Des droits même en prison ?

La France, «la patrie des droits de l’homme» 1 a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Bien que cela semble être une allégation paradoxale, elle est bien réelle. En plus, récemment la France a été condamnée pour sa surpopulation carcérale qui inévitablement fait la une. En ce qui concerne la situation des détenus, le système européen des droits de l’homme a pu contribuer à la transformation du droit français en renforçant ainsi l’importance impérative des droits fondamentaux. Néanmoins, dans certains cas, les droits les plus élémentaires ne sont pas toujours respectés. La question des droits accordés aux détenus est une patate chaude qui par conséquent crée une forte dichotomie entre les parties politiques.

Le travail en détention ; les détenus sont–ils des travailleurs comme les autres ?

travail en prison Celle-ci est une question bien brûlante. L’article 717-3 du code de procédure pénale  dispose que «les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un  contrat de travail». Par conséquent, les personnes détenues ne sont pas soumises au  droit du travail ; et les avantages attachés aux employés ne sont pas prévus pour les    détenus. Cette exclusion prive les détenus des bénéfices individuels. En prison il n’y a  pas de SMIC, pas de congés payés et ni d’arrêt maladie. Les détenus, soumis à des  rémunérations en moyenne quatre fois inférieures au salaire minimum, entreprennent les  tâches nécessaires au fonctionnement des établissements comme la cuisine et la  distribution de repas. De plus, quelques entreprises emploient les personnes détenues pour travailler à l’emballage de marchandises pour le compte de chaînes de supermarché ainsi que pour des démarchages téléphoniques. Sans contrat, il n’y a pas de lien juridique entre le détenu et l’entreprise. Toutefois la loi pénitentiaire de 2009 a établi qu’un «acte d’engagement» existe entre le chef d’établissement et le détenu. Cet «acte d’engagement» doit envisager la description du poste, les horaires et les missions à réaliser. Quand même, il est bien évident que ces documents tendent à être rédigés en termes flous. Le travail en prison joue un rôle indéniable. En travaillant, les détenus non seulement participent au fonctionnement quotidien des prisons mais simultanément cela leur permet de subvenir à leurs besoins en frayant la voie vers la réinsertion. La question soulevée est bien pertinente : les détenus sont-ils véritablement des employés dans des conditions particulières? En 2013, plusieurs actions de détenus ont visé à faire reconnaître le droit du travail en détention. Le jugement historique du 8 février 2013 aux prud’hommes de Paris, a donné raison à une détenue (Moureau) qui a assigné en justice une société pour non-respect du contrat de travail. Le Conseil constitutionnel a rejeté, le 14 juin 2013, la QPC dont il avait à juger concernant l’article 717-3 du code de procédure pénale. Pour le Conseil constitutionnel, «les relations de travail d’une personne incarcérée ne font pas l’objet d’un contrat de travail.» Législateur a donc confirmé que le travailleur détenu n’a aucun statut.2 Il est évident qu’en premier lieu pour se trouver en prison, la loi a dû être transgressée mais, serait-il contradictoire aux bonnes mœurs de permettre l’exploitation des détenus ? En dépit de l’absence de contrat de travail, l’OIP souligne que cela ne vaut pas l’inapplication des droits et garanties prévus par le droit du travail.

