependant de constater que le procureur de la République n’est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ».

Si la Cour a d’abord considéré que la durée de la détention n’entrainait pas de violation de l’article 5, elle constate en revanche la violation de l’article 5 §1 de la Convention en ce que le Procureur ne pouvait pas décider d’une telle détention en ce qu’il n’est pas une autorité judicaire.

 

On voit donc apparaitre une nette contradiction entre la tradition du droit pénal français et la considération de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

 

Cette position de la Cour européenne est contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, saisi de l’application de l’article 66 de la Constitution à la prolongation de la garde à vue autorisée par le procureur (décision du 11 aout 1993 dite « garde à vue » Cf. infra) a par cette décision implicitement considéré que Le Procureur était une autorité judiciaire.

 

Il est possible d’ajouter une autre décision du Conseil constitutionnel qui avait encore remarqué qu’« en vertu de l’article 20 de la Constitution, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, notamment dans le domaine de l’action publique ; que l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, place les magistrats sous l’autorité du ministre de la Justice ; que l’article 30 nouveau (…) ne méconnaît ni la conception française de la séparation des pouvoirs, ni le principe selon lequel l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle » (Cons. const., déc. 2 mars 2004, n° 2004-492, § 98 : JO 10 mars, p. 4634).

 

Le gouvernement français voyant que cette décision remettait en cause le statut du parquet et surtout des procureurs de la République a donc porté l’affaire devant la Grande chambre, formation la plus solennelle de la CEDH.

 

 

 

 

 

Les enjeux soulevés par cet arrêt

 

Depuis quelques années déjà, la Cour européenne est attentive à certains pans de notre procédure pénale et en particulier à l’indépendance des magistrats du parquet.

 

Par cet arrêt, la CEDH entend remettre en cause le rôle du Procureur de la République en pointant une fois encore qu’il n’est pas indépendant. Le statut des procureurs français est spécifique. Selon l’ordonnance du 22 Décembre 1958, « les magistrats du parquet sont [soumis hiérarchiquement] au garde des sceaux même si leur parole à l’audience est libre ». Effectivement, en France, la Constitution de 1958 prévoit que les procureurs sont à la fois indépendants mais soumis au pouvoir politique.

 

Ce statut ambigu est déclamé depuis longtemps. Le net lien hiérarchique avec le ministère de la justice n’a rien arrangé depuis 2002. Madame Rachida Dati, alors Garde des Sceaux, avait déclaré “je suis la chef des procureurs“. Plus récemment Madame la Ministre de la justice Michèle Alliot-Marie, a ordonné au procureur général d’interjeter appel de l’arrêt de la Cour d’assises des mineurs dans l’affaire du meurtre d’Ilan Halimi par le “gang des barbares“.

 

Si cet arrêt est confirmé par la grande chambre, de nombreuses incidences seront à observer en procédure pénale française. Tout d’abord, il sera l’occasion de se demander si la réforme du juge d’instruction sera toujours au goût du jour (plus précisément de son remplacement. Voir notre article à ce sujet, datant du 5 mars 2009). La proposition vise en effet à donner au parquet le pouvoir d’enquête qui était l’une des prérogatives du juge d’instruction.

 

Les 181 Procureurs de la République et leurs substituts doivent donc s’interroger sur leur sort et se demander quel sera leur place dans le procès du futur.

 

Le problème reste en suspens concernant l’arrêt de la CEDH réunie en grande chambre (cet arrêt est prévu pour le mois de septembre 2009). On pourra alors voir si la Cour incite une fois encore les Etats à renforcer les conditions pour que les membres du parquet aient un statut réel de magistrat.

 

Adrien Chaltiel

 

 

Pour en savoir plus :

– Publication au JO : Assemblée nationale du 10 mars 2009 : réponse du Garde des Sceaux, ministère de la Justice à une question de la députée Mme Danielle Bousquet concernant l’arrêt Medvedyev de juillet 2008.

 

 

– La Semaine Juridique Edition Générale n° 16, 15 Avril 2009, act. 200 « Encore et toujours la Cour européenne des droits de l’homme » Libres propos par Michèle-Laure Rassat – professeur émérite des facultés de droit

 

 

– Un séisme judiciaire : pour la Cour européenne des droits de l’homme, les magistrats du parquet ne sont pas une autorité judiciaire. Jean-François Renucci (D. 2009, pp. 600 et s.).

 

 

 

 

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