L’Amparo bolivien, un recours constitutionnel en protection des droits

Jacques Laurent, écrivain et journaliste français, a écrit que « la tranquillité de l’esprit ne fait pas partie des droits de l’homme »[1]. On peut facilement rapprocher cette déclaration de l’idée selon laquelle le citoyen, peu importe le système politique dans lequel il évolue, doit indéfiniment se battre contre les pouvoirs publics et autres particuliers pour la préservation et le respect de ses droits et libertés.

Dans le but de faciliter cette lutte quotidienne, certains systèmes de droit ont mis en place des mécanismes plus ou moins directs pour aider leurs nationaux. Dans les systèmes de droit hispanique, ce mécanisme est appelé « amparo constitutional ».

Brève histoire de l’action d’amparo

Les origines de cette action remontent au Moyen-âge où, dans la province d’Aragon, existait une institution nommée « Justicia Mayor », qui s’assimilait à notre défenseur des droits, ayant pour compétence principale la défense des individus dans l’exercice de leurs droits face aux autorités ou face aux personnes privées. Après une crise politique incluant la trahison du roi Philippe II, le « Justicia Mayor » cesse d’exister de facto (en 1592) mais son existence de jure persiste jusqu’en 1716.

Lors de la conquête du nouveau monde, l’Espagne exporte ce modèle de protection des droits dans son empire, où le vice-roi connait alors des affaires d’amparo en tant que président du tribunal suprême (la Real Audiencia de Mexico).

Ainsi s’exporte le « Justicia Mayor » et naît l’action d’amparo en Amérique.

La procédure de l’acción de amparo constitucional (action d’amparo constitutionnel) en Bolivie

Le mécanisme d’amparo, recours en protection de droits constitutionnellement reconnus, existe par conséquent aujourd’hui en Espagne ainsi que dans divers pays dont le système de droit a connu l’influence hispanique. On le retrouve par exemple au Mexique, au Brésil, en Argentine ou encore en Bolivie.

La Constitution politique de l’Etat plurinational de Bolivie (CPE) consacre six mécanismes de protection des droits[2], le second étant l’action d’amparo constitutionnel.

On retrouve cette action aux articles 128 et suivants de la CPE, soit dans la première partie intitulée « Base fondamentale de l’Etat, droits, devoirs et garanties ». Ce recours est placé dans le chapitre II, « action de défense », il s’agit donc d’un recours de défense face à la méconnaissance d’un droit ou d’une liberté fondamentale.

La Constitution dispose que ce recours se forme devant n’importe quelle juridiction face à un acte illégal ou abusif qui restreint, supprime ou menace les droits consacrés par la Constitution (art. 13 et suivants) et la loi. Cet acte peut émaner d’un service public ou d’une personne privée, physique ou morale. Le recours peut être formé par la personne dont les droits ont été violés ou par un représentant disposant des pouvoirs suffisants. Il se forme dans les six mois suivants la violation du droit ou la notification de la décision en cause chaque fois qu’il n’existe pas d’autre moyen ou recours légal pour la protection du droit affecté.

Lors de la présentation de l’action, le demandeur doit apporter la preuve de la violation de son droit et le tribunal statuer dans un délai maximum 48h. La décision de la juridiction sera exécutée immédiatement et en cas de non exécution, la partie en cause est envoyée devant le Ministère public en vue d’un procès pénal.

Enfin, et c’est ici que l’on arrive à la constitutionnalité de l’action d’amparo, l’article 129.IV de la CPE dispose que la décision s’élève d’office au Tribunal constitutionnel plurinational qui statue dans un délai de 24h à partir de l’émission de la décision, alors que cette dernière a déjà pu être exécutée.

La dimension constitutionnelle discutable du mécanisme de protection des droits et garanties

On observe ici que ce n’est pas le tribunal constitutionnel qui prend la décision exécutée, à la différence de ce que connaissent d’autres systèmes de droit (voir infra : « Dans les autres systèmes de droit »). En effet, il s’agit d’abord non pas d’un recours constitutionnel mais d’une action en référée dans le but d’annuler le plus rapidement possible l’acte violant le droit ou bien d’éviter sa violation avant même qu’elle n’ait lieu. De ce fait, on comprend difficilement en quoi cette action est dite « constitutionnelle ».

La révision de la décision par la juridiction constitutionnelle ne vient qu’après. Certes, il s’agit d’une procédure rapide (24h) mais tout de même postérieure à l’exécution de la décision de la juridiction compétente. La question est donc de savoir en quoi l’action d’amparo est un recours constitutionnel.

En effet, si les différents systèmes de droit on voulu mettre en place ce type de recours c’est pour protéger des droits garantis par les Constitutions. Or, pour protéger la constitution, il parait logique de créer un recours qui ait une dimension constitutionnelle et soit pris en charge par une juridiction constitutionnelle, si une telle juridiction existe (ce qui est le cas en Bolivie).

L’action d’amparo est inscrite à l’article 208 de la CPE. En ce sens, on ne peut discuter le fait que l’action ait en elle-même une dimension constitutionnelle. De plus, il existe une révision de la décision d’instance par la juridiction constitutionnelle bolivienne.

Bien que la révision intervienne a posteriori, il faut noter que l’article 203 de la CPE indique que cette révision est obligatoire et n’est sujette à aucun recours. En effet, la décision de la juridiction d’instance, dans le cas où le tribunal constitutionnel la déclare incorrecte, sera annulée sans possibilité de recours pour le demandeur. Il s’agit donc effectivement d’un recours constitutionnel.

Dans les autres systèmes de droit

On observe que cette action diffère de l’amparo espagnol[3], celui-ci constituant une procédure plus proche de celle de la QPC consacrée à l’article 61-1 de Constitution Française de 1958. Dans ces deux cas, on parle d’action constitutionnelle car jugée par un tribunal constitutionnel (ou Conseil constitutionnel dans le cas français).

Ce sont des actions ouvertes aux justiciables en instance tout comme l’action d’amparo constitutionnel bolivienne mais dans ces deux cas, la juridiction de l’instance transmet (après les filtres qui nous sont biens connus) la question de constitutionnalité à la juridiction référente, c’est-à-dire à la juridiction constitutionnelle.

La compatibilité avec la constitution n’est donc appréciée que par le juge constitutionnel et l’instance est suspendue jusqu’à ce que ce dernier transmette sa décision au juge de droit commun, à la différence de la procédure bolivienne en référée dans laquelle le juge de l’instance apprécie lui-même en premier lieu la constitutionnalité de l’acte en cause.

Marcia CHEVRIER

Pour en savoir plus :

[1] Biographie et bibliographie de l’auteur sur: http://www.babelio.com/auteur/Jacques-Laurent/10777

[2] Articles 125 et suivants de la CPE : action de liberté (accion de libertad), action d’amparo constitutionnel (accion de amparo constitucional), action de protection de la vie privée (accion de proteccion de privacidad), action d’inconstitutionnalité (accion de insconstitucionalidad), action d’exécution (accion de cumplimiento) et action populaire (accion popular).

[3] Articles 162 et 163 de la Constitution espagnole de 1978 : http://www.tribunalconstitucional.es/Lists/constPDF/ConstitucionFRANCES.pdf

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.