Dossier du mois / G20 : Les enjeux juridiques d’une nouvelle économie planétaire

 

Le Petit Juriste vous présente le dossier du mois en collaboration avec la rédaction et la direction scientifique de La Semaine Juridique (Édition générale). Edité par LexisNexis (Jurisclasseur et Litec), ce magazine scientifique est la référence des professionnels de l’actualité juridique depuis 1927.



 

Réunis à Pittsburgh les 24 et 25 septembre derniers, les représentants des 20 pays industrialisés et émergents se sont retrouvés, après le sommet de Londres d’avril, pour renforcer leur coopération en ces temps de crises économiques et financières. Si un tel sommet comporte de nombreux aspects politiques, économiques ou sociaux, les réformes avancées ne se feront pas sans des réformes juridiques importantes. Le Petit Juriste revient sur les aspects juridiques de la nouvelle économie planétaire.



 

 

I Les suites du premier G20

 

 

Apports et questions du premier G20

 

 

Les dirigeants des 20 premières économies de la planète s’étaient déjà réunis en avril dernier lors du sommet de Londres. La création de ce forum remonte à 1999. Sans pouvoirs réels ni statut défini par des traités internationaux, le G20 est une réunion informelle de chefs d’États. Les dirigeants, assistés par de nombreux collaborateurs échangent alors leurs points de vues pour améliorer le fonctionnement de l’ordre économique mondial.

 

Après la crise financière, devenue crise économique, il a été décidé d’organiser une telle réunion afin d’apporter diverses solutions dans le but d’améliorer le système financier et la gestion économique mondiale. Le G20 de Londres a, pour de nombreux économistes, posé les grandes bases d’un nouveau système financier. La liste noire des paradis fiscaux, le rôle augmenté du FMI (Fond monétaire international) et le contrôle accru des fonds spéculatifs constituent les trois principales décisions d’avril dernier.

 

Mais cette première réunion de Londres ne posait “que“ les bases. Une nouvelle réunion avait été programmée afin de trouver de nouvelles solutions, d’apporter de nouveaux débats et de conforter les décisions prises à Londres.

 

« Le problème du G20 est que chacun vient avec un ordre du jour différent ». Cette phrase d’un diplomate français montre toutes les difficultés d’une telle réunion informelle. Ainsi, la limitation des bonus, voulue par la France et l’Allemagne n’étaient pas du « goût » des Américains. Encore, la participation de pays émergents aux votes dans le FMI était la priorité pour ces derniers pays, mais non pour les nations occidentales.

 

 

La réforme du système financier mondial (de la supervision financière)

 

 

Ce point avait déjà été traité lors du G20 de Londres. À Pittsburgh, les discours des différents chefs d’États des nations représentées démontraient la volonté de poursuivre cet objectif. Juridiquement, aucune obligation ne pèsent sur les États de respecter une quelconque décision concernant le mode de gestion financière. Mais la gravité de la crise actuelle conduit à une prise de conscience du risque mondial et la force morale impose aux États des sortes « d’obligations naturelles » d’encourager une réforme de la coopération internationale. Cette coopération a pour but premier de prévenir les comportements dangereux notamment en contrôlant les banques et des activités bancaires.

 

Le contrôle juridique de la finance mondiale est aussi augmenté par la création et le renforcement de normes prudentielles à l’encontre des établissements bancaires et financiers. Le durcissement de ces règles et les conséquences directes des abus observés ont conduit à une crise profonde. La mise en place de telles normes prudentielles vise à assurer la stabilité des établissements bancaires et financiers. Plus les risques sont prévus par les textes, moins ils sont susceptibles d’apparaitre. À ce titre, les normes comptables et les fonds propres des banques sont des exemples concrets d’établissement de normes régulatrices consacrés lors de la réunion du G20. Ces nouvelles règles verront le jour en 2011 et constituent l’une des solutions juridiques européennes aux maux de la crise. Ce point fut fortement discuté (les États-Unis refusaient la mise en place de telles règles). Si, à court terme, la révision de ces normes pouvait permettre de réduire l’impact de la crise aucune solution à long terme n’a été avancée.

