L’affaire Swissleaks entre évasion fiscale et protection des lanceurs d’alerte

Les conventions internationales ont pour principal objectif de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales internationales. Complétées parfois par des accords détaillés d’application, elles établissent à cet effet les fondements d’une coopération entre les Etats, prévoyant notamment un échange de renseignements et éventuellement une assistance au recouvrement des impôts.

  • Qu’est ce que l’évasion et la fraude fiscale ?

La fraude fiscale vise à contourner illégalement l’impôt tandis que l’évasion fiscale vise à soustraire la matière imposable par une application normale de la règle du droit. Pour certains, l’évasion fiscale est illégale, et pour d’autres, elle n’est qu’un synonyme d’optimisation et/ou d’expatriation, de délocalisation

En pratique, dans la plupart des cas, l’évasion et la fraude fiscale se confondent. En effet, le terme «évasion fiscale» est communément utilisé pour définir le procédé ayant pour but d’éluder l’impôt là où l’application du droit aurait normalement conduit à payer ce dernier. En clair, le terme «évasion» correspond souvent au sens premier de «fraude».

Mais l’évasion fiscale est elle légale ? Le contribuable qui optimise au mieux les règles du droit fiscal afin de payer le moins d’impôt possible, quel que soit cet impôt, agit en toute légalité. En revanche, si son montage fiscal conduit à un fait susceptible d’être réprimé par le droit pénal, l’évasion deviendra illégale et le contribuable sera susceptible d’être condamné sur le fondement de la fraude fiscale.

  • Quel est le système de lutte contre l’évasion fiscale ?

La forme la plus apparente de lutte contre l’évasion fiscale est l’assistance entre administrations de deux Etats. Elle se fonde sur les articles 26 et 27 du modèle OCDE qui visent respectivement d’une part l’échange d’information et plus précisément de « renseignements vraisemblablement pertinents » afin de déterminer l’assiette de l’impôt et de le contrôler et d’autre part l’assistance au recouvrement afin de percevoir les impositions établies.

Ainsi grâce aux clauses d’assistance administrative insérées dans les conventions bilatérales, l’administration d’un État donné peut demander à un autre État de lui fournir des informations sur un contribuable précis, en lien avec le recouvrement de son impôt.

Depuis 2008, le mécanisme initial d’échange d’informations étant peu efficace, l’OCDE a invité les Etats membres à mettre en place des outils plus puissants. Les Etats passent dès lors d’un mécanisme d’échange sur requête à un mécanisme d’échange automatique. Ce dernier a été mis en place notamment concernant les intérêts que perçoivent les résidents d’un État dans un autre État membre par la directive 2003/48/CE du 3 juin 2003.

De plus, des conventions multilatérales ont aussi pour objectif de renforcer la coopération entre Etats dans la lutte contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale internationale à l’instar de la directive 2011/16/EU du Conseil du 15 février 2011 sur l’échange d’informations entre Etats membres.

Depuis l’affaire Cahuzac, le droit français a établi une réglementation visant à la fois les comptes à l’étranger, leur déclaration et le contrôle des transferts. L’idée principale est la déclaration de tout compte à l’étranger.

Afin de faciliter la mise en œuvre de ces mesures, les banques suisses et luxembourgeoises ont invité un certain nombre de leurs clients résidant en France à justifier la régularité de leurs comptes au regard du fisc français. A défaut de justification, ces banques dénoncent leurs clients au fisc.

Mais dans le système bancaire, les fuites font partie des risques à prendre en compte.

  • L’affaire des fichiers bancaires volés : Swissleaks

Entre 2006 et 2007, 180,6 milliards d’euros ont été dissimulés dans des paradis fiscaux avec la complicité de la banque HSBC. Près de 6 milliards d’euros ont été dissimulés sur des comptes offshores par des contribuables résidant en France. Cela concernerait plus de 3.000 contribuables français et 130.000 contribuables dans plus de 200 pays. 20 129 sociétés offshores ont été constituées pendant ces deux années.

Tout commença en février 2005. La banque HSBC a averti ses clients qu’une nouvelle taxe européenne sur l’épargne serait mise en place le 1er juillet 2005. La banque leur précise en outre, que de nombreux instruments existent afin d d’échapper à cette taxe

  • Quel est le montage juridique délictueux mis en place par HSBC ?

Tout client de la banque HSBC se voit attribuer un profil numéroté au sein de la banque, auquel correspondent un ou plusieurs comptes sur lesquels il place son argent. Du fait du secret bancaire suisse, ce schéma effectué au sein la filiale suisse de la banque anglaise garantit l’anonymat du client. Cela constitue un premier écran de protection car seule la banque a connaissance de la correspondance entre le nom du client et le numéro qui lui est attribué.

Afin de garantir plus d’opacité, les comptes ne seront, par la suite, plus rattachés à la personne physique du client mais à une personne morale, toujours sous le même profil numéroté. Ainsi, la banque propose à son client de créer une société fictive qui sera enregistrée à l’étranger, notamment au Panama ou dans les îles vierges britanniques. Le client sera ensuite rattaché à cette personne morale en simple qualité de mandataire.

