La responsabilité pénale des représentants légaux des personnes morales, dans le cadre des infractions routières commises par leurs salariés

Les infractions routières sont de celles qui peuvent dans certains cas entrainer la responsabilité des personnes morales et/ ou de leur représentant. En effet, nombre de sociétés octroient à leurs salariés, un véhicule de fonction, ou de service. La distinction entre les deux se faisant essentiellement entre le véhicule attribué à un salarié (généralement un cadre de l’entreprise), comme élément de rémunération en nature, car ce dernier pourra jouir de l’usus dudit véhicule, ce même à titre privé, de celui attribué à un salarié pour les besoins de sa activité professionnelle uniquement, et qui ne devra logiquement utiliser le véhicule qu’à des fins purement professionnelles.

La responsabilité de la personne morale ne pourra être engagée, dans une certaine mesure, qu’en cas d’impossibilité pour l’agent de Police judiciaire ayant constaté l’infraction, d’identifier directement et sans ambiguïté, l’auteur de l’infraction. En effet, dans cette hypothèse, la question des poursuites et sanction ne se pose pas, car le délinquant routier aura pleinement été identifié lors de son interception.

La question n’aura donc d’intérêt que dans le cadre de contrôles automatisés, plus communément appelés radars fixes, mobiles ou encore la nouvelle génération de radar-tronçon. Le fait que la photographie prise par l’appareil de mesure ne permette pas d’identifier formellement le conducteur n’est pas un élément prépondérant pour la partie poursuivante (ministère public, ou officier du ministère public).

En effet, lors du relevé de l’infraction par un appareil de mesure, l’agence Nationale de Traitement Automatisé des Infractions (ANTAI), procédera à un traitement purement administratif de l’infraction, en procédant à l’envoi d’un relevé de l’infraction, ainsi que des sanctions attenantes au titulaire de la carte grise, à la personne au nom de laquelle le véhicule est immatriculé.

Cette information est importante car les sanctions encourues au titre des excès de vitesse peuvent être lourdes. En effet, outre l’amende pécuniaire, d’autre sanctions et risques sont encourus par le représentant légal d’une personne morale tel que les poursuites devant le tribunal correctionnel, la suspension du permis de conduire, ou encore la confiscation du véhicule par lequel le délit routier a été réalisé. Il convient d’en rappeler les bases :

Contravention Libellé de l’infraction Amende pécuniaire Retrait de points Suspension du permis Peines complémentaires
5ème classe 1ère infraction de vitesse ≥ 50 km/h 1500 €, délit si récidive 6 3 ans Confiscation du véhiculeEt/ouStage obligatoire
4ème classe Excès de vitesse > 40 km/h et < 50 km/h (rétention immédiate du permis) AMENDEMINOREE90 €-AMENDEFORFAITAIRE135 €-AMENDEMAJOREE375 €-SI TRIBUNAL,750 € MAXIMUM 4 3 ans
Excès de vitesse > 30 km/h et < 40 km/h 3 3 ans
Excès de vitesse > 20 km/h et < 30 km/h 2
Excès de vitesse < 20 km/h si vitesse maxi < ou = 50 km/h 1

NB : il est à noter qu’en cas de récidive d’une infraction aux limitations de vitesse ≥ 50km/h, le conducteur s’expose à une correctionnalisation de son infraction, et risque les peines suivantes :

  • Amende forfaitaire de 3 750 euros
  • Retrait de 6 points sur permis de conduire
  • Suspension de 3 ans du permis de conduire (sans sursis ni « permis blanc »)
  • Immobilisation ou confiscation du véhicule – Peine de prison de 3 mois

On peut donc aisément comprendre l’intérêt que suscite le contentieux de la circulation routière pour les représentants de personnes morales.

 

◆ A qui incombe la responsabilité pénale ou pécuniaire relative à l’infraction ?

 

Les textes sont clairs, et l’article L 121-3 du Code de la route énonce deux principes. Tout d’abord il prévoit que « …le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule est redevable pécuniairement de l’amende encourue pour des contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées… », mais prévoit également que « La personne déclarée redevable en application des dispositions du présent article n’est pas responsable pénalement de l’infraction».

 

◆ A qui incombe la responsabilité pécuniaire : représentent légal ou personne morale ?

 

La Cour de cassation [1] affirme par une jurisprudence constante que, « …lorsque le certificat d’immatriculation d’un véhicule verbalisé pour excès de vitesse est établi au nom d’une personne morale, seul le représentant légal de celle-ci peut être déclaré redevable pécuniairement de l’amende encourue et non la société elle-même… ». La Haute cour a également affirmé ce même principe lorsqu’un véhicule avait été loué par la société- personne morale.

