Interview d’Alexandre Lacresse, référendaire à la CJUE et rapporteur au sein de l’autorité de la concurrence

Formation :

  • Maîtrise à l’université de Nancy.
  • DEA en droit communautaire au Centre Européen Universitaire de Nancy (CEU).
  • Obtention du Barreau de Paris.

Carrière :

  • Référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
  • Rapporteur à l’Autorité de la concurrence.
  • Avocat en droit de la concurrence au sein du cabinet Fidal.

Le Petit Juriste : En quoi consiste le métier de référendaire à la CJUE ?
Alexandre Lacresse : Le métier de référendaire à la Cour consiste à être un juriste auprès d’un juge ou d’un avocat général. Lorsqu’on est référendaire pour le compte d’un juge, on l’assiste dans les différentes étapes des dossiers qu’il nous confie. Notre mission consiste à préparer les dossiers de procédure, qui sont composés de divers documents : les rapports préalables, les rapports d’audience (s’il y en a une), les échanges avec le cabinet de l’avocat général (si des conclusions sont demandées), la rédaction d’un projet de motif, la gestion du délibéré (prise en compte des remarques des autres juges de la formation) et la préparation du projet d’arrêt jusqu’au prononcé de la décision.

Notre rôle est d’être l’interface entre le juge et les autres services de la Cour et les cabinets des autres juges dans les dossiers dans lesquels le juge siège. Il doit alors relire le dossier, aider le juge à préparer l’audience, être force de proposition pour le délibéré sur la base du projet de motif élaboré par un autre juge.

Un référendaire doit apprécier d’une part le travail de recherche et de rédaction et d’autre part, il doit savoir « négocier » et trouver des compromis avec les référendaires des autres juges lorsqu’ils font des propositions de rédaction. Mais il ne faut jamais oublier que le seul qui a un pouvoir décisionnaire est le juge.

LPJ : En quoi consiste le métier de rapporteur au sein de l’Autorité de la concurrence ?
AL : Lorsque je travaillais à l’Autorité de la concurrence, j’avais le statut de rapporteur. Pour avoir une vue d’ensemble sur l’organisation de l’Autorité, il faut savoir qu’elle se divise en deux fonctions. D’un côté, la fonction de décision appartient au Collège et, de l’autre, la fonction d’instruction relève de l’autorité du Rapporteur général. Je faisais partie des services d’instruction, qui sont eux-mêmes divisés en différents services. Cinq d’entre eux sont spécialisés en anti-trust et un l’est en charge des concentrations. J’appartenais à une unité qui était, en pratique, concernée par des affaires dans le domaine de la distribution (alimentaire, non alimentaire et vente sur Internet).

La mission première d’un rapporteur est d’instruire les dossiers dont il a la charge et d’assurer leur mise en état afin de permettre au Collège de l’Autorité de prendre sa décision. Les rapporteurs recueillent des éléments de preuves, en instruisant à charge et à décharge. Pour instruire un dossier, il faut en général : organiser des auditions, demander des informations aux entreprises au moyen des pouvoirs que confère le Code de commerce et préparer, si les éléments recueillis le permettent, une notification de griefs. Dans le prolongement, il faut préparer le rapport qui sera, d’une part, la réponse aux observations des entreprises mises en cause et, d’autre part, la base de la position défendue devant le Collège. Dans le recueil des éléments de preuve, nous pouvons aussi mener ou participer à des perquisitions. Comme rapporteur, nous pouvons aussi être amenés à travailler avec des agents d’autres autorités de concurrence nationales ou de la Commission européenne dans le cadre du Réseau européen de concurrence (REC). Nous y présentons le travail et la position de l’Autorité. J’ai pu m’y rendre à deux reprises dans le cadre du groupe « Médias et Sport » pour présenter les travaux de l’Autorité dans ce domaine.

LPJ : En quoi votre travail à la Cour de justice de l’Union européenne vous a été utile dans vos deux derniers postes ?
AL : Le métier de rapporteur était assez distinct de celui de référendaire. À la Cour, le dossier était déjà constitué par les parties et nous ne faisions que synthétiser les éléments, alors qu’à l’Autorité il y avait tout un travail de constitution du dossier et de recueil des preuves. Il faut alors procéder par étapes, en construisant des scénarios à partir des premiers éléments recueillis, scénarios qui sont par la suite confirmés ou infirmés par les éléments collectés au fur et à mesure de l’instruction et qui permettront alors de se prononcer sur l’existence de pratiques anti-concurrentielles. Cependant, mon expérience à la Cour m’a été très utile, dans le sens où c’est un travail de dossiers qui m’a permis de développer des qualités comme la rigueur et la synthèse dans la rédaction, très utiles notamment pour la qualification des pratiques.

Lorsque l’on devient avocat, on change complètement d’univers. On quitte une position d’impartialité pour défendre les intérêts de l’une des parties. Mes précédentes expériences me sont néanmoins très utiles puisque, ayant travaillé au sein d’une autorité de concurrence et d’une juridiction européenne, je suis plus à même d’anticiper leur façon de penser et d’aborder les dossiers. Grâce à cela, je peux expliquer aux clients comment les choses vont se dérouler et mieux les accompagner.