Une fois enregistré dans les comptes de la banque, le client, mandataire de la société, peut dès lors récupérer son argent comme il l’entend.

Pour éviter toute trace écrite de l’opération la banque HSBC invite ses clients a venir retirer leurs fonds auprès HSBC Genève.

  • La procédure judiciaire

A la fin de l’année 2008, Hervé Falciani, lanceur d’alerte et employé de la banque, a remit à l’administration fiscale française un listing de tous les clients de la banque résidant en France qui avaient un compte en Suisse. L’administration fiscale française a voulu utiliser les fichiers volés. Des perquisitions ont été menées.

Dans un arrêt du 31 janvier 2012, la chambre commerciale de la Cour de cassation a annulé les procédures fiscales lancées sur le fondement des fichiers volés. Les perquisitions fiscales mises en place ont été annulées sur le fondement que la preuve était déloyale.

Par une loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière du 6 décembre 2013, le pouvoir en place a souhaité rendre ses fichiers utilisables. Mais, le Conseil constitutionnel, dans un arrêt du 4 décembre 2013 décision 2013/679 DC a déclaré que « en permettant que le juge autorise l’administration à procéder à des visites domiciliaires sur le fondement de documents, pièces ou informations de quelque origine que ce soit, y compris illégale, le législateur a privé de garanties légales les exigences du droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile ».

Le 18 novembre 2014, la filiale suisse du groupe britannique HSBC est mise en examen pour « démarchage bancaire et financier illicite » et « blanchiment aggravé de fraude fiscale ».

  • La protection des lanceurs d’alerte

Qu’est ce qu’un lanceur d’alerte ?

Selon F. Chateauraynaud et D. Torny le lanceur d’alerte est « une personne ou un groupe qui estime avoir découvert des éléments qu’il considère comme menaçant pour l’homme, la société, l’économie ou l’environnement, et qui de manière désintéressé décident de les porter à la connaissance d’instance officiel, ou d’associations ou de médias, parfois contre l’avis de sa hiérarchie ». 1

En 2014, le Conseil de l’Europe définit le lanceur d’alerte comme « toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou le secteur privé ». 2

En revanche, la loi française n’offre pas de définition globale du lanceur d’alerte, mais seulement une définition partielle, limitée à la santé publique et à l’environnement (loi du 16 avril 2013 dite loi Blandin, art. 1er) : « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement ».

Le statut juridique du lanceur d’alerte :

L’alerte doit donc concerner une atteinte à l’intérêt général. Le statut juridique du lanceur d’alerte :

En droit américain, précurseur dans ce domaine, le lanceur d’alerte – ou whistleblower est une figure ancienne. Ainsi, on fait souvent remonter l’apparition du premier statut de lanceur d’alerte au False Claims Act (FCA), loi fédérale – toujours applicable aujourd’hui – adoptée sous l’administration Lincoln le 2 mars 1863.

Depuis le 27 mai 2011, selon le nouveau régime adopté par la Securities and Exchanges Commission (SEC) aux Etats- Unis, dans le cadre du Dodd-Franck Act du 21 juillet 2010, les lanceurs d’alertes qui auront contribué à divulguer les fait délictueux pourront désormais être récompensés à hauteur de 10% à 30% des sanctions financières supérieures à 1 million de dollars imposées aux sociétés fautives.

Contrairement aux Etats-Unis la France a légiféré de manière tardive en matière de droit d’alerte comme l’illustre le tableau qui suit.3

LOI SECTEUR CONCERNE CHAMP CONCERNE PROTECTION PERSONNE OU AUTORITE A ALERTER
Loi du 13 novembre 2007 n°1598 relative à la lutte contre la corruptioncrée l’art L1161 du Code travail secteur privé Faits de corruption (antériorité fait / représailles) –  Recrutement, stage- Formation- Sanction- Licenciement

– Discrimination

– Employeur- Autorités judiciaires- Autorités administratives
Loi du 29 décembre 2011 n°2011-2012, relativeau renforcement de la sécurité du médicament et des produits de santécrée l’art. L 5312-4-2 du Code de la santé publique (CSP) Tous Faits relatifs à la sécurité sanitaire mais uniquement pour les produits mentionnés à l’article L. 5311-1du code de la santé publique – Recrutement, stage- Formation- Sanction- Discrimination Omission : licenciement

 

– Employeur- Autorités judiciaires- Autorités administratives
Loi du 16 avril 2013 n°2013-316 relativeà l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alertecrée l’art. L 1351-1 du CSP Tous Conflit d’intérêts relatifs aux membres du gouvernement, principaux exécutifs locaux ou personnes chargées d’une mission de service public –  Recrutement, stage-  Formation-  Sanction-  Discrimination