Des conditions de détention inhumaines

La République témoigne une surpopulation chronique mais actuellement, le nombre de détenus dans les prisons françaises a atteint un record historique au 1er avril. «[L]a surpopulation des établissements pénitentiaires est le produit […] du déséquilibre entre le nombre de personnes détenues et le nombre de places opérationnelles du parc carcéral.»3 Il est ainsi axiomatique pourquoi ce phénomène est caractérisé comme «la honte de la République.» La population totale sous écrou est de 68 859 personnes.4 En raison de cet entassement, les personnes en surnombre sont 11 179. Ce chiffre n’est pas simplement une révélation criante de l’inflation remarquable parmi les personnes détenues mais, de ce fait, met en cause les conséquences apportées par ce surplus. La surpopulation carcérale entraine de multiples conséquences; des conditions de vie indignes pour les détenus ainsi que la mise en question de l’efficacité des organes de la justice pénale. Depuis des années, des rapports stigmatisant le système carcéral en France sont apparus tels que les rapports parlementaires, les rapports de commissaires européens aux droits de l’homme, d’Amnesty international ainsi que les condamnations régulières de la CEDH pour traitements inhumains. Stendhal a déclaré que «Le pire des malheurs en prison, c’est de ne pouvoir fermer sa porte». Dans un arrêt du 25 avril 2013 (Canali c. France), l’institution strasbourgeoise a condamné la France pour les conditions de détention dans la maison d’arrêt de Nancy sur la base de l’article 3 de la Convention de Sauvegarde des Droit de l’Homme [«Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants»]. Une cellule de 9m² pour deux détenus, des trous dans le plafond, une toilette en cellule séparée d’une cloison- tout cela est révélateur des conditions de détention inhumaines. Entre 2007 et 2011, la France a été condamnée trois fois pour «traitements inhumains ou dégradants ». Cette condamnation du 25 avril, qui sanctionne pour la première fois la France pour sa surpopulation carcérale, doit encourager le gouvernement à développer rapidement une véritable politique pénale.

L’inapplication de certaines règles du code de procédure pénale

À cause de la surpopulation carcérale certaines règles établies par le code de procédure pénale ne sont pas respectées dans les prisons et surtout dans les maisons d’arrêt. Il existe une forte brèche entre ce qu’énonce la loi et ce qui a lieu en réalité dans les prisons françaises.L’application effective de la loi, accentuée à plusieurs reprises dans nombreux rapports, semble inexistante. L’article D.358 souligne que : «les détenus prennent une douche à leur arrivée à l’établissement. Dans toute la mesure du possible, ils doivent se doucher au moins trois fois par semaine ainsi qu’après les séances de sports et au retour du travail.»En réalité, la capacité en eau chaude de la maison d’arrêt de Fleury-Merogis est insuffisante pour permettre aux détenus des douches réglementaires. Les conséquences à cause du non-respect du code de procédure pénale semblent avoir des répercussions directes sur la vie des détenus. Bien que la loi pénitentiaire du 2009 édicte que «l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits,» elle ne semble pas être prise en considération. A titre d’exemple, les fouilles à nu sont non seulement contraires à la jurisprudence de la Cour européenne mais aussi la loi pénitentiaire de 2009. Néanmoins, la France a été condamnée le 20 janvier 2011 sur le cas de Philippe El-Shennawy. Les failles dans le système pénitencier sont bien évidentes. De ce fait, le 30 octobre 2013, par son arrêt n° 143/2013, la Cour constitutionnelle a décidé de suspendre une disposition législative qui autorisait, dans certains cas, la systématisation des fouilles au corps en prison. La problématique soulevée vis-à-vis la gestion des détenus et leurs droits en prisons accentue une question prépondérante : comment peut-on se targuer d’être une démocratie paradigmatique lorsque certains lieux d’enfermement qui existent, condamnent leurs détenus à des conditions de vie peu compatibles avec la dignité humaine?

Christina AVGOUSTI

Pour en savoir plus :

Cour EDH, 20 janvier 2011, El Shennawy c. France

Sulejmanovic (Cour EDH, 2e Sect. 16 juillet 2009, Sulejmanovic c. Italie, Req. n° 22635/03 – ADL du 19 juillet 2009)

Torreggiani (Cour EDH, 2e Sect. 8 janvier 2013, Torreggiani et autres c. Italie, Req. n° 43517/09).

Cour EDH, 3e Sect. 24 juillet 2012, Iacov Stanciu c. Roumanie, Req. n° 35972/05

Cour EDH, 4e Sect. 22 octobre 2009, Norbert Sikorski c. Pologne, Req. n° 17599/05 et Orchowski c. Pologne, Req. n° 17885/04 – ADL du 26 octobre 2009

1 Jacques André,  «L’héritage philosophique de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789» L’Harmattan, 2002, p.234

3 <http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i0652.pdf p11>

4<http://www.lepoint.fr/societe/population-carcerale-le-scandale-record-des-prisons-francaises-17-04-2014-1813947_23.php>

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.