Encellulement individuel: nouveau moratoire ou application progressive?

A l’heure où l’Allemagne et la Suède ferment des prisons [1], les députés français votent un nouveau moratoire pour repousser l’application du principe de l’encellulement individuel [2]. Pourtant, pour l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, l’encellulement individuel est une garantie de réinsertion et une condition pour protéger les personnes détenues d’autrui, garantir leur intimité et avoir la possibilité d’être tenu à l’écart des violences fréquentes en prison [3].

Au XIXème siècle, l’encellulement individuel était perçu comme une sanction, visant à empêcher les détenus de s’apprendre mutuellement de nouveaux moyens de réaliser des infractions et les pousser à méditer sur leurs actes pour en sortir meilleurs [4]. Aujourd’hui, la conception de ce principe revêt une autre allure : c’est devenu une condition au respect de la dignité humaine et des conditions de détention décentes [5], un moyen de «permettre de faire retrouver les valeurs morales perdues ou de les faire acquérir» [6]. Pourtant, son application, qui n’a jamais été effective, a été, encore une fois, repoussée par le législateur.

I. Le principe de l’encellulement individuel : consacré de jure, jamais appliqué

 A. Une succession de moratoires depuis 140 ans.

 

C’est l’article 1er de la loi Bérenger du 5 juin 1875 qui prescrit pour la première fois l’encellulement individuel dans les prisons départementales [7]. Faute de moyens suffisants, cette réforme ne vit jamais le jour. En 1927, on recensait en effet 70 prisons dites « cellulaires » sur un total de 160 établissements, sans que le principe de l’encellulement soit mis en œuvre en leur sein. La consécration législative de ce principe n’avait donc engendré aucun progrès.

C’était le point de départ d’une succession de lois inappliquées : la loi Amor en 1945 réaffirmait le principe en vain, la loi sur la présomption d’innocence en 2000 reportait sa date d’application à 2003, date à laquelle on l’a repoussée de nouveau de cinq ans en misant sur un programme de construction de 13 200 places de prison supplémentaires. L’article 87 de la loi du 24 novembre 2009 posa de nouveau le principe de l’encellulement individuel de toute personne «mise en examen, prévenue ou accusée soumis à la détention provisoire». Un rapport révèle pourtant en 2009 que le principe n’est toujours pas effectif: parmi les cellules occupées par plusieurs détenus, seules 31% d’entre elles ont été conçues pour accueillir plus d’une personne [8]. Bis repetita placent. Un troisième moratoire était donc voté cette année, repoussant l’échéance jusqu’au 25 novembre 2014 à minuit.

Sans surprise, Monsieur Delarue constatait dans un avis du 13 juin 2012 [9] qu’entre temps les conditions carcérales n’avaient bénéficié d’aucune amélioration. Pourtant, la réforme du Code de procédure pénale de 1993 avait supprimé les causes d’exonération de l’obligation de respecter le principe de l’encellulement individuel, qui permettaient à l’administration de mettre en œuvre un encellulement collectif «à titre exceptionnel et provisoire», «à raison de la distinction intérieure» ou de l’ «encombrement temporaire» (ancien article 716 du Code de procédure pénale abrogé par la réforme du 1er mars 1993). La nouvelle rédaction de l’article 716 du Code de procédure pénale réaffirme le principe avec vigueur, en des termes clairs: «Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire, sont placés en cellule individuelle».

La réforme du 1er mars 1993 a resserré l’étau sur l’administration pénitentiaire en réduisant le nombre d’hypothèses où il est possible de se soustraire de ce principe. Les nouvelles conditions revêtent aujourd’hui trois formes: «1. si les intéressés en font la demande, 2. si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls, 3. S’ils ont été autorisés à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent» (C. pr. pén., art. 716). Ces formulations ont donc bel et bien réduit les marges de manœuvre de l’administration pénitentiaire, puisque cette nouvelle rédaction de l’article 716 ne leur permet plus de se satisfaire de l’encellulement collectif pour des raisons tenant aux effectifs de l’établissement pénitentiaire. Les seuls cas de dérogation au principe de l’encellulement individuel prévus par la loi ne tiennent désormais plus qu’à des considérations liées à la personne détenue.

