L’Euthanasie, entre Droit et Morale

 

 

 


 

Comment oublier les souffrances de Chantale Sébire ou de Vincent Humbert ou encore d’autres citoyens de l’Union Européenne comme Eluana Englaro, Piergiorgio Welby ? Si l’euthanasie fait partie de ces questions qui font surface quand un malade implore qu’on lui accorde une mort dans de bonnes conditions, on ne peut dire qu’elle renvoie à un débat tranché et ce malgré des législations existantes.



 

 

Des législations à solutions variables



D’abord, les situations diffèrent d’un pays à l’autre. En Italie, l’euthanasie est illégale : le « suicide assisté » est sévèrement puni par la loi, l’euthanasie « passive » est en revanche officieusement tolérée. En Allemagne, le malade incurable a le droit de refuser des soins, et si un médecin pratique un acharnement thérapeutique sur un patient qui les a clairement refusés, il se met en infraction avec la législation. En Grande-Bretagne, c’est un droit de la personne, reconnu depuis 1995, que de refuser des soins, même s’il doit en mourir. En Belgique, une loi de 2002 décrit les cas d’euthanasie active tolérée. Les Pays-Bas ont mis au point en 1998 un dispositif juridique complexe qui permet de répondre à toutes les situations dans lesquelles le problème se pose. En Suisse, le code pénal autorise implicitement, par son article 115, l’aide, médicale ou non, au suicide, à la condition expresse que l’assistant ne soit motivé par aucun mobile égoïste.

Dans tous les cas, plusieurs directives autorisent l’euthanasie passive (abstention ou interruption des traitements de survie), et l’euthanasie indirecte (administration de traitements palliatifs, même s’ils abrègent la vie du patient). La CEDH se montre très réticente à l’égard de l’euthanasie. Elle a jugé dans une affaire de 2002 (Pretty c/ RU ; 29 avril 2002) qu’il n’était pas possible de reconnaître un droit à la mort.

 

La solution française

 

En France, l’euthanasie reste, au regard de la loi, un meurtre (voire un assassinat) passible de trente ans de réclusion criminelle.

Cependant, si le meurtre est constitué lorsque sont réunis un élément matériel et un élément intentionnel, l’euthanasie s’assimile quant à elle à une omission de porter secours. La criminalisation de l’euthanasie relève de ce fait du délit de non assistance à personne en danger.

Mais qu’en est-il lorsqu’un médecin placé devant un malade dont le pronostic vital est à ce point réduit que la mort peut survenir à tout moment, décide de cesser traitement ou réanimation ? Dans ce cas, deux cas de figure priment :

  • Il peut s’agir d’un malade en état de mort cérébrale. En l’état actuel de la législation, c’est un cadavre. L’infraction n’est pas constituée.
  • Il peut s’agir d’un malade qui, informé de son état et de l’issue qui en résulte, a souhaité qu’en telle circonstance, les médecins cessent de lui apporter des thérapeutiques éprouvantes et à court terme, sans objet.

La loi pénale, encore une fois, n’exonère pas le médecin de sa responsabilité au motif du consentement du malade mais la jurisprudence des cours d’assises et des tribunaux correctionnels a tendance à se contredire sur ce point. Des projets de loi ont ainsi été à plusieurs reprises élaborés mais le législateur n’a jusqu’à ce jour jamais pris la décision de dépénaliser l’euthanasie.
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Le Comité Consultatif National d’Ethique dans un avis du 24 juin 1991 a rappelé qu’une législation en la matière, même pour des cas exceptionnels serait source d’interprétations abusives et incontrôlables. Les médecins restent donc sanctionnables tant sur le plan pénal que civil et disciplinaire. A ce sujet et en forme de conclusion, les articles 37 et 38 du Nouveau Code de Déontologie (6 septembre 1995) semblent apporter un éclairage tendant à concilier morale et droit. En effet ces articles prônent la prohibition de l’euthanasie active mais consacre la pratique des soins palliatifs.

Le droit face à l’opinion

 

L’opinion française est plutôt réceptive à la légalisation du droit de mourir. Un sondage IPSOS de 2002 indiquait en effet que 31% des sondés étaient favorables à la légalisation de l’euthanasie (34% en 1998), 50% favorables à la dépénalisation, 15% favorables au maintien de son interdiction.

Le Comité national d’éthique, soucieux de « lever le voile d’hypocrisie et de clandestinité qui recouvre certaines pratiques actuelles », suggère de considérer la question sous l’angle de l’exception : il « invite à mettre en œuvre une solidarité qui ne saurait toutefois s’affranchir du risque que représente un geste qui ne visera jamais qu’à agir au moins mal. Elle pourrait trouver une traduction juridique dans l’instauration d’une exception d’euthanasie. » Réaffirmant les « droits imprescriptibles de la personne », le CNE propose d’inscrire l’arrêt de vie dans un insolvable paradoxe : la mort donnée reste une transgression, et « l’arrêt de réanimation et l’arrêt de vie conduisent parfois à assumer le paradoxe d’une transgression de ce qui doit être considéré comme intransgressible. » Cette recommandation est certainement plus opérationnelle qu’il n’y paraît, à condition qu’on accepte qu’à problème complexe, solution complexe.

Tout part de la loi Léonetti du 22 Avril 2005 qui a instauré une sorte de droit au « laisser mourir ». Celle-ci tend à limiter l’acharnement thérapeutique en admettant qu’on puisse provoquer la mort comme effet indirect dans certaines conditions assez clairement définies: maladie incurable, souffrances intenses, consentement personnel ou par délégation, etc. Elle continue cependant d’exclure toute « aide active à mourir », c’est-à-dire toute intervention médicale qui provoquerait directement la mort dans ces mêmes conditions.
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Certains philosophes comme Ruben Ogien dans leurs travaux sur la question se demandent à présent s’il ne faudrait pas la réviser, quatre ans seulement après sa mise en application. L’émotion causée en effet par le sort de Chantal Sébire, qui réclamait précisément cette « aide active à mourir » exclue par la loi, a certainement contribué à sa remise en question. Mais il existe beaucoup d’autres raisons, moins directement liée à cette réaction émotionnelle, de la réviser. Celles qui nous intéressent ne sont ni juridiques, ni psychologiques ou médicales mais plutôt politiques et morales.

De l’avis de Ruben Ogien, la loi Léonetti devrait être révisée car elle ne rend pas justice à la diversité des conceptions morales qui s’expriment dans nos sociétés. Ce dernier considère que dans les sociétés démocratiques, laïques et pluralistes, l’État est supposé être « neutre » à l’égard des grandes conceptions morales comme il l’est à l’égard des grandes conceptions religieuses. En s’affirmant clairement hostile à l’euthanasie, il dépasse clairement cette neutralité qui s’impose à lui.

Toujours est-il qu’on reste partagé entre morale et droit dans la mesure où la conciliation des deux demeure quasi-impossible en raison des intérêts divergents en présence, des groupes de pression et de la volonté des Etats de faire respecter le Droit en vigueur. Tout prête à croire donc que le débat demeure ouvert.

 

 

Vivien Amos PEA

 

 

 

Pour en savoir plus :
Voir Rapport Jean Léonetti sur le droit des malades en fin de vie sur le site de l’assemblée nationale (loi du 22 avril 2005 n° 2005-370).

 

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