LPJ : Depuis que vous êtes en poste à Paris, êtes-vous toujours confronté au droit européen ? 
AL : Oui, nous sommes très souvent confrontés à des questions européennes. Cela s’explique par le fait que le droit européen s’applique dans de très nombreuses situations, parfois même dans des cas strictement nationaux.

Le droit de la concurrence au niveau national, plus que d’autres matières du droit, est très proche autant dans sa théorie que dans sa pratique du droit européen de la concurrence. Le Code de commerce contient des dispositions proches, voire identiques, à celles des traités européens et les mêmes principes (prohibition des ententes et des abus de domination) sont appliqués autant sur le plan national que sur le plan européen. L’Autorité de la concurrence s’inspire régulièrement de la Commission, même lorsque seul le droit national est en cause. Alors, passer de l’un à l’autre se fait facilement du fait de cette imbrication.

LPJ : Quels sont les sujets de mémoire européens intéressants pour de nouveaux étudiants en master ?
AL : Sur les deux dernières années, il y a eu des développements importants sur l’intensité du contrôle du Tribunal de l’Union sur les décisions de la Commission en matière de concurrence. Cela a fait l’objet de plusieurs décisions qui peuvent intéresser des cabinets d’avocats.

Concernant les entreprises, il y a eu des évolutions récentes en matière de perquisitions de concurrence, tant devant la Cour européenne des droits de l’homme que devant la CJUE. Ensuite, il y a les débats autour de la vente par Internet et comment la concilier avec la vente physique. C’est un enjeu dans le secteur de la distribution en général autant pour les fournisseurs que pour les distributeurs. Par exemple, actuellement, je travaille sur un dossier qui concerne l’organisation de la vente de produits via des plates-formes Internet ou « marketplaces ». La question qui se pose est celle de savoir comment concilier un réseau de distribution sélectif avec la vente sur les places de marché. Pour le fournisseur, l’enjeu est d’organiser la relation avec la place du marché tout en préservant les vendeurs de son réseau sélectif et son image de marque alors même que la « marketplace » ne fait pas partie du réseau.

Je ne dirige pas de mémoire mais j’interviens en université. Je pourrais conseiller aux étudiants qui cherchent un sujet intéressant, dans une logique professionnelle, d’avoir une démarche proactive. Ils pourraient contacter les entreprises dans lesquels ils souhaiteraient travailler et échanger avec le responsable juridique afin d’identifier les sujets ayant un intérêt pour l’activité de son entreprise.

LPJ : Quels seraient vos conseils pour des étudiants souhaitant travailler au niveau européen ?
AL : Pour travailler au sein des institutions il y a plusieurs voies d’accès. La principale est celle du concours. C’est à la fois simple – puisqu’il suffit de s’inscrire et de se préparer – et compliqué, car certaines épreuves ne sont pas strictement juridiques mais destinées à éliminer le plus grand nombre de candidats. Il faut donc bien préparer ces types d’épreuves. Des formations telles que celles dispensées par le Collège de Bruges ont la réputation de très bien préparer aux concours de la fonction publique européenne.

Pour intégrer les institutions, il y a d’autres voies possibles, comme le travail en tant que contractuel pendant une durée limitée. C’est important, dans ces cas-là, de faire un stage avant. Les étudiants connaissent le « Blue Book » de la Commission mais je trouve important de rappeler que ce n’est pas la seule institution à prendre des stagiaires. Il ne faut pas se restreindre à la Commission puisque la procédure est plus lourde par rapport aux autres. Pour la CJUE, il suffit d’envoyer un CV et une lettre de motivation à un juge. Pour le Parlement européen, les étudiants peuvent envoyer un CV et une lettre de motivation à un député, à un groupe parlementaire, au président de l’institution ou à un autre responsable. Il faut faire preuve d’imagination, oser et faire preuve de ténacité. Après l’obtention de mon diplôme de DEA, je suis parti à Luxembourg pour effectuer un master qui m’a permis, en étant sur place, de décrocher un stage au Tribunal de l’Union européenne. Ce type d’expérience permet de se faire des contacts professionnels et de faciliter son insertion sur le marché du travail.

Pour un étudiant candidat à un stage ou un emploi dans le milieu du droit européen, il doit avoir un certain intérêt pour la « chose européenne » et, de ce fait, avoir suivi des formations en lien avec le droit européen. L’échange ERASMUS est aussi un point essentiel qui montre que l’étudiant est mobile, a des connaissances dans une langue étrangère et s’intéresse à d’autres cultures. Il y a d’autres voies possibles pour montrer son intérêt comme la participation à des « think tank » ou des organisations ou associations travaillant sur des sujets européens. Il faut prouver que l’on croit dans le projet européen plus par des actes que par des mots.

LPJ : Pourquoi la promotion des métiers de l’Europe vous paraît-elle primordiale ?
AL : Promouvoir les opportunités européennes me paraît primordial puisqu’aujourd’hui c’est incontournable. L’Union européenne n’est pas une fiction et n’est pas limitée à « Bruxelles ». L’Union comprend tous les pays membres dont la France et le droit européen s’applique sur tous ces territoires. Quand on est un convaincu, comme moi, de la pertinence du projet européen, on participe à sa manière à ce projet.

Propos recueillis par Ines Rodriguez 

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