Le second alinéa de l’article susvisé met également en exergue l’idée que la «sécurité et la dignité» doivent être assurées lorsque l’encellulement n’est pas individuel. Ce n’est donc pas à défaut d’avoir des dispositions légales claires que le principe reste, de facto, sans application notable.

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B. Un statu quo en dépit de la détérioration des conditions de détention

 

Depuis son affirmation en 1875, l’application du principe de l’encellulement individuel ne s’est donc jamais vu pleinement appliqué. Ce problème a longtemps été réglé par les décrets de grâce présidentiels qui libéraient chaque année entre 5000 à 6000 détenus. Cette pratique a toutefois été abandonnée en 2007 [10]. Depuis, aucun mécanisme de régulation n’a été mis en place [11] et la surpopulation carcérale est de plus en plus criante. Du même coup, la violation au principe suscité semble s’être normalisée.

Il convient toutefois de ne pas se méprendre sur la lecture du problème. Les maisons centrales, prisons retenant les personnes condamnées à de longues peines, respectent le principe de l’encellulement individuel, laissant aux maisons d’arrêt le monopole de sa violation. Pour Jean-Jacques Urvoas, Président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, ce constat est paradoxal puisqu’il en découle que les détenus sont mieux traités quand ils sont condamnés que quand ils sont présumés innocents [12]. C’est oublier que ces établissements accueillent également les courtes peines.

A ce titre, un rapport de commission d’enquête sur les conditions de détention en France de 2000 a souligné que la violation du principe de l’encellulement individuel est perçue par l’opinion publique comme étant plus tolérable dans les maisons d’arrêt, puisque les peines y sont toujours inférieures à deux ans. Dans l’imaginaire collectif, le «turn over» propre aux maisons d’arrêt excuserait donc que l’on ne respecte pas la formule «1 détenu = 1 cellule». Il convient pourtant de garder à l’esprit que les prévenus qui y vivent sont dans l’angoisse de l’attente d’un jugement, et passent entre 20 et 22h sur 24 dans des cellules de 9 à 11m2, qu’ils partagent souvent avec leur(s) co-détenu(s)[13].

Le taux de surpopulation carcérale était en effet de 114,5 % au 1er octobre 2014 selon le rapport de Dominique Raimbourg, et concernerait par conséquent 8 440 personnes. En d’autres termes, le droit des détenus à vivre seul ne serait respecté que pour 40% d’entre eux [14]. Pierre Victor Tournier, criminologue et chercheur au CNRS, objecte pourtant que ces statistiques ne prennent pas en compte les 3 724 places de prison inoccupées en France [15]. Les intégrer dans les statistiques aboutirait à constater 12 164 détenus concernés par la surpopulation carcérale, ce qui revient à réévaluer à la hausse le taux de surpopulation carcérale communément utilisé par les médias.

Par ailleurs, ces chiffres sont des moyennes qui dissimulent des disparités régionales considérables. À la maison d’arrêt de Nanterre [16] par exemple, on compte 1 050 personnes détenues pour 559 places et celle de Béthune construite en 1895, 160 cellules pour 400 détenus [17]. A l’inverse, Monsieur Delarue rappelait dans une recommandation du 12 novembre 2012 que la prison des Baumettes à Marseille comptait une centaine de cellules inoccupées en raison de leur état de vétusté.

Ces inégalités territoriales participent donc inéluctablement à l’aggravation la surpopulation carcérale. Quid, toutefois, des inégalités entre les hommes et les femmes face à cette problématique ? Les statistiques à ce propos sont d’une rareté troublante. Dès lors, on peut opter pour une interprétation optimiste de cette absence d’informations en estimant qu’elle résulte d’un état des lieux plus favorable pour la gente féminine. Le respect du principe de l’encellulement individuel serait effectif pour elles, si l’on privilégie ce postulat. Une autre analyse, plus pessimiste, pourrait assimiler ce silence à un mutisme inconscient, conséquence de la très faible présence de femmes dans les prisons françaises.

