L’inconstitutionnalité de la contribution additionnelle de 3 % sur la distribution des dividendes : la fin d’un long contentieux juridique ?

Neuf milliards d’euros, c’est l’addition que va devoir payer l’Etat français, suite à la récente décision du Conseil constitutionnel concernant l’existence de la contribution additionnelle  de 3 % de l’impôt sur les sociétés (IS). En effet, cette imposition sur les revenus distribués par les sociétés a fait parler d’elle depuis quelques années. Les contestations faites par les contribuables sur certaines dispositions prévues par cette taxe, jugée discriminatoire et inégale, ont été nombreuses. Depuis, les juges nationaux et européens tentent, difficilement, de rendre cette contribution plus égalitaire. Au début du mois d’octobre 2017, le Conseil Constitutionnel a pris une décision radicale concernant son existence même. Il a ainsi anticipé les dispositions de la loi de rectification pour l’année 2018, proposée par le ministre de l’Economie et des Finances actuel, Bruno Le Maire.

I. La création d’une taxe additionnelle à l’IS : un rendement pour l’Etat.

Taxer les sociétés sur les dividendes qu’elles distribuent à d’autres sociétés ou à des actionnaires personnes physiques afin d’entretenir les finances de l’Etat ? Tel était le projet du ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, qui proposait dans la loi rectificative du 6 aout 2012[1] de mettre en place une taxe, anciennement appliquée puis supprimée par le gouvernement[2], qui s’additionne à l’impôt sur les sociétés. Le but était alors de compenser la perte des recettes, subie après la suppression d’une autre imposition : la taxe sur les profits tirés d’un OPCVM[3] étrangers (imposition à hauteur de 30%). En effet en mai 2012, la CJUE déclare cette dernière contraire au droit européen et invalide ces dispositions. [4]L’Etat français doit alors se financer et créer l’imposition sur les dividendes des sociétés soumises à l’IS.

La contribution additionnelle de est codifiée depuis 2012 à l’article 235 ter zca du Code général des impôts[5].  La plupart des sociétés soumises à l’IS sont imposées à hauteur de 3% du montant des revenus qu’elles distribuent (les bénéfices et produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital comme les dividendes, les acomptes, les avances ou prêts consentis aux associés …).

Depuis quelques années et jusqu’à aujourd’hui, certaines dispositions de cette contribution, prévue dans le Code général des impôts, posent des problèmes.  Suite à de nombreuses contestations, le texte, codifié en 2012, a évolué sur certains points. Les exonérations prévues initialement pour certaines sociétés ayant un régime fiscal particulier, pour certains types de revenus, ont notamment été modifiées. Il en est de même pour la situation géographique des sociétés parmi lesquels se distribuent les dividendes.

II. Les nombreuses contestations européennes et françaises sur différentes dispositions de l’article 235 ter zca CGI

C’est la Commission européenne qui, en premier lieu, a souhaité contester l’imposition de l’article 235 ter zca. Elle a lancé contre la France une mesure d’infraction, le 26 février 2015, aux motifs que la contribution additionnelle de 3% était contraire, d’une part, à la liberté d’établissement, et d’autre part, aux articles 4 et 5 de la directive du 30 novembre 2011 dite « mère-fille ». [6] Puis ces motifs ont été repris par les redevables de la taxe qui ont souhaité faire des recours en justice.

La question de la conformité de la taxe au regard de la directive mère-fille est toujours étudiée et posée. En cas de doute, le Conseil d’Etat n’hésite pas à demander à la CJUE, sous forme de question préjudicielle, si la contribution additionnelle de 3% est conforme au droit européen. Elle l’a notamment fait dans une affaire importante, l’affaire AFEP et autres, le 27 juin 2016[7], question à laquelle la CJUE a répondu un an plus tard[8] que la contribution en elle même était bien conforme au droit européen. Toutefois la CJUE a discuté certains points concernant l’application de la contribution, notamment le lieu d’établissement des filiales distributrices (sur le territoire français ou européen).

Parallèlement, le Conseil d’Etat demande régulièrement au Conseil constitutionnel, sous forme de question prioritaire de constitutionnalité (QPC),  si la taxe est conforme à la Constitution et notamment au principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Après avoir déclaré, une première fois, partiellement inconstitutionnelle la contribution sur les montants distribués le 3 février 2016[9], il considère en juin 2016[10] que l’exonération du paiement de la contribution de 3% pour des sociétés qui ont opté pour un régime d’intégration fiscale (prévue par l’article 235 ter zca CGI), est également contraire au principe d’égalité devant la loi et les charges publiques. Il déclare une seconde fois une inconstitutionnalité partielle de l’article, arguant que cette exonération exerce une différence de traitement, entre les sociétés d’un même groupe, qui n’est justifiée par aucun motif d’intérêt général. La loi de finance rectificative du 29 décembre 2016[11] décide alors d’étendre cette exonération, plutôt que de la supprimer. Depuis ce jour, sont également exonérés les dividendes perçus des sociétés détenues à 95% au moins par une société mère, qu’elle soit française ou étrangère.