 

◆ Le retrait de points ?

 

Le certificat d’immatriculation établi au nom d’une société, le retrait de points le sera de facto au nom de son représentant légal, et le ministère de l’Intérieur procédera au retrait des points consécutif à l’infraction sur le permis de conduire de ce dernier.

Pourquoi ? Conformément à l’article L 223-1 du Code de la route, si le chef d’entreprise décide de payer l’amende, les juges vont avoir une application stricte de la loi qui précise que « …la réalité d’une infraction entraînant retrait de points est établie par le paiement d’une amende forfaitaire, où les missions du titre exécutoire de l’amende forfaitaire majorée, l’exécution d’une composition pénale ou par une condamnation définitive. »

Conclusion : si le chef d’entreprise paie, il va, par ce paiement, établir une reconnaissance de l’infraction, impliquant par ce fait même, un retrait de points sur son permis de conduire, ce de façon inévitable.

 

◆ Il est légitime de s’interroger si celui qui paye l’amende peut ensuite contester le retrait des points devant le juge administratif ?

 

Le Conseil d’Etat refuse au représentant légal de se défendre a postériori en arguant devant la juridiction administrative qu’il n’était pas le véritable conducteur du véhicule, en précisant avec toute sa rigueur que « …lorsque le destinataire d’un avis de contravention choisit d’éteindre l’action publique par le paiement de l’amende forfaitaire, il résulte des dispositions de l’article L 223-1 du Code de la route que ce paiement établit la réalité de l’infraction et entraîne la réduction de plein droit du nombre de points dont est affecté le permis de conduire de l’intéressé. Par suite, celui-ci ne peut utilement soutenir devant le juge administratif, à l’appui de ses conclusions dirigées contre la décision de retrait de points, qu’il n’est pas le véritable auteur de l’infraction« .

Il est donc crucial pour un chef d’entreprise de protéger les intérêts de l’entreprise, mais également de protéger ses intérêts propres, surtout en l’absence de conventions écrites passées avec les conducteurs de véhicules immatriculés au nom de la société, et dont la responsabilité en cas d’infraction, reposera sur les épaules de son représentant légal.

 

◆ Quelles sont les possibilités offertes au chef d’entreprise pour se protéger ?

 

  • Payer l’amende, avec les conséquences présentées ci-dessus.
  • Dénoncer le salarié fautif (requête dite en exonération), qui était au volant du véhicule de société au moment où l’infraction a été commise, qui sera donc responsable non seulement pécuniairement de l’infraction mais il perdra également des points sur son permis de conduire.
  • Engager une procédure de contestation.

 

◆ La procédure de contestation ?

 

Intervient ici une autre règle normalement connue de tous : il appartient au ministère public de prouver la culpabilité de la personne poursuivie.

Par application pure et simple du principe de la présomption d’innocence, le représentant légal d’une entreprise n’a donc pas à rapporter la preuve de son innocence.

En toutes hypothèses, il faut solliciter la photographie du véhicule prise au moment où l’infraction est constatée par un radar automatique.

En effet, dans le cas où le véhicule a été flashé par un radar situé à l’arrière, le conducteur ne sera être visible et par ce fait ne sera reconnaissable, ni identifiable.

Aucune obligation légale de délation n’existant à tout le moins, en France ni en Belgique, le représentant de la personne morale pourra se contenter de dire qu’il n’était pas au volant de son véhicule au moment où l’infraction a été constatée puisqu’il n’est pas obligé de dénoncer le véritable auteur de l’infraction.

L’autorité poursuivante ne pourra donc pas établir avec certitude la culpabilité du dirigeant quant à cette infraction, et donc aucun retrait de points ne sera effectué sur son permis de conduire.

 

☞ Attention cependant quant aux risques de la procédure de contestation :

 

L’officier du ministère public chargé du traitement des contestations a deux solutions :

  • Faire droit aux demandes du dirigeant et transformer la consignation en paiement d’une amende civile, sans retrait de points.
  • Transmettre le dossier à la juridiction de proximité, qui se chargera de citer le représentant légal à comparaitre.

En effet, dans cette procédure de contestation et dans le cas d’une citation devant le juge de proximité, tribunal de Police compétant, voir devant le juge répressif du tribunal correctionnel, la Cour de cassation a précisée dans un arrêt du 26 novembre 2008, que désormais « …le représentant légal d’une personne morale ne peut plus tenter d’exciper à sa responsabilité pécuniaire en apportant…tous les éléments permettant d’établir qu’il n’est pas l’auteur véritable de l’infraction ».

