« Bruxelles lave plus blanc ! »

« Bruxelles lave plus blanc ! »[1]


 

La Commission européenne vient de condamner les géants mondiaux du secteur des lessives à une amende totale de 315,2 millions d’euros pour une affaire d’entente, réglée à l’amiable par une procédure de transaction, la troisième depuis son instauration en 2008.[2]

 


Rappel des faits

 

Dans cette affaire, il était question d’une entente concernant les détergents en poudre destinés au lavage en machine, d’une durée d’environ 3 ans : de janvier 2002 à mars 2005. Suite à une rencontre au sein d’une organisation professionnelle pour améliorer les performances écologiques de leurs produits, ces entreprises se sont entendues pour coordonner leurs prix et « vendre au même prix les paquets de lessive en poudre et les flacons de lessive liquide, tout en réduisant les contenances »[3] en Belgique, France, Allemagne, Grèce, Italie, Espagne, au Portugal et aux Pays-Bas, causant ainsi des dommages aux consommateurs.

 

La décision


D’après le communiqué de presse publié sur le site de la Commission[4], Procter & Gamble et Unilever se voient condamnées à payer respectivement 211,2 millions d’euros et 104 millions d’euros pour une entente avec la société Henkel sur le marché des poudres à lessiver dans huit pays de l’Union européenne, en violation des dispositions des articles 101 du TFUE et 53 de l’accord EEE.

C’est à la suite d’une décision de transaction que la Commission a infligé ces sanctions pécuniaires aux deux sociétés, mettant ainsi fin à l’enquête sur le cartel. Henkel est également visée par la décision, mais ayant révélé l’entente en 2008, cette société a pu bénéficier d’un programme de clémence et donc d’une immunité totale d’amendes.

Procter & Gamble et Unilever ont pu, pour leur part, bénéficier d’une réduction d’amendes dans le cadre d’une procédure de clémence pour leur coopération avec la Commission, apportant ainsi des éléments sensibles dans le cadre de l’enquête. En outre, ces deux entreprises ont pu bénéficier d’une réduction supplémentaire de 10% pour avoir régler l’affaire à l’amiable.

En effet, celles-ci ont dès le second semestre de 2010 précisé qu’elles étaient prêtes à conclure une transaction sur les bases du règlement n°1/2003 relatif aux affaires d’entente. L’affaire a ainsi été réglée très rapidement puisqu’en janvier 2011, elles reconnaissaient leur responsabilité dans l’infraction aux règles communautaires de concurrence et, en février, elles confirmaient les griefs communiqués par la Commission. Le 13 avril la Commission rendait une décision de transaction.

 

Le calcul des amendes sur le fondement des lignes directrices de l’UE de 2006[5]

 

En l’espèce, le communiqué de presse de la Commission[6] précise les critères qui ont été pris en considération pour le calcul des amendes :

–       « les ventes respectives des entreprises en cause dans les huit pays concernés » par l’entente;

–       « l’extrême gravité de l’infraction »;

–       « la part de marché cumulée élevée des parties ». 

 

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L’action en dommages et intérêts

 

L’affaire n’est pas terminée, puisque des poursuites en dommages et intérêts ont été engagées devant les tribunaux nationaux de plusieurs États membres et une telle décision de la Commission européenne « constitue une preuve contraignante de l’existence et du caractère illicite des pratiques en cause »[7]. Ainsi, au niveau national, les entreprises pourraient voir leurs amendes augmenter avec des condamnations en dommages et intérêts pour indemniser les victimes de l’infraction aux règles de la concurrence suite au préjudice subi.

 

Rappel sur la procédure de clémence


En Droit communautaire, la politique de clémence consiste à inciter les entreprises parties à un cartel à le dénoncer en échange d’une immunité totale ou partielle d’amendes. Il s’agit d’un instrument particulièrement efficace pour déstabiliser, révéler et démanteler les ententes secrètes qui sont extrêmement difficile à détecter. Cette politique illustre bien la volonté de la Commission européenne de faire de la lutte contre les ententes horizontales ou « hard core cartels » une priorité[8].

