Etats-Unis : vers une crise constitutionnelle ?                                                                               

Alors que la juge féministe Ruth Bader Ginsburg vient de décéder, une nouvelle place s’est ouverte à la Cour Suprême que les républicains pourraient essayer de combler d’ici la prochaine élection présidentielle du 3 novembre 2020.

Historiquement, la politisation de la Cour Suprême américaine a rarement créé des crises d’envergure nationale en temps d’élections présidentielles. Une exception est toutefois survenue en l’an 2000, lors de l’élection opposant le vice-président démocrate Al Gore au gouverneur républicain du Texas George W. Bush.

Affaire Bush contre Gore : le recomptage en question

Il faut 270 grands électeurs pour décrocher la présidence. Au soir de l’élection, Al Gore remporte le vote populaire et 266 grands électeurs, tandis que George W. Bush en récolte 246. Tous les yeux se rivent alors vers la Floride et ses 25 grands électeurs.  À la fin de la soirée, George Bush mène en Floride par 300 voix (0,01 %) sur son concurrent démocrate. S’en suivent des affrontements juridiques durant trente-six jours.  Le démocrate Al Gore demande d’effectuer des recomptages manuels dans quatre comtés de Floride très favorables à son parti (Broward, Miami Dade, Palm Beach et Volusia). La Cour Suprême de Floride à majorité démocrate avalise les démarches du candidat et lui donne un délai de recomptage jusqu’au 26 novembre.

Or, en date du 26 novembre 2000, certains des quatre comtés n’ont pas terminé leur recomptage. La secrétaire d’Etat républicaine de la Floride souhaite faire certifier les résultats non-recomptés puisque le délai est épuisé. Le démocrate Al Gore saisit alors de nouveau la Cour Suprême de Floride qui lui donne raison le 8 décembre 2000 dans l’arrêt Gore v. Harris [1]. Par une décision rendue à quatre contre trois, la Cour Suprême de Floride décide du recomptage manuel de tout l’Etat de Floride.

Le républicain George W. Bush saisit d’urgence la Cour Suprême des Etats-Unis (à majorité républicaine). La Cour prononce la suspension du recomptage en Floride le 9 décembre. La Cour Suprême des Etats-Unis doit alors se prononcer sur deux questions de droit : Les recomptages, au fur et à mesure qu’ils se déroulaient, étaient-ils constitutionnels ?; Si les recomptages étaient inconstitutionnels, quelle doit être la solution ? George W. Bush invoque la clause d’égalité de protection du quatorzième amendement de la Constitution américaine qui exige que les personnes se trouvant dans des situations similaires soient traitées de manière égale par la loi. Cette pratique de recomptage a révélé qu’il n’y avait pas de méthode similaire pour chaque bureau de vote. La Cour rend par une décision à sept contre deux que le recomptage actuel en Floride est donc bien inconstitutionnel.

Se pose alors la deuxième question. Reste-t-il suffisamment de temps pour qu’un recomptage valide ait lieu ? Cette deuxième question a été beaucoup plus polarisée politiquement. Les cinq juges républicains ont considéré qu’il n’était plus possible de compter à temps pour la réunion du collège électoral, tandis que les quatre juges démocrates ont estimé au contraire qu’il y avait encore le temps suffisant. C’est ainsi par une décision à cinq contre quatre que George W. Bush a mis fin à la bataille juridique et est devenu Président des Etats-Unis, sans que jamais l’on ne sache clairement qui avait remporté l’Etat.

Présidentielles 2020 : le nouvel enjeu du vote par correspondance

L’élection présidentielle de cette année n’est pas à l’abri de batailles juridiques de même ampleur. En effet, en raison de la pandémie Covid-19, une grande partie des Américains (et notamment des démocrates) comptent exercer leur droit de vote par correspondance, à tel point qu’il n’est pas improbable que les opérations de comptage et recomptage prennent du temps. Si cela mène à des affrontements judiciaires, cela pourrait engendrer de la méfiance politique et nuire à la crédibilité des institutions américaines. Treize ans après l’élection de George W. Bush, Sandra Day O’Connor, une des cinq juges républicains ayant joué un rôle pivot dans Bush vs Gore, a regretté que la Cour Suprême des Etats-Unis se soit emparée de la question. [2]

Il reste à espérer que cet automne, le comptage des nombreuses voix par correspondance ne donne pas lieu à des batailles judiciaires. Il faut méditer à ce titre l’opinion du juge Stevens rendue en l’an 2000 : « Nous ne saurons sans doute jamais avec certitude l’identité du vainqueur de l’élection présidentielle de cette année. Mais l’identité du perdant ne fait aucun doute. Il s’agit de la confiance portée par notre Nation au juge en tant que gardien impartial de l’État de droit. » [3]

Sami Haderbache

[1] https://caselaw.findlaw.com/fl-supreme-court/1489363.html

[2] https://takingnote.blogs.nytimes.com/2013/04/29/oconnor-regrets-bush-v-gore/

[3] https://www.law.cornell.edu/supct/html/00-949.ZD.html

Pour approfondir sur Bush v Gore. [4] https://supreme.justia.com/cases/federal/us/531/98/

 

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