La "copropriété" des joueurs de Football

Le sport professionnel est fréquemment saisi par le droit. Si les acteurs du monde sportif ne sont pas toujours conscients des principes juridiques applicables, ils savent néanmoins faire preuve d’une imagination débordante sur certains mécanismes. Après les transferts et les prêts de joueurs, intéressons-nous à l’opération appelée par la presse spécialisée la « copropriété de joueurs ».

 

Essentiellement utilisée par nos voisins transalpins, la copropriété de joueurs de football reflète un barbarisme du terme qui, à sa lecture, interpellera n’importe quel juriste.La copropriété de joueur, bien qu’étant une exagération de langage due à l’utilisation médiatique de la transaction, définit le montage juridique permettant l’opération de transfert. En effet, la copropriété n’est pas plus autorisée par le Code civil italien que le Code civil français. Toutefois, le législateur italien affiche une souplesse de raisonnement certaine lorsqu’il s’agit de football.

 

Lorsqu’un joueur est en copropriété entre deux clubs, nous avons le tort de penser qu’il est détenu à hauteur de 50% par chacun d’entre eux. La confusion provient de l’utilisation des mécanismes d’achat de droits personnels des joueurs, pratique courante en Amérique latine. L’achat de ces droits fédératifs, essentiellement le droit à l’image, permet au club de se rémunérer sur l’exploitation de cette image, en contrepartie de l’indemnisation du joueur. Nous préciserons que si ce type d’opération juridique est légale dans les pays sud-américains, il n’existe pas en Europe.

 

Ainsi, le joueur n’est nullement détenu pour moitié par les deux clubs. Seul un club bénéficie des services du joueur salarié.

 

Lors de l’opération de transfert[1], le club acheteur verse une indemnité négociée avec le club vendeur, ces derniers prévoyant alors une clause d’intéressement exclusive du club vendeur lors d’un prochain transfert. Cette clause d’intéressement est alors calculée en fonction du transfert actuel du joueur, fixée généralement à 50% pour simplifier le montage juridique. Mais elle pourrait tout aussi bien s’élever à 80% ou à 30%. Etant révisable, elle peut également porter sur un transfert ultérieur.

 

Prenons l’exemple du footballeur Davide ASTORI, en copropriété entre les clubs de Cagliari et du Milan AC[2].

 

Astori est un défenseur italien formé au Milan AC et récemment convoqué au sein de l’équipe Italienne (il dispose alors du statut d’international). Prêté deux saisons en 3ème division du championnat Italien (le Calcio) par le Milan AC avec lequel il est toujours sous contrat, il est acheté 1,2 M€ en 2008 par le club de Cagliari. Mais Cagliari n’a pas acheté la moitié du joueur. Le club a payé 1,2 M€ pour transférer le joueur dans ses rangs, avec une clause d’intéressement de 50% sur le prochain transfert, au bénéfice du Milan AC. Par conséquent, cela permet au Milan AC d’être en position de force pour récupérer le joueur ultérieurement. Le Milan, s’il veut racheter le joueur, en tant que bénéficiaire de 50% du prochain transfert, n’a plus qu’à verser la moitié de la somme nécessaire pour le transfert. Cette somme reste toutefois à négocier avec Cagliari. Si Cagliari demande 10M€ pour le transfert, le Milan n’aura plus qu’à en payer 5.

 

Ce type de mécanisme est avantageux pour tous les acteurs du dossier. En premier lieu, il fait baisser le prix de transfert3 pour le club acheteur. Il permet au club vendeur de garder une option intéressante en cas de progression fulgurante du joueur. Enfin, cela permet au joueur d’acquérir du temps de jeu dans une équipe plus modeste, tout en restant sous la surveillance d’un club plus huppé. Notons également que la copropriété permet aux clubs de payer moins de TVA sur le transfert effectué. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle est au centre des préoccupations de l’administration fiscale italienne.

 

Pour les clubs italiens, la copropriété est une réelle politique de gestion de l’effectif et un outil de recrutement. L’Inter Milan gère environ 20 dossiers de copropriété à lui seul, la plupart d’entre eux étant passés avec des clubs plus modestes de 3ème ou 4ème division.

 

En France, les clubs professionnels de football n’utilisent pas ce mécanisme. Le principe de sincérité des compétitions est un frein culturel que les clubs ne mettent pas en péril par ce type de pratique. Néanmoins, certains transferts ont été l’objet d’opérations successives et supplémentaires à la seule opération de transfert. Ainsi, le transfert de Kévin Gameiro du FC Lorient au PSG4 a été l’objet d’un rachat préalable par la FC Lorient de la clause d’intéressement au transfert que détenait le RC Strasbourg. Ce rachat a permis au FC Lorient de percevoir l’intégralité de l’indemnité de transfert payée par le PSG, et au RC Strasbourg de percevoir une recette supplémentaire alors qu’il était en proie à des difficultés financières importantes (relégation administrative). Toutefois, dans ce dernier cas, nous ne sommes pas en présence d’une “copropriété”, puisque la clause d’intéressement n’était pas exclusive au club vendeur.

 

La complexité de ces montages alliée à la frénésie italienne pour les transferts peuvent entraîner des dérives du système et engendrer de l’opacité dans les opérations de mutation. La difficulté s’accentue clairement lorsque le joueur en copropriété est prêté à un troisième club, avec ou sans option d’achat. Il est également possible de racheter la copropriété. Un troisième club vient alors racheter la clause d’intéressement détenu par le second club.

 

L’UEFA réitère régulièrement sa demande d’abrogation d’un tel système lors des transferts de joueurs. Aujourd’hui, la Fédération italienne, la Ligue et l’administration fiscale se penchent également sur le sujet.

 

Régis PILLON

 

 

1   Gérald Simon, Droit du Sport, éd.PUF, 2012, p. 220

2   www.calciomio.fr

3   Fabrice Rizzo, La conclusion et l’exécution des contrats de transfert de sportif professionnels, Revue Lamy droit civil décembre 2005, p.60-68

4   Journal L’Alsace, Une négo à la baisse, 12/05/2011

 

 

POUR EN SAVOIR PLUS :

–       Gérald Simon et al., Droit du Sport, éd. PUF, 2012

–       Jean-Rémi Cognard, Contrats de travail dans le sport professionnel, Jurisport hors série février 2012

–       www.calciomio.fr

–       www.droitdusport.com

 

 

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