 

La prise de telles règles constituent un point de départ de travaux considérables de rationalisation des règles de la finance mondiale. D’ici 2011, les grands centres financiers devront avoir des règles efficaces à la prévention des crises. Le système comptable partagé mis en place démontre cette volonté issue du G20 (cela constituera un calcul des risques par les capitaux). L’évaluation des risques sera beaucoup plus efficace si chaque banque, n’ importe où dans le monde, respecte les mêmes règles prudentielles.

 

La mise en place d’autres contrôles, notamment des agences de notation et des Hedge founds ont été avancés lors du G20. Ces questions seront réétudiées lors d’une prochaine réunion.

 

 

 

 

 

Les paradis fiscaux

 

 

Cette question avait déjà été traitée lors du G20 de Londres (voir le numéro 4 du Petit Juriste téléchargeable sur le site internet). La médiatisation de ce dossier démontre de la volonté de trouver des solutions à l’évasion fiscale. Ainsi, le dernier G20 avait mis en place diverses règles (création de listes des territoires facilitant les évasions fiscales, possibilité de prendre des sanctions allant jusqu’à la suspension des relations financières…).

 

La réunion de Pittsburgh a tenté de prolonger cette dynamique politique. Nous vous invitons à lire le dossier complet sur les paradis fiscaux, situé page 12.

 

 

II Une nouvelle gouvernance mondiale

 

 

Du G8 au G20

 

 

Les pays émergents ont maintenant un poids certain dans les prises de décisions mondiales. Effectivement, le G20 semble avoir remplacé le G8. Les « BRIC »(Brésil, Russie, Inde, Chine) ont été rejoint par de nombreux autres pays, ce qui constitue une évolution importante de la gouvernance mondiale.

 

La crise économique s’est avérée être un facteur d’intégration des pays émergents dans la nouvelle configuration mondiale.

 

Cette place des nouveaux pays se matérialise surtout par la possibilité qu’ils ont d’être plus influents dans le FMI après la réforme de ses quotes-parts. Les thèses de nombreux auteurs prévoyaient déjà l’importance que ces pays auraient dans le futur pour organiser une nouvelle gouvernance mondiale, plus forte et plus représentative (à ce sujet, Jacques Attali, « Une brève histoire de l’avenir »). La place de ces pays dans le PIB mondial et les faiblesses des derniers G8 sont les raisons de cette intégration.

 

Il est vrai que trouver un compromis sera plus difficile tant le nombre d’États représentés est plus important. Mais la transformation du G8 en G20 était absolument nécessaire. La question d’une réforme planétaire de l’économie ne pouvait se faire sans l’avis de pays tel que la Chine qui dispose de moyens suffisants pour bâtir une place économique mondiale. Cette intégration se manifeste notamment dans la prise de décision des pays émergents au sein du FMI.

 

 

La réforme du FMI

 

 

Le Fonds monétaire international a été créé en 1944 lors de la conférence de Bretton Woods des Nations-Unies. La volonté des 45 pays représentés étaient de mettre en place une institution de coopération économique garante des risques économiques des crises mondiales. Le « fonds » composé de 185 pays est présidé, depuis 2007, par Dominique Strauss-Kahn.

