La décision du Conseil constitutionnel sur la garde à vue : une véritable révolution ?


 


 

 

En France, la garde à vue est au centre des débats depuis plusieurs mois. Son utilisation révèle une dérive grave: une banalisation de la privation de la liberté trop souvent accompagnée d’humiliations diverses abondamment rapportées par la presse. Fortement critiquée, elle bat des records : 790 000 en 2009Par la décision n°2010-14/22 du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a considéré inconstitutionnelles les conditions de la garde à vue de droit commun. Il se fonde sur une analyse sévère des conséquences des dérives de notre procédure pénale.

 

 


 


  1. 1. Le régime actuel de la garde à vue de droit commun

 

 

La garde à vue est le pouvoir donné par la loi à un officier de police judiciaire de priver de liberté une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. La durée légale de la garde à vue est de 24 heures, avec possibilité d’une prolongation, justifiée par les nécessités de l’enquête de 24 heures supplémentaires, soit 48 heures maximum. Le gardé à vue doit être immédiatement informé de ses droits. Depuis 1993, le gardé à vue peut faire prévenir son employeur ou un membre de son entourage proche par la police, demander à être examiné par un médecin et avoir un entretien avec un avocat pendant 30 minutes et dès la première heure. Par contre, l’avocat n’a aucun droit d’accès au dossier. Il ne sait que la qualification des faits et la date de ceux-ci.

 

 

 

 

 

  1. 2. La garde à vue inconstitutionnelle ?

 

 

Dans le cadre de la nouvelle procédure de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), la Cour de cassation a saisi le 1er juin 2010 le Conseil constitutionnel de la question relative à la garde à vue. Ce qui est en cause est la constitutionnalité de la procédure de la garde à vue par rapport aux droits et libertés affirmés dans la Constitution de la Vème République. En d’autres termes, la Cour de cassation a demandé, à la suite de nombreuses QPC déposées par les avocats, si l’article 63-4 du code de procédure pénale est conforme  aux articles 6 ; 9 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ainsi qu’à l’article 66  de la Constitution. Considérant les évolutions survenues depuis près de vingt ans (modifications législatives, augmentation substantielle du nombre d’officiers de police judiciaire) et leur impact sur l’utilisation faite de la garde à vue (recours accru, y compris pour des infractions mineures), le Conseil constitutionnel a jugé que le régime de la garde à vue ne permet plus de garantir le respect des droits et libertés des citoyens.

 

Le Conseil Constitutionnel a donc rendu sa décision le 30 juillet 2010 dans le cadre d’une QPC. Il s’agit de la nouvelle procédure créée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui permet à tout citoyen de soulever au cours d’une instance judiciaire où il est partie, l’inconstitutionnalité de la loi censée lui être appliquée.

 


  1. 3. La solution retenue

 

 

Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 62 (audition des personnes convoquées sans avocat) ; 63 (principe et modalités de la garde à vue) ; 63-1 (notification des droits) ; 63-4 (entretien limité avec un avocat : 30 minutes maximum ; pas d’accès à la procédure)  et 77 (application de la garde à vue aux enquêtes préliminaires) du code de procédure pénale. La place de l’avocat durant la garde à vue devra ainsi être renforcée par rapport à la situation actuelle, où l’avocat ne joue qu’un rôle très secondaire, n’étant autorisé ni à prendre connaissance du dossier ni à assister aux interrogatoires en garde à vue.

 

Par contre, il a refusé d’étendre son examen à l’article 706-73 du code de procédure pénale qui prévoit les régimes dérogatoires de la garde à vue (la criminalité organisée ; le terrorisme). En effet, dans le cadre de ces régimes, l’avocat est maintenu éloigné 48h voire 72 heures.

 

En conclusion, le Conseil constitutionnel déclare que la garde à vue de droit commun est non conforme à la Constitution. Il a repoussé,  comme le lui permet l’article 66 de la  Constitution, les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité au 1er juillet 2011 pour laisser au gouvernement le temps de voter des règles conformes à sa décision. En d’autres termes, le Conseil interdit de contester les mesures prises avant le 1er juillet 2011. Les procédures en cours ne sont pas annulées.