Répartition de la pop. écrouée détenue selon la catégorie pénale en France au 01/11/14
Métropole Outre-mer Ensemble de la pop. écrouée
Total
Prévenus 15 373 679 1 025 38 16 398 717 17 115
Condamnés 44 555 1 365 3 393 90 47 948 1 455 49 403
Ensemble 59 928 2 044 4 418 128 64 346 2 172 66 518

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Source : Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, situation au 1er novembre 2014, Direction de l’Administration Pénitentiaire, Bureau des Etudes et de la Prospective (PMJ5), Ministère de la Justice, 2014

Si cette seconde grille de lecture est retenue, une conclusion très différente peut être tirée de ce bilan statistique. Cette absence de statistiques relatives aux femmes détenues peut être perçu comme une conséquence de leur sous-représentation dans le parc pénitenaire français. La prison comptant massivement plus d’hommes que de femmes, c’est à travers un prisme masculin que le problème de l’encellulement individuel serait communément analysé par les médias et acteurs publics, quand bien même il affecterait les deux sexes de manière identique. Un rapport sénatorial de 2000 intitulé « Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France (tome 2, visites et auditions) » est un des seuls documents qui fait état de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt pour femme, à travers un compte rendu en date du 23 mars 2000 qui constate que « 280 femmes sont incarcérées, dont environ 60 en cellule individuelle, 160 en cellule de deux et 60 à trois, quatre, cinq, six (à leur demande)». Compte tenu de la violation récurrente du principe de l’encellulement individuel pour les hommes, on peut présumer que le placement en cellule collective résulte davantage d’un manque de moyens que d’un refus prégnant et récurent des femmes à vouloir être incarcérées dans une cellule individuelle [18].

Il faut donc savoir garder de la distance avec les statistiques utilisées par les acteurs publics en matière de surpopulation carcérale. Tel est encore le cas pour celles établissant le nombre de cellules individuelles en France, au sens de la circulaire du 16 mars 1988 qui les définit [19]. Selon le rapport de Dominique Raimbourg du 23 janvier 2013, seules 31 080 cellules font entre 9 et 11 m2 en France, soit 63 % d’entre elles. Ces cellules, certes « individuelles » au sens de la circulaire, sont pourtant, en pratique, occupées par deux, voire trois, individus.

Quoiqu’il en soit, la tentation est forte, à la lecture de ces chiffres, d’en déduire que les magistrats de l’hexagone [20] sont responsables de cette surpopulation carcérale. En effet, nombreux sont les textes qui rappellent que la liberté est la règle et la prison, l’exception [21]. Pourtant, au regard du rapport du Conseil de l’Europe de mai 2013, il semblerait que la France n’incarcère pas outre mesure, comparativement à ses homologues européens [22]. Si nous sommes un des pays où on enregistre le plus de suicides dans nos prisons, il n’en reste pas moins que le taux d’incarcération est inférieur à la moyenne européenne (99 détenus pour 100 000 habitants). Les causes prégnantes de cette surpopulation sont donc à rechercher ailleurs que dans les décisions prétoriennes.

Tandis que certaines personnalités politiques imputent cette « honte de la République » [23] à la décision de Christiane Taubira, ministre de la Justice, de supprimer le plan de construction de 24 000 nouvelles places de prison voté à la fin du quinquennat du Président Sarkozy, Pierre Victor Tournier pointe de son côté le manque de surveillants ayant pour effet de limiter la capacité des établissements, ou encore la mauvaise gestion des affectations en maison d’arrêt par le Parquet. Un état des lieux inquiétant, ayant fait espérer qu’un changement pouvait être impulsé par l’arrivée de la fin du moratoire sur le principe de l’encellulement individuel le 25 novembre 2014.

II. Le nouveau report de l’application générale du principe de l’encellulement individuel : entre optimisme et déceptions

 

 A. Un nouveau moratoire qui cache son nom?

 

Le 25 novembre à minuit, le moratoire de cinq ans voté en 2009 a pris fin. Les incarcérations multiples dans des cellules individuelles devenues illégales, l’Etat français devait donc officiellement garantir l’effectivité du principe pour chaque détenu. Ceux-ci avaient la possibilité d’attaquer l’administration pénitentiaire en envoyant une réclamation à leur directeur, lequel avait pour obligation de répondre sous deux mois. S’ils ne pouvaient pas obtenir à coup sûr de leur recours en plein contentieux devant le juge administratif [24] un changement de situation rapide, il leur permettait au moins d’obtenir une condamnation de l’administration pénitentiaire, une reconnaissance symbolique de leurs droits et des dommages-intérêts [25].

