La presse qui doit vendre peut-elle encore être libre ? – Armelle NIANGA


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« Je ne me lève pas chaque matin pour chercher la vérité. Je cherche seulement un peu de lumière pour éclairer la société dans laquelle je vis. Quand j’ai commencé, il y a presque dix ans, à écrire, sans commande précise, j’étais inquiet, j’avais peur et me sentais très fragile. Aujourd’hui, après des milliers de papiers publiés, je suis toujours dans le même état, même si je n’ai plus de métier. La peur et l’insécurité me rendent prudent et m’incitent à sélectionner et à vérifier mes sources […]. Assumer cette vulnérabilité me protège de la superficialité, le travail m’aide à mieux m’exprimer et ma responsabilité m’oblige à respecter les gens qui vont me lire » ;

« Je suis certain que le fait d’informer les autres objectivement et professionnellement et d’exprimer par écrit mes opinions sur la société dans laquelle je vis ne peut pas être un crime bien grave… personne, aucune loi ne me fera croire que je suis devenu un gangster ou un délinquant simplement parce que je signale l’arrestation d’un dissident […], dresse la liste des prix des denrées de base à Cuba, ou écris que je trouve consternant que plus de 20 000 Cubains s’exilent chaque année aux [USA] », écrivait Raúl Rivero, écrivain, poète et journaliste indépendant cubain, en 1999, puis 2002

Il y a quelques mois, l’affaire DSK boostait les audiences et ventes des médias français : « + 55% pour Le Monde [édition papier] » ; « un record pour Le monde.fr » ; « un pic historique de visites pour Ouest France » ; « une hausse des ventes de 113 % […] pour Libération »… Mais, sans doute et davantage, ce que l’on retiendra, nous : l’opinion publique, les politiques et les médias…, c’est sa capacité à avoir su, en un temps record, cristalliser les plus graves dérives du journalisme moderne et français.

Devant l’emballement – acharnement – médiatique, je rédigeais cet article : « L’affaire DSK : la justice pénale et les médias… – Ebauche de réflexion. », sur la base de simples constatations de fait, qui me conduisaient à 5 grandes interrogations ; relevant l’activisme journalistique en matière pénale, je m’interrogeais : Est-ce vraiment aux journalistes de mener les enquêtes ? ; Les enquêtes – dans tant de précipitation – les mènent-ils vraiment ? ; Le prononcé d’une décision de justice a-t-il un quelconque effet-et-intérêt lorsque l’accusé a déjà été médiatiquement et socialement jugé et/ou condamné ? ; La condamnation [et/ou-jugement] socio-médiatique n’est-elle pas susceptible de l’influencer ? ; La relation Média/Justice serait-elle à institutionnaliser ? : Faut-il prévoir [et organiser] le rôle et la place des médias dans le procès ?

 

Plus tard, je réalisais que ces questions, le professeur Serge Guinchard, les formulait et y répondait, il y a de cela, 17 années déjà : Serge Guinchard, « Les procès hors les murs » : Mélanges Gérard Cornu, PUF, 1994, p. 201… Toutefois, et à la grande réserve près, qu’à cette époque, « pratiquement tout ce qui [parait] bouleverse[r] et restructure[r] les médias et les métiers du journalisme d’aujourd’hui n’existait tout simplement pas » : ni les « connexions internet à haut débit » ; ni les « blogs » ; ni les « flux RSS » ; ni les réseaux d’échange, ni les réseaux sociaux ne venaient perturber le travail de fouille, recherche, collecte, tri, sélection, structuration et hiérarchisation de l’information… ; les journalistes n’avaient comme concurrents qu’eux-mêmes : les autres médias, tous étaient à peu près égaux dans la rapidité à capter, saisir et traiter l’information…

 

Aujourd’hui, et depuis l’avènement du web, puis [web]-social, les choses ont quelque peu changé : « les journalistes ne sont plus les seuls à traiter les nouvelles et l’événement peut même se passer d’eux ». Bouleversées, les attentes et habitudes de consommation des lecteurs – émetteurs et récepteurs actifs – de l’information – semblent avoir érigé l’actualité, [puis]-l’instantanéité, en valeurs suprêmes…

 

Sans doute, aurait-il fallu aux journalistes, entretemps, « se réinventer », se renouveler… Mais confrontés à leur propre concurrence ; à celle du web, des blogs, [puis] des réseaux sociaux ; à la baisse-et-stagnation des ventes, la raréfaction des lecteurs, aux objectifs de rentabilité…, ces « professionnels d’un secteur en crise » ont – pour faire vendre et pour survivre – opté pour une soumission, parfois quasi-totale, au diktat de l’actualité,- instantanéité ; livrant, en certains domaines, une information de plus en plus rapide (: de la « breaking news »), de moins en moins fiable, au risque de la désinformation…  Tout cela combiné à une quête permanente du choc, du scoop, du sensationnel : d’une information qui fait vendre –et– davantage que ses concurrents ; à une écriture journalistique soumise aux carcans de lignes éditoriales parfois – très – strictes ;  et à diverses autres menaces à l’indépendance d’une profession – déjà suffisamment – controversée : aides d’Etat ; ingérences et pressions des annonceurs publicitaires ; des groupes industriels-et-actionnaires…

 

Confrontée à des impératifs de chiffres ; sujette à une grande dépendance économique, la presse dont la liberté est pourtant juridiquement garantie et protégée parait, dans les faits, de moins en moins libre…

Tout cela se traduisant avec grande proportion dans le traitement médiatique des affaires pénales (: l’affaire DSK…), propices aux révélations, à la théâtralisation : à l’instrumentalisation…

Armelle NIANGA

Master recherche en droit mention Sociologie du droit et communication juridique

Université Paris II Panthéon-Assas  

 


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