Deux mois plus tard (Crim., 26 novembre 2008, n° 08-83.013), la Cour de cassation entendait réserver l’application de l’article L 121-3 du Code de la route, uniquement aux particuliers personnes physiques, en jugeant « …qu’il résulte de la combinaison des articles L. 121-2 et L. 121-3 du code de la route que le représentant légal d’une personne morale est redevable pécuniairement de l’amende encourue pour les contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées commises avec un véhicule immatriculé au nom de cette personne morale, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un événement de force majeure ou qu’il ne fournisse des renseignements permettant d’identifier l’auteur véritable de l’infraction ».

C’est un arrêt dont le chef d’entreprise appréciera la teneur, car la Cour de cassation n’offre comme ultime solution pour échapper à la responsabilité pécuniaire du chef d’entreprise, la dénonciation du salarié amateur de conduite sportive.

 

◆ Qu’en est-il si le dirigeant d’entreprise dénonce le conducteur, qui lui-même conteste l’utilisation du véhicule ?

 

On a ici toujours une appréciation aussi sévère, et qui rejoins le point développé ci-dessus. En effet, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 avril 2013, a une fois de plus retenu la responsabilité du chef d’entreprise. Dans l’affaire citée, un chef d’entreprise avait dénoncé un salarié, qui lui-même a indiqué qu’il n’était pas le conducteur au moment des faits et qu’aucun élément probant ne pouvait l’identifier « en l’absence de carnet de bord et de suivi journalier des nombreux salariés susceptibles [d’utiliser le véhicule] ».

Le Juge, constatant que l’identification formelle du conducteur était impossible, a relaxé le salarié.

Suite à un pourvoi introduit par le ministère public, la Cour de cassation, a jugé qu’en l’absence d’identification de l’auteur d’un excès de vitesse, seul le représentant légal de la société titulaire du certificat d’immatriculation ou locataire du véhicule peut, en application des dispositions de l’article L 121-3 du Code de la route, être déclaré pécuniairement redevable de l’amende encourue ».

Conclusion: il ne suffit pas pour le dirigeant de la société ou le locataire (société) d’un véhicule, de dénoncer un salarié, mais on demande également à ce dernier de prouver les faits qu’il avance, en prouvant c’était ce salarié qui conduisait le véhicule au moment des faits (par un document probant établissant la « traçabilité » des conducteurs).

Néanmoins, si le dirigeant d’entreprise demande la photographie prise par le radar, et démontre qu’il n’était n’est pas la personne au volant, l’exonération est totale. En effet, la jurisprudence retient de façon constante que ne pouvait être reconnu responsable pénalement ni redevable pécuniairement un titulaire alors que le cliché met en évidence que le conducteur est de sexe opposé (Tribunal de Police d’Angers 11 février 2003, Cass Crim 17 février 2004, et Cass Crim 1er avril 2008).

 

 

◆ Conclusion :

On constate en tout état de cause, que peu importe l’orientation du litige dans laquelle le chef d’entreprise est entrainé à ses dépends, il en sera personnellement pécuniairement pour ses frais au titre de la titularité du certificat d’immatriculation. Que cette dépense financière soit sous la forme d’une consignation transformée en amende civile ou que ce soit par en payant l’amende pénale prévue dans l’avis de contravention.

Nettement plus ennuyant, mais non inéluctable, la perte des points sera évitée à condition de pouvoir jongler entre la dénonciation et la contestation.

Il est donc capital pour tout conseiller juridique d’entreprise, d’appréhender la question de façon anticipée.

Il devra alors agir de concert avec le chef d’entreprise, afin de (1) l’avertir des dangers encourus par le comportement potentiellement dangereux de ses salariés sur la route, lors de l’utilisation des véhicules mis à disposition par l’entreprise. Mais également en lui (2) conseillant la mise en place d’une politique interne de la gestion des infractions au Code de la route au sein même de leur entreprise, ce de façon égale entre salariés, afin d’éviter toute discrimination, et enfin (3) en procédant à une individualisation de cette politique interne dans chaque contrat de travail de façon individuel, ou à postériori par la rédaction d’avenant au contrat de travail, qui devra être signé en double exemplaire par le salarié et son employeur.

« Les Chefs ne deviennent pas grands par leur pouvoir mais par leur capacité à responsabiliser les autres » (John Maxwell)

 

Patrick-Alexandre DEGEHET

 

 

[1] Crim., 30 septembre 2009, Bull. crim. 2009, no 163, pourvoi no 09-80.178 ; Crim., 13 janvier 2010, pourvoi no 09-82.964 ; Crim., 14 avril 2010, pourvoi no 09-87.113 et Crim., 15 septembre 2010, pourvoi no 10-80.534

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.