La liberté à la dérive ?

« Je suis libéral1 pour ne pas être un assassin. »

Roland Barthes

 

C’est un paradoxe récurrent qui touche les États: lorsqu’ils sont menacés, ils ont la fâcheuse tendance à réagir par des mesures de circonstance.

Hier les Etats-Unis, aujourd’hui la France.

C’est pourtant depuis les révolutions américaine et française que continue de se construire le système moderne de garantie des libertés.

Notre point de départ : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », tout le monde sait où la Terreur a mené.

Le système a alors progressivement connu une évolution majeure, notamment après les expériences malheureuses du XXème siècle : on est passé d’un État censé garantir l’exercice des libertés à un État dont les pouvoirs sont limités par l’exercice des libertés par les citoyens.

Or, les recours des justiciables contre les atteintes se font dans le cadre juridictionnel judiciaire ou administratif, facteur de paix sociale.

Malgré cela, ce sont aujourd’hui les amis de la liberté eux-mêmes qui sont susceptibles d’être surveillés par l’État sans aucun contrôle de l’autorité judiciaire !

Et pourtant, que ce soit une question de droit ou de morale, l’existence de la loi renseignements ne saurait se justifier.

« La liberté est l’absence de contrainte étrangère » (Lalande) : les définitions de la liberté sont souvent négatives.

De ces définitions procède le paradoxe sémantique qui veut qu’un pays libéral adopte un système répressif et non pas permissif.

Dans ce dernier, le souverain permet a priori aux citoyens de faire certaines choses : c’est le propre des pays totalitaires (e.g. l’URSS de Staline).

A l’inverse, dans le système répressif, le souverain choisi de sanctionner a posteriori les atteintes aux libertés par des lois, dans une démocratie, laissant de facto à chacun une liberté absolue (e.g. en droit de la presse, aucun dépôt préalable n’est exigé).

Contre ceux qui violent ces règles, seul un juge statutairement indépendant de l’exécutif peut venir prononcer une sanction. A fortiori, c’est à celui-ci que le pouvoir d’interdire a priori une mesure lorsqu’elle porte atteinte à une liberté peut être confié (e.g. le référé suspension, qui au surplus n’est pas une procédure de fond). C’est donc, par parallélisme, le juge qui doit être investi du pouvoir d’autoriser les mesures attentatoires aux libertés.

Ainsi en va-t-il pour les perquisitions, les fouilles, la géolocalisation et les écoutes (CEDH, 24 avr. 1990, Kruslin c/ France).

La nécessité du contrôle juridictionnel pour ces mesures procède d’ailleurs de textes de droit interne.

Selon la DDHC, la liberté n’a de bornes que celle d’autrui, afin que chacun jouisse des mêmes droits, dont les limites sont fixées par la loi ; aussi, le pouvoir exécutif est investit du pouvoir de police, c’est-à-dire du monopole de la violence.

Ensemble avec notre Constitution, qui fait de l’autorité judiciaire le garant de la liberté individuelle, autrement dit du droit à la sûreté, on en conclut que seul un Magistrat indépendant peut être susceptible de contrôler les mesures intrusives nécessaires au maintien de l’ordre public.

Or, la loi renseignements s’affranchit de ce contrôle primordial.

Ainsi l’argument selon lequel ce texte viendrait légaliser des pratiques clandestines existantes n’est-il pas recevable, alors même que notre droit prévoit déjà une procédure judiciaire. C’est au contraire sanctionner les dérives qui serait nécessaire.

Un agent britannique écrivait : « En l’absence de contrôle et ce en raison surtout des occasions qu’offre le renseignement de commettre des irrégularités, la seule garantie contre les dérives possibles réside dans la solidité du sens moral des agents ».2

C’est donc que seul un juge indépendant peut exercer un contrôle de nature à garantir le respect des libertés dans le cadre des écoutes. Le Conseil constitutionnel pourra alors simplement constater la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution par la loi déférée.

Antonin PÉCHARD

 

1. Le terme « libéral » recouvre ici une dimension politique et social, et non pas économique ; il s’agit du libéralisme dans sa première définition. // 2. R.V. Jones, Reflections on Intelligence, 1989.

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