Pour faire appliquer ce principe au lendemain du 25 novembre 2014, « les candidats ne manqu[ai]ent pas », affirmait l’avocat Etienne Noel [26]. Craignant l’arrivée une vague de condamnations devant les tribunaux administratifs, la garde des Sceaux a rapidement proposé un amendement gouvernemental au projet de budget rectificatif de 2014 en vue de prolonger le moratoire jusqu’en 2018. Jean-Jacques Urvoas l’en a dissuadé, convaincu lui-même qu’il fallait « sortir de l’impasse des moratoires » pour laisser place au développement des aménagements de peine et alternatives à la prison. Dans son rapport en date du 25 novembre 2014, il préférait à la construction de prisons des mesures audacieuses, à l’image de la correctionnalisation de certains délits engendrant des courtes peines [27], la sortie des handicapés physiques ou mentaux ainsi que des prévenus en attente de jugement, et l’interdiction des matelas au sol. Convaincue, Christiane Taubira a retiré son amendement in extremis [28]. Elle se rangea ensuite derrière la décision de Manuel Valls, Premier Ministre, de charger le vice-président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, Dominique Raimbourg, de rendre un rapport sur la question dans un délai inédit de trois semaines.

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Rédigé en urgence, ledit rapport fut donc rendu public le 30 novembre 2014, et les 24 préconisations du député avec lui. Parmi elles, sa mesure phare : l’encellulement individuel pour les primo-incarcérés afin de ne pas leur permettre de tirer de sombres profits de l’« école de la délinquance »[29]. Il proposait également un nouveau moratoire jusqu’à 2022, avec deux étapes intermédiaires : juin 2016 et juin 2019 [30], dates auxquelles le gouvernement devra présenter des rapports au Parlement sur l’état actuel de l’encellulement individuel, avec une information financière et budgétaire relative à l’exécution des programmes immobiliers pénitentiaires et leur impact quant au respect de l’objectif de placement en cellule individuelle. On peut voir dans le devoir de rendre un rapport une obligation de moyens, dépourvue d’obligation de résultat. Aucun objectif précis n’est malheureusement avancé dans le rapport du député.

Les autres préconisations visent également à construire 3 200 nouvelles places de prisons en dégageant un milliard d’euros lors d’un prochain plan triennal, et à poursuivre l’engagement déjà pris au début du quinquennat du Président Hollande de construire 6 500 places. Il souhaite remplacer 2 271 cellules multiples en 6 254 cellules individuelles, et supprimer les dortoirs. En attendant, il invite les juges d’application des peines à faciliter les aménagements de peine octroyés avant l’incarcération, et plus généralement les magistrats à limiter les comparutions immédiates, à privilégier les TIG (Travaux d’Intérêt Général) et à accélérer les sorties.

Les propositions de ce rapport ont été adoptées par la voie d’un amendement porté par Madame Taubira devant l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2014 [31]. Un nouveau moratoire, le quatrième depuis l’affirmation du principe en 1875, a donc été adopté par les parlementaires. Il repousse l’application du principe de l’encellulement individuel à 2019. Pour le député Dominique Raimbourg, cet amendement était inévitable compte tenu de l’importance de la surpopulation carcérale actuelle. Il espère permettre un encellulement individuel de 80 % des détenus d’ici 2022 grâce aux mesures préconisées dans son rapport [32], compte tenu de ceux qui ne souhaitent pas être isolés à cause de leur fragilité psychologique.

La ministre de la Justice fixe l’objectif plus ambitieux de 90 %, convaincue que la « libération sous contrainte pénale » automatique aux deux tiers des peines, en vigueur de puis le 1er octobre 2014 [33], participera à réduire le nombre de détenus dans les maisons d’arrêt.

Dans l’hémicycle, Christiane Taubira a insisté sur l’idée que cet amendement n’était pas un nouveau moratoire «sec», c’est-à-dire sans «aucune disposition (…) prise pour respecter cet engagement» [34], mais un processus avec une dynamique, un engagement du gouvernement vis-à-vis de l’Assemblée nationale [35]. Elle projette notamment d’agrandir le parc pénitentiaire. Un programme de construction de 6300 places a déjà été financé par le ministère de la Justice, et un second risque de l’être prochainement pour 3200 places supplémentaires [36]. Soucieuse de ne pas construire les nouvelles prisons «au milieu de nulle part», elle souhaite créer un conseil national de l’établissement de la peine pour élaborer une réflexion sur l’architecture des prisons [37]. Enfin, elle a également affirmé que, dès le lundi 8 décembre, elle allait mettre en œuvre un comité de pilotage pour la mise en œuvre des propositions de Monsieur Raimbourg.