 

Le rôle principal du FMI est d’assurer la stabilité du système monétaire et financier international. La promotion de la stabilité économique, la prévention des crises et leur résolution, l’allègement de la pauvreté et la promotion de la croissance mondiale dans tous les endroits du globe sont les objectifs du Fonds monétaire international. Le FMI perçoit ses ressources de ses pays membres, essentiellement par le biais du paiement de leurs quotes-parts. Le montant de ces quotes-parts dépend généralement de la taille respective de leur économie. Le montant total est le facteur le plus important qui détermine la capacité de prêt du FMI, un de ses moyens d’action principale. Les dépenses annuelles de fonctionnement du FMI sont principalement financées par la différence entre les recettes d’intérêts (sur l’encours des prêts) et les versements d’intérêts (sur les «dépôts» de quotes-parts). Une des grandes décisions de Pittsburgh est le transfert de 5 % de ces quotes-parts aux pays émergents. Cette décision est fondamentale pour ces pays et constitue un compromis considérable démontrant la volonté de faire participer les pays « sous-représentés » à la prise de décision au niveau mondial. Ce consensus est possible par le « sacrifice » de l’Europe qui transfèrera des voix au profit des pays d’Asie. Ainsi, cette décision se présente comme étant une victoire pour la Chine, tout comme la Turquie ou la Corée. Cette réforme devrait entrer en vigueur en 2011. Avec 32 % des voix au FMI, les Européens apparaissent surreprésentés, alors que leur poids dans l’économie mondiale n’excède pas 25 %. Les États-Unis eux, ne disposent que de 17 % des voix, mais ils disposent d’un droit de veto, un privilège contesté, en vain, par la France. Aujourd’hui, les pays développés détiennent 57 % des voix au sein du FMI, contre 43 % aux pays émergents.

 

 

 

 

Ce chiffre de 5% des quotes-parts constitue une nouvelle avancée dans la réforme du G20 dont les fonds avait été triplés lors du sommet de Londres (500 milliards de dollars supplémentaires ajouté au 250 milliards de ressources existantes). Ainsi le FMI devrait « jouer un rôle crucial pour promouvoir la stabilité financière mondiale et rééquilibrer la croissance » (déclaration des chefs d’États du G20). Le FMI va disposer maintenant d’un pouvoir de proposition pour trouver des solutions efficaces aux déséquilibres extérieurs les plus importants.

 

 

III La question des rémunérations

 

 

Présenté comme le sujet sensible lors des préparations du G20, la question des bonus était une priorité pour les Européens notamment l’Allemagne et la France. Ces pays étaient exigeants sur de nouvelles règles de rémunérations en plafonnant notamment les primes des banquiers.

 

La volonté des Européens était clairement affichée avant la réunion de Pittsburgh : édicter des règles légales, strictes et contraignantes pour limiter les bonus des banquiers. Diverses propositions à ce sujet étaient avancées : bonus-malus pour les traders, plafond du montant des bonus en fonction des revenus et des profits des banques.

 

Mais cet avis n’est pas celui de tous. Ainsi le Président Barack Obama a rappelé qu’il était impossible pour les pouvoirs publics d’imposer une rémunération aux organes privés. Clairement, la City de Londres et Wall Street s’inquiètent de la mise en place de règles trop strictes. Cela pourrait entraîner un exil des traders vers des contrées plus favorables à des rémunérations élevées.

 

Au final, les pays du G20 ont conclu à une application identique des règles françaises sur la limitation des bonus (règles établies le 23 août dernier : les bonus ne peuvent plus être garantis au-delà d’un an. Entre 40 % et 60% des primes devront être étalées sur trois ans au moins. Au moins 50 % de la part variable du salaire doit être versée sous forme d’actions, introduction d’un malus en cas de mauvais résultat d’un trader).

 

Cette décision constitue certes une avancée mais cela n’interdira pas en substance à des banques américaines, telles que Goldmann Sachs, de distribuer des milliards d’euros de bonus cette année. La question reste donc entière tant les enjeux qui y sont attachés sont considérables (fuite des traders, déplacement des organes financiers vers des pays avec moins de contraintes…).

 

 

 

 

IV Pittsburgh et après ?

 

 

Toute la question est de savoir si de telles réunions informelles vont s’installer à long terme. Le G20 va-t-il constituer le nouveau directoire de l’économie mondiale ? Que se passera-t-il une fois la crise résolue ?