 

L’entreprise qui révèle sa participation à une entente, doit remplir ces conditions pour bénéficier d’une immunité totale d’amendes[9] :

–       L’entreprise doit être la première à fournir des renseignements et des éléments de preuve permettant à la Commission :

*d’effectuer une inspection ciblée en rapport avec l’entente ;

*de constater une infraction à l’article 81CE (aujourd’hui 101 TFUE) en rapport avec l’entente présumée ;

–       L’entreprise doit apporter une coopération véritable, totale, permanente et rapide ;

–       L’entreprise doit avoir mis fin à sa participation à l’entente présumée sans délai après le dépôt de sa demande sauf pour ce qui est, de l’avis de la Commission, raisonnablement nécessaire à la préservation de l’intégrité des inspections ;

–       L’entreprise ne doit pas avoir détruit, falsifié ou dissimulé des preuves de l’entente présumée, ni avoir divulgué son intention de présenter une demande ni la teneur de celle-ci, sauf à d’autres autorités de la concurrence ;

–       L’entreprise ne doit pas avoir pris des mesures pour contraindre d’autres entreprises à se joindre à l’entente ou à y rester.

 

Les entreprises suivantes obtiendront seulement des réductions d’amendes[10]. D’après la Commission européenne, pour que l’entreprise obtienne une réduction d’amendes, elle doit faciliter le travail d’enquête de la Commission en apportant des éléments de preuves et en se montrant coopérative. Ces éléments de preuve doivent apporter une « valeur ajoutée » significative par rapport aux éléments de preuve que la Commission possède déjà.

Des fourchettes de réduction sont prévues en fonction du rang de l’entreprise qui dénonce : 30 à 50% pour la première qui remplira la condition de « valeur ajoutée », 20 à 30% pour la seconde, et pour la troisième, une réduction maximale de 20%.

 

Rappel sur la procédure de transaction

 

La procédure de transaction a été instaurée en 2008 et a pour avantage de permettre à la Commission une résolution simplifiée et plus rapide des affaires d’entente. Comme précisé précédemment, la transaction est une procédure basée sur le règlement n° 1/2003 relatif aux affaires d’entente.

Cette procédure est donc avantageuse tant pour les consommateurs, les autorités de concurrence que pour les entreprises puisqu’elle leur permet de bénéficier d’une réduction des coûts et des amendes (de 10%).

 

 

Meryl Haggege

Master 2 Concurrence et régulation des marchés

Université Paris X Nanterre

 

 

Notes


[1] LETESSIER I. et GALLEN C., « Lourdes sanctions pour le cartel des lessives », Le Figaro, 13 avril 2011

 

[2] Les deux affaires précédentes : affaire de l’entente entre les fabricants de composants électroniques (mémoires DRAM) & affaire de l’entente entre les producteurs de phosphates destinés à l’alimentation animale

 

[3] GIRARD L., « Bruxelles condamne des lessiviers pour entente » Le Monde, 15 avril 2011

 

[4] Communiqué de presse de la Commission européenne IP/11/473

 

[5] Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n°1/2003

 

[6] Cf. Note 4

 

[7] Communiqué cité à la note 4

 

[8] KROES N.,Commissaire chargée des affaires de Concurrence, 2004

 

[9] Points 8 et suivants de la Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (2006/C 298/11)

 

[10] Points 23 à 30 de la Communication citée à la note 9

 

Pour en savoir plus :

 

1) Sur les amendes individuelles infligées aux entreprises dans l’affaire en cause :

 

–       Tableau récapitulatif des amendes individuelles dans le Communiqué de presse de la Commission IP/11/473

 

–       Synthèse des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003, publiée sur le site Europa

 

2) Sur les premières affaires d’entente réglées par transaction :

 

–       Communiqué de presse de la Commission européenne IP/10/586 sur l’entente entre les fabricants de composants électroniques (mémoires DRAM)

 

–       Communiqué de presse de la Commission européenne IP/10/985 sur l’entente entre les producteurs de phosphates destinés à l’alimentation animale

 

 

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