En juillet 2017[12] le contentieux revient devant les juges du Conseil d’Etat, mais portant sur un autre point : la provenance des distributions. Les juges déclarent que la contribution additionnelle de 3% ne peut pas être appliquée aux bénéfices distribués par la société mère, bénéfices provenant de filiales établies dans l’Union Européenne relevant du régime mère-fille. Cependant, sont soumises à la taxe, les redistributions de dividendes provenant de filiales établies en France ou dans un Etat tiers et celles prélevées par les sociétés mères sur leur propre résultat d’exploitation.

La société requérante, (Société Soparfi), considère que l’alinéa premier du I de l’article 235 ter zca, est contraire aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques [13]. Le Conseil d’Etat reconnaît alors qu’il existe une discrimination entre sociétés selon que les bénéfices qu’elles redistribuent proviennent ou non de filiales établies dans un Etat de l’Union Européenne et décide que cette QPC a un caractère suffisamment sérieux pour être portée devant le Conseil constitutionnel. [14]

Ainsi, plusieurs points sont contestés depuis de nombreuses années. Les juridictions tentent de régler les problèmes d’inégalité entre différentes situations et différents régimes fiscaux des sociétés distributrices. Cette dernière décision du Conseil d’Etat qui accorde la saisine du Conseil constitutionnel, pour répondre une nouvelle fois à une QPC, va permettre à ce dernier de prononcer son inconstitutionnalité totale.

III. L’épilogue de l’existence de la contribution additionnelle : la déclaration d’inconstitutionnalité, en France, par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel, le 6 octobre 2017[15], répond à la QPC qui lui était posée en juillet. Il considère qu’il existe bien une différence de traitement entre les sociétés mères, selon que les dividendes qu’elles redistribuent proviennent ou non de filiales établies dans un Etat membre de l’Union européenne autre que la France. Il ajoute que ces sociétés sont dans une même situation au regard de l’objet de la contribution, objet qui consiste à imposer tous les montants distribués, indépendamment de leur localisation d’origine, y compris ceux relevant du régime mère-fille. En outre, l’objectif de rendement auquel est rattachée la contribution additionnelle, ne peut en aucun cas constituer un motif d’intérêt général permettant de justifier les discriminations entre des sociétés dans une même situation.[16] Il déclare alors cette imposition, et l’ensemble de l’article 235 ter zca CGI, contraires aux principes d’égalité devant les impôts et les charges publiques. Ces derniers principes s’opposent à ce que la contribution s’applique à des redistributions prélevées sur des dividendes de filiales établies dans d’autres Etats. En pratique, cette décision du 6 octobre 2017 prendra effet dès le jour de sa publication, pour toutes les sociétés redevables qui ont déposé des déclarations qui n’ont pas encore fait l’objet de jugements définitifs par les juridictions françaises.

Il est toutefois intéressant de noter que le Conseil constitutionnel déclare une inconstitutionnalité totale de la contribution additionnelle de 3%, ce qui signifie que la taxe en elle même est censurée. Le Conseil Constitutionnel, à ce jour, met un terme à des années de contentieux fiscal et souhaite, de la sorte, anticiper le projet de loi de finance pour 2018. Ce dernier prévoyait déjà la suppression de cette imposition sur les revenus, pour les distributions mises en paiement à compter du 1er janvier 2018. Cette coordination entre le Conseil constitutionnel et le gouvernement est de bon augure pour clore ce litige existant depuis bien trop longtemps.

La décision a un gout amer pour l’Etat qui devra alors rembourser les contribuables à hauteur de 9 milliards d’euros, engagement qu’il souhaite échelonner sur les 5 prochaines années. 5,7 milliards d’euros seraient déjà provisionnés, selon le ministre des finances, mais ne suffiraient pas à combler le remboursement. On pourrait dès à présent penser qu’une nouvelle taxe va être créée, à l’avenir, afin de compenser le capital manquant. Il faut, néanmoins, espérer qu’elle ne fera pas l’objet de nouvelles discriminations.

Pour en savoir plus :

Article C’M’S Bureau Francis Lefebvre : site cms.law/fr à publication à Article « la contribution de 3% sur les distributions est déclarée inconstitutionnelle. » du 06/10/17.

Article C’M’S Bureau Francis Lefebvre : site cms.law/fr à publication à Article « contribution de 3% sur les revenus distribués : la cour de justice de l’Union Européenne juge la contribution contraire à l’article 4 de la Directive Mère- Fille. Du 18/05/17.

Article le petit juriste : site lepetitjuriste.fr à Droit fiscal/ droit des affaires à article « contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés : suite et fin ? » du 10/08/2017 par