L’allongement des délais de prescription, une dangereuse illusion pour les victimes de viol

Dans son livre La Consolation, l’animatrice de télévision Flavie Flament a accusé un célèbre photographe de mode de l’avoir violée lors d’un shooting alors que cette dernière n’avait que 13 ans. Facilement identifié par la presse comme étant David Hamilton, puis accusé dans la foulée par deux autres femmes de faits similaires, le photographe s’est donné la mort à l’âge de 83 ans.

Le geste d’Hamilton n’avait pas pour but d’échapper à la justice puisque Flavie Flament n’aurait pas pu porter plainte pour de tels faits. Bien que depuis 2004 les délais de prescription des crimes commis sur les mineurs de 15 ans soient plus longs que ceux s’appliquant aux crimes de droit commun (délai de 20 ans à compter de la majorité de la victime contre 10 à compter de l’acte), le viol dont Flavie Flament se dit victime est déjà prescrit depuis près de 4 ans.

Souvent mal comprise, la prescription trouve sa justification principale dans le caractère temporaire du trouble à l’ordre public. Seulement, le viol, particulièrement lorsqu’il est commis sur des mineurs, peut provoquer des amnésies post-traumatiques. Le souvenir réapparait alors parfois des décennies plus tard. Il existe donc, dans certaines affaires, un hiatus temporel entre le trouble à l’ordre public et le trauma de la victime, le second pouvant apparaître des années après la fin du premier.

La conscience de ce décalage, doublée de la tradition française consistant à modifier notre procédure pénale à chaque fait divers médiatique, a poussé le gouvernement à réfléchir sérieusement à l’allongement de la prescription en matière de viol. Le 22 novembre 2016, l’animatrice a été nommée à la tête d’une mission de consensus sur le délai de prescription des crimes de viol. Certaines associations militent depuis longtemps pour l’allongement des délais, voire une imprescriptibilité. Une pétition pour l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineurs comptant plus de 17.000 signatures a même été lancée par le mensuel Psychologie Magazine.

Bien qu’adoptée par le Royaume-Uni, et plus récemment par la Suisse, l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs serait problématique en droit français. Comme la peine, la prescription est un signal. Il existe une gradation des délais de prescription en fonction de la gravité du trouble à l’ordre public généré par l’infraction. Les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, les crimes sont prescrits par 10 ans, les délits par 3 ans. Si les crimes sur mineurs venaient à être rendus imprescriptibles, ils seraient élevés au même degré de gravité que les crimes contre l’humanité, ce qui poserait un évident problème de cohérence dans l’échelle de répression.

Sans aller jusqu’à l’imprescriptibilité, un nouvel allongement des durées de prescription se heurterait à des difficultés probatoires majeures. Si 50% des plaintes pour viol sont classées sans suite, c’est moins par mépris des victimes que par difficultés procédurales. Il est souvent bien ardu pour le ministère public d’apporter la preuve de l’existence d’une pénétration sans consentement, et de l’identité du violeur.

Et pour cause, en matière de viol plus qu’ailleurs, les preuves périssent rapidement. Les traces du sperme de l’agresseur disparaissent après seulement 6 jours dans le vagin, et en moins de 6 heures dans la bouche. Les demies-vie des « drogues du violeur » comme le GHB ou le Stillnox sont inférieures à 24 heures. En l’absence de lésions de contraintes ou de traces d’échanges numériques entre la victime et son bourreau, il est extrêmement délicat de prouver l’absence de consentement de la victime. Quant aux témoignages déposés plusieurs dizaines d’années après les faits, leur fiabilité pourraient facilement être mise en cause ; de telle sorte que la plupart des dossiers reposeraient exclusivement sur les dires de la victime.

Par conséquent, il apparait dangereusement illusoire de faire miroiter à la victime d’un viol commis 25 ou 30 ans auparavant la potentielle condamnation de son agresseur. La charge de la preuve pesant sur l’accusation, il y a fort à parier que faute d’éléments solides, la plupart des procédures seront classées sans suite, ou déboucheront sur un non-lieu voire un acquittement dont l’impact psychologique sur les victimes pourrait être dévastateur. Loin de n’avoir que des vertus thérapeutiques, contrairement à une légende tenace, une procédure judiciaire fait souvent figure de véritable épreuve pour les victimes, particulièrement lorsqu’elle ne se déroule pas comme prévu.

La prise en charge des victimes de viol en France reste très problématique, moins de 10% des victimes portent plainte, souvent à cause de pressions, d’intimidations et chantage affectif dans le cadre familial où ont lieu 50% de ces crimes. En outre, beaucoup de plaintes sont déposées trop tard. Plutôt que d’allonger des délais de prescription déjà longs, il conviendrait que le Gouvernement mène un travail d’incitation au dépôt de plainte précoce, ainsi que de sensibilisation des victimes aux bons réflexes permettant aux services de police de constater l’infraction.

Jeremy Kalfon

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