«Comment les parlementaires peuvent-ils être crédibles s’ils repoussent sans cesse les lois qu’ils votent?», interrogeait Jean Jacques Urvoas fin novembre 2014 [38]. La mesure votée est différente des moratoires votés en 2000, 2003 et 2009, en ce qu’il s’accompagne de mesures contraignantes. Elle reste toutefois, malgré tout, un nouveau moratoire qui a de quoi décevoir ceux qui attendaient de voir le principe de l’encellulement individuel enfin applicable. Pourtant, les pistes ne manquaient pas pour engager une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour rendre enfin l’effectivité que ce principe mérite.

 B. Lectures divergentes du problème de la surpopulation carcérale et solutions alternatives

 

La nouvelle Contrôleur générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, s’était prononcée sur la question de l’encellulement individuel en préconisant la mise en place d’un « numerus clausus », visant à différer les incarcérations quand la capacité d’accueil d’une maison d’arrêt est atteinte et libérer certains détenus en fin de peine, si un accompagnement leur était proposé [39]. Pour elle, « il ne s’agit en aucun cas de sorties sèches, sans aucun aménagement, mais d’une sortie avec contrôle » [40]. Cette solution a été violemment critiquée par certains représentants de l’UMP à l’image du député Georges Fenech qui condamnait une « gestion purement hôtelière des prisons » totalement irresponsable selon lui [41]. Le gouvernement actuel semble ne pas vouloir entendre parler de cette solution très polémique [42], portant soutenue par certains magistrats comme Laurence Blisson qui n’y voit pas un danger pour la société [43].

Partant du postulat que les programmes de construction depuis le milieu des années 80 ne se sont jamais succédés assez vite pour absorber le flot de nouvelles condamnations, l’Institut pour la Justice établit de son côté que la seule solution crédible est de construire 20 000 places de prison [44]. Une meilleure application du droit actuel peut être privilégiée à cette solution couteuse et simpliste. Comme le mentionne l’Observation international des Prisons (OIP), « si tous (les détenus) bénéficiaient d’un aménagement de peine comme la loi le prévoit déjà, l’encellulement individuel pourrait être respecté ».

Certains modèles européens pourraient également inspirer la politique pénale française. Le modèle suisse présente à ce titre des caractères aussi courageux que novateurs. Non seulement ses tribunaux ont récemment décidé de libérer un détenu six mois plus tôt que prévu pour avoir été condamné dans des conditions inhumaines [45], mais son parc pénitentiaire présente également des initiatives d’une efficacité remarquable. On peut citer la prison ouverte de Witzwill, qui, en plus de présenter un taux de récidive faible par rapport aux prisons fermées, présente un bilan financier extraordinairement faible au regard du budget annuel moyen de fonctionnement des prisons fermées [46].

Le Docteur Vingtrinier, médecin en chef des prisons de Rouen [47], affirmait en 1840 qu’«aujourd’hui, nous avons marché à pas de géant dans la carrière du progrès: punir ne doit plus être l’unique but de la loi pénale; plus prévoyante et en même temps plus humaine, elle doit non seulement chercher à obtenir la réparation due à la société, (…) mais encore s’étudier à lui rendre des membres qui puissent utilement la servir». Il ne reste qu’à espérer que ce nouveau moratoire participera à alimenter le processus historique qu’il décrivait avec enthousiasme. Pour savoir si le nouveau moratoire s’inscrira dans cette démarche vertueuse, le prochain rendez-vous est donc fixé à juin 2016…

Emeline Besset

Etudiante à Sciences Po et en Master 2 à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble.

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Pour en savoir plus:

  • Rapport: Encellulement Individuel Faire de la prison un outil de justice, Dominique RAIMBOURG, du 10 au 30 novembre 2014.
  • Rapport sénatorial: Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, 2011

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Sources des photographies :

  1. Martin Bureau (AFP), Une cellule individuelle à la prison de la Santé (Paris), en juillet.
  2. Site du ministère de la Justice : http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/remise-du-rapport-sur-lencellulement-individuel-27695.html

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Notes:

[1] Hojlo A.-S., « Pourquoi les prisons allemandes et suédoises se vident-elles? », L’OBS société, 4 décembre 2014

[2] Assemblée nationale, XIVème législatuve, session ordinaire de 2014-2015, deuxième séance du mercredi 3 décembre 2014, amendement n°573 au projet de loi de finances rectificative pour 2014.