 

La légitimité du G20 est accrue par rapport à l’ancien G7 car 85 % de l’économie mondiale sont représentés. La Maison Blanche semble considérer que le G20 constitue la principale réunion économique d’ordre mondial (The Premier Global Economic Forum – « le principal Forum économique mondial »).

 

Mais une telle réunion reste informelle et ne dispose pas d’institutions, ni de moyens d’actions prévus dans un texte international. Comment faire respecter les engagements pris par cette réunion mondiale ? Qui pourrait représenter les membres du G20 ? Le FMI apparaît comme étant le grand représentant des décisions du G20 tant ses prérogatives sont étendues et ses décisions font force de loi. Ce sont précisément ces questions qui ont conduit la presse américaine à ne pas considérer le G20 comme étant le début d’une nouvelle gouvernance mondiale (même si c’est une tradition américaine de considérer les sommets mondiaux comme ayant de faibles conséquences). Quoi qu’il en soit, les questions restent entières sur la force légale des décisions prises lors du G20.

 

Composition du G20 : États-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni (G7) + Russie (G8) + Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie et Union Européenne (G20).

 

D’autres enjeux relèvent de la coopération mondiale. Les négociations sur le climat sont une des principales priorités au niveau planétaire. Le sommet de Copenhague se tiendra du 7 au 18 décembre 2009. La France et l’Europe manifestent une grande volonté d’action et de prise de décisions lors d’une telle conférence. La décision prise à Pittsburgh visant à « supprimer » toutes les « subventions aux énergies fossiles » (charbon, pétrole) dans l’espoir de réduire les émissions de gaz à effets de serre de 10 % d’ici à 2050.

 

Sur le sujet du climat, les questions concernant les décisions mondiales et leurs effets restent d’actualité.

 

 

Adrien Chaltiel

 


Pour en savoir plus

 

Le site officiel du G20
Le site officiel du FMI
La déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement après le G20 de Pittsburgh
La conférence de Copenhague sur le climat

 

La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 23, 4 Juin 2009, 1571 « Une cause de la crise financière : un défaut de réglementation ? » Etude rédigée par François Barrière.
Signature d’accords d’échange de renseignements en matière fiscale avec Andorre, Saint-Marin et le Liechtenstein : Dr. fiscal 2009, act. 307
La bonne gouvernance dans le domaine fiscal : Dr. fiscal 2009, 360
La Commission invite les États membres à promouvoir la « bonne gouvernance » fiscale : Dr. fiscal 2009, act. 154
Conclusions de la conférence de Berlin sur les paradis fiscaux : Dr. fiscal 2009, act. 221
Crise financière et paradis fiscaux : JCP E 2009, act. 452
François Barrière, Une cause de la crise financière : un défaut de réglementation ? : JCP E 2009, 1571
François Veverka, Faut-il une réglementation stricte des agences de rating ? : JCP E 2009, 1578
Pierre-Jean Gaudel et Jérôme Deforge, IFRS : les normes comptables sont-elles un accélérateur de crise ? : JCP E 2009, 1580
Emprunt national : une commission réfléchira aux priorités d’avenir : JCP A 2009, act. 890
Bilan d’étape des mesures prises pour lutter contre la crise et débat national sur les priorités d’avenir : JCP S 2009, act. 361
Anne-Catherine Muller, Rapport Larosière : Rev. Dr. bancaire et financier 2009, comm. 145
Institut Montaigne, « Le G20, et après ? ».
M. Aglietta, Le prêteur en dernier ressort international et la réforme du FMI in CAE, Les crises de la dette : prévention et résolution : Paris, La Documentation Française, 2003, p. 69.
Benoît Le Bars, La « moralisation » de la vie des affaires est-elle en cours ? : JCP G 2009, act. 115, Aperçu rapide

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.