 

 

Menottes le petit juriste

 


  1. 4. Une révolution timorée

 

 

Malgré l’enthousiasme des avocats pour la décision du Conseil constitutionnel, les policiers sont réservés. Ils redoutent d’inévitables incidents entre officiers de police judiciaire et avocats lors des auditions.

 

De plus, la décision du conseil ne règle pas l’ensemble des difficultés juridiques soulevées par la garde à vue : elle reste floue sur certains points.

 

En effet, concernant les régimes dérogatoires, le Conseil s’estime lié par ses décisions antérieures en la matière. Il a ainsi implicitement réaffirmé la constitutionnalité des dispositions relatives aux gardes à vue d’exception, en matière notamment de criminalité organisée ou de terrorisme. Or, le droit français en ce domaine devrait être sanctionné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

 

Quant au rôle de l’avocat, le Conseil constitutionnel a laissé une très grande latitude pour les modalités selon lesquelles l’intervention de l’avocat devra être revue, en n’indiquant pas que l’assistance de l’avocat sera obligatoire dès les premières minutes de garde à vue, comme l’exige pourtant la Cour Européenne des Droits de l’Homme depuis les affaires Salduz et Danayan du 13 octobre 2009.

 

De plus,  le Conseil constitutionnel n’a pas abordé la question de l’indépendance de l’autorité chargée de contrôler le placement en garde à vue, pourtant expressément soulevée par certains des requérants. Or la Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé, dans l’affaire Medvedyev du 29 mars 2010, que ce contrôle devait être effectué par un magistrat du siège, et non un magistrat du parquet. En effet, le parquetier suit la quasi-totalité des gardes à vue mais il constitue l’autorité de poursuite. Il soutiendra l’accusation à l’audience. En somme, il est partie aux poursuites en cours. Comment prétendre qu’il va aussi contrôler la procédure en toute indépendance d’esprit ?

 

Pour finir, le Conseil constitutionnel admet en pratique, que des dispositions inconstitutionnelles pourront continuer à recevoir application jusqu’au 1er juillet 2011, et n’a tiré aucune conséquence pour les requérants de l’inconstitutionnalité des dispositions relatives à la garde à vue de droit commun. Ceux-ci, comme les suspects actuellement placés en garde à vue (de droit commun ou exceptionnelle), trouveront donc encore intérêt à se prévaloir de la jurisprudence protectrice de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en la matière. Certes, le Conseil constitutionnel a reporté l’effet abrogatoire de sa déclaration d’inconstitutionnalité au 1er juillet 2011. Mais ce report débouche sur une situation absurde où une procédure déclarée inconstitutionnelle parce que contraire aux droits de la défense peut continuer à être mise en œuvre pendant un délai d’un an. Il est évident que le législateur ne saurait attendre ce délai pour mettre la garde à vue en conformité avec les exigences constitutionnelles.




  1. 5. La proposition du gouvernement

 

 

En mars 2010, la garde des Sceaux a soumis un avant projet de réforme de la procédure pénale qui aménage la garde à vue. Pour réduire le nombre, elle a lancé l’idée d’une «audition libre» proposant que la garde à vue ne soit possible «que quand il s’agit de crimes et délits punis de peines d’emprisonnement». Pour les infractions mineures,  il serait question d’une «retenue judiciaire» de six heures avant une éventuelle garde à vue. Concernant le rôle de l’avocat, la garde des Sceaux a affirmé ce mardi 7 septembre que l’avocat sera présent tout au long de la procédure de la garde à vue, pour toutes les gardes à vue de droit commun. Mais le droit à la présence d’un avocat lors des auditions pourra connaître des exceptions dans des circonstances particulières, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes. Ce second avant-projet de loi doit dorénavant passer devant le Conseil d’État pour avis avant d’être présenté en Conseil des ministres.

 

 

Marion FAVONI

 

 

Pour en savoir plus 

 

 

Décision du conseil constitutionnel n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 sur www.conseil-constitutionnel.fr

 

 

Les articles 63 et suivants du code de procédure pénale

 

 

http://www.justice.gouv.fr

 

 

Patrick Klugman, « Le livre noir de la garde à vue ».chez Nova Editions

 

Le Monde du 9 septembre 2010, entretien avec Michèle Alliot-Marie p.11

 

www.courdecassation.fr


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