[3] Lire la citation pertinente de Monsieur Raimbourg, député de la quatrième circonscription de la Loire Atlantique: « Le manque d’espace, la promiscuité, génèrent des tensions et de la violence entre détenus, d’abord et envers le personnel également, rappelle le député. Cette surpopulation interdit une répartition fine des détenus, force les plus fragiles à cohabiter avec des délinquants chevronnés et, par là, favorise tous les trafics et tous les rackets. En outre, elle gêne évidemment la préparation à la sortie et donc la lutte contre la récidive. » dans : Johannès F., « Un rapport parlementaire prône le «strict respect de l’encellulement individuel» », Le Monde, 2 décembre 2014

[4] «A l’époque, il ne s’agit pas d’une préoccupation humaniste. La sanction carcérale, mâtinée de préoccupation religieuse, est avant tout une pénitence : l’isolement en cellule (à la manière des moines) doit permettre aux prisonniers de retrouver le droit chemin grâce au recueillement, si ce n’est par la prière.», Faure S., « Cellules individuelles: la grande omission », Libération, 11 novembre 2014

[5] Roucaute D., « La cellule individuelle en prison, un droit encore repoussé », Le Monde, 8 décembre 2014

[6] Droit pénal, Procédure pénale, Jacques Borricand, Anne Marie Simon, Aide-Mémoire, Editions Dalloz (8ème), 2013

[7] Elle préconise également de séparer les prévenus et accuses. Voir le rapport sur le régime des établissements pénitentiaieres par Bérenger de la Drôme, site de l’ENAP: http://www.enap.justice.fr/ressources/index.php?rubrique=49

[8] Roucaute D., « La cellule individuelle en prison, un droit encore repoussé », Le Monde, 8 décembre 2014

[9] Avis du 22 mai 2012 relatif à la surpopulation carcérale du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, publié au Journal Officiel le 13 juin 2012, NOR: CPLX1225127V

[10] Guibert N., “La grace collective pour le 14 juillet est supprimée”, Le Monde, 6 décembre 2007

[11] Ministère de la Justice, Remise du rapport sur l’encellulement individual – Faire de la prison un outil de Justice, 2 décembre 2014.

[12] Gril P., « Jean-Jacques Urvoas: «Il faut construire davantage de prisons» », RMC, 26 novembre 2014

[13] La détention provisoire reste exceptionnelle de jure, comme le rappelle le chapitre III de la loi du 5 mars 2007 et la loi du 15 juin 2000.

[14] Koch F., « Prisons: les cellules individuelles attendront », L’Express, 2 décembre 2014

[15] « Cité dans: Roucaute D., La cellule individuelle en prison, un droit encore repoussé », Le Monde, 8 décembre 2014

[16] Gonzales P., « Taubira face à la bombe de la surpopulation carcérale », Le Figaro, 27 novembre 2014

[17] Gril P., « Jean-Jacques urvoas: «Il faut construire davantage de prisons» », BFMTV, 26 novembre 2014

[18] Cette analyse reste hypothétique, dans la mesure où, comme il a été souligné, les chiffres à ce propos sont rares. Cette présomption n’est donc pas, à notre sens, irrefragable.

[19] Voir la présentation claire de la circulaire dans l’article: Roucaute D., « La cellule individuelle en prison, un droit encore repoussé », Le Monde, 8 décembre 2014

[20] De toute évidence, on cite implicitement ici le juge des libertés et de la détention, magistrat du siège désigné par le Président du tribunal de grande instance et saisi par le juge d’instruction ou le Parquet (pour les délits punis de plus de 10 ans d’emprisonnement, si ses réquisitions sont motivées par la protection de la personne mise en examen ou le trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public).

[21] A ce titre, voir la loi Guigou du 15 juin 2000 et son article 46 «la personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. (…) Elle peut à titre exceptionnel être placée en détention provisoire»; Et la loi du 24 novembre 2009 qui insiste sur le caractère exceptionnel de la détention, réécrit à l’article 144 du Code de Procédure Pénale.