Omission : licenciement

–  Employeur-  Dans un second temps, les autorités judiciaires ou autorités administratives-> Le salarié n’a pas le choix : il doit alerter d’abord son employeur (art. 8)
Loi du 11 octobre 2013 n°2013-907 relative à la transparence de la vie publiquearticle 25 Tous Conflit d’intérêts

relatifs aux membres

du gouvernement, principaux exécutifs locaux ou personnes chargées d’une mission de service public

 

–  Recrutement, stage- Formation- Sanction- Licenciement

– Discrimination

 

– Employeur

– Autorité chargée de la déontologie au sein de l’organisme

– Association anti- corruption agréée

– Haute autorité pour

la transparence de la

vie publique – Autorités judiciaires

– Autorités administratives

Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financièrecrée l’art. L 1132-3-3 duCTetl’art.6terA (Fonction publique) Secteur public & privé Délits et crimes Recrutement,

formation, licenciement, titularisation, discrimination

 

Omission  secteur privé : nullité de l’acte (donc à l’appréciation des tribunaux)

Omission secteur public : non renouvellement du contrat

Non précisé -> quiconqueExceptions : – Art. 40 et 60-1 Code procédure pénale qui donnent une obligation ciblée- Autres lois citées sur ce tableau – Autorité désignée à l’art. 40-6 CPP : le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC)

 

En Suisse, instituée en 1934, l’inviolabilité du secret bancaire est consacrée par l’article 47 de la loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne. Cet article et assorti de conséquences pénales définies dans l’article 273 du code pénal suisse. C’est sur ce fondement que Hervé Falciani, lanceur d’alerte dans l’affaire Swissleaks, sera jugé dans les toutes prochaines semaines, devant le tribunal pénal fédéral suisse pour vol de documents, violation du secret économique et intelligence économique. Il encourt une peine de prison ferme.

  • Perspectives de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale :

L’Union Européenne prévoit de mettre en place en un système de lutte contre la fraude fiscale, du point de vue multilatérale, qui mettra en place un échange automatique d’informations entre les Etats membres pour combattre la fraude fiscale à l’image de la réglementation américaine FATCA (foreign account tax compliance act).

En effet l’accord bilatéral FATCA, signé le 14 novembre 2013 entre la France et l’Amérique sur l’échange de renseignements permet au fisc américain de demander à n’importe quel établissement financier dans le monde la communication d’informations concernant les citoyens américains détenteurs de comptes dans ces Etats étrangers. La sanction du refus d’échanger ces informations est une retenue à la source de 35% sur leur revenu. Les établissements français transmettent ainsi les informations à Bercy qui les remet au fisc américain.

Bien que les pouvoirs public tentent d’accroitre les mesures en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales comme l’illustre depuis le 1er janvier 2015 l’obligation de déclaration préalable de tout schéma d’optimisation fiscale par la personne qui entend le commercialiser, qui l’élabore ou la met en œuvre. Il arrive toutefois que le Conseil Constitutionnel censure des articles tel que l’article 79LF de la loi de finance pour 2015 et la loi de finance rectificative pour 2014, visant à réprimer toute personne ayant, par son aide, facilité l’évasion et la fraude fiscales.

Bibliographie

  • CHATEAURAYNAUD et D. TORNY, Les sombres précurseurs : une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Ed. de l’EHESS, 1999. 1
  • LAMBERT , La lutte contre l’évasion fiscale internationale :l’offensive américaine en matière d’échange automatique d’informations, Rev Droit Fiscal n°51-52, 18 décembre 2014.
  • SLAMA, Le Lanceur d’alerte, une nouvelle figure du droit public ?, AJDA 2014, p2229.
  • RUET, Droit Bancaire, Cours Université de Nanterre, 2013/2014
  • DE VERNEJOULE, Stratégies fiscales des entreprises, Cours Université Paris 1 Sorbonne, 2014/2015.
  • GUTMANN, Droit fiscal international, Cours Université Paris 1 Sorbonne 2013/2014.
  • Transparency International France, «Guide pratique à l’usage du lanceur d’alerte français», 2014, Tableau p11. 3
  • COLLEN, « Swissleaks met le géant bancaire HSBC sous pression », Les Echos, 09/02/2015.
  • LECHENET, S.PINEL, A.MICHEL, « SwissLeaks : artistes, avocats, homme d’affaires, ces clients français chez HSBC », Le Monde, 09/02/2015.
  • « Fraude fiscale: La banque privée suisse de HSBC mise en examen», Le Monde, 24/11/2014.
  • « Fichiers HSBC la Suisse veut traduire en justice le lanceur d’alerte » , Les Echos, 11/12/2014.
  • « Swissleaks HSBC : un scandale planétaire », Courrier international, 09/02/15.
  • Conseil de l’Europe/ Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres, 30 avril 2014 2 https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=2188939&Site=CM
  • Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, Site du conseil constitutionnel. 4

 

 

Agathe MARTIN et Marie-Alix VIVENT, Master 2 Ofis, Paris 1 2014/2015

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