[22] Giuglaris A., « Christiane Taubira et la prison: une amnistie qui cache son nom… », Le Figaro, 27 novembre 2014

[23] Rapport de commission d’enquête sur les conditions de détention en France de 2000 et termes du Syndicat de la Magistrature

[24] Péchard A. « Indemnisation des enfermements collectifs depuis le 25/11/2014 », Le Petit Juriste, 25 novembre 2014

[25] Roucaute D.,« La cellule individuelle en prison, un droit encore repoussé », Le Monde, 8 décembre 2014

[26] AFP, « Cellules individuelles en prison: la France hors la loi », Libération, 25 novembre 2014

[27] Il cite à ce titre certains délits routiers, comme la conduite sous l’emprise alcoolique sans récidive. Voir: Koch F., « Jean-Jacques Urvoas (PS): «La pénitentiaire devrait faire une révolution» », L’Express, 21 novembre 2014

[28] Gonzales P., « Prison: des cellules individuelles… après 2022 », Le Figaro, 2 décembre 2014

[29] Koch F., « Prison: les cellules individuelles attendront », L’Express, 2 décembre 2014

[30] Agence France Presse, « Prison: cellule individuelle pour tous repoussée à 2019 », Le Figaro, 3 décembre 2014

[31] Pour voir le débat à l’Assemblée nationale: http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015/20150085.asp#P387881

[32] http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/prison-vers-report-objectif-encellulement-individuel-2022.html

[33] Loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, publiée du Journal officiel le 17 août 2014. Elle manifeste son optimisme sur les effets de cette loi sur la surpopulation carcérale dans sur le site du ministère de la Justice, « Rapport sur l’encellulement individuel – Faire de la prison un outil de Justice », 2 décembre 2014.

[34] Termes de la ministre dans les débats à l’Assemblée nationale le 3 décembre 2014: http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015/20150085.asp#P387881

[35] « Il ne s’agit pas de prendre en compte l’encellulement individuel sur une base absolue et de le considérer comme une contrainte, sans la moindre nuance, mais bien de réfléchir aux conditions dignes de détention, aux conditions correctes de travail pour les personnels et à la gestion de la population carcérale, dans la perspective d’une exécution de peine utile et efficace, et d’une préparation à la réinsertion», Christiane Taubira, deuxième séance à l’Assemblée Natioanle du mercredi 3 décembre 2014. Voir: http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015/20150085.asp#P387881

[36] Ministère de la Justice, “Remise du rapport sur l’encellulement individual – Faire de la prison un outil de justice”, 2 décembre 2014.

[37] La minister a créé en 2013 le Conseil national de l’exécution de la peine, qui s’est réuni fin novembre pour traiter de la thématique de l’architecture pénitentiaire.

[38] Faure S., « Cellules individuelles: la grande omission », Libération, 11 novembre 2014

[39] Agence France Presse, « La contrôleure des prisons favorable à un numerus clausus contre la surpopulation carcérale », Libération, 25 novembre 2014

[40] Poisot R. et Gril P., « Numerus clausus en prison: «Libérer un prisonnier avant d’en incarcérer un autre» », RMC, 26 novembre 2014

[41] Marchal R., « Fenech s’oppose à un numerus clausus en prison », Lyon Capitale, 25 novembre 2014

[42] Madame Taubira affirmait qu’elle s’opposait au numerus clausus, car «on arrive pas à l’installer de façon claire dans la société». Voir: Agence France Presse, « Cellules individuelles en prison: la France hors la loi », Le Point, 25 novembre 2014

[43] Gril P. et Poisot R., « Numerus clausus en prison: «Libérer un prisonnier avant d’en incarcérer un autre» », RMC, 26 novembre 2014

[44] Voir: Agence France Presse, « Cellules individuelles en prison: la France hors la loi », Le Point, 25 novembre 2014

[45] Focas C.,« Conditions de détention à Champ-Dollon: Prison bondée: un caïd de la drogue voit sa peine réduire », TDG, 5 décembre 2014

[46] Ohlgusser C., « Les invisibles barreaux des prisons «à ciel ouvert», Le Petit Juriste, 10 décembre 2014.

[47] Dr. Vingtrinier, Des prisons et des prisonniers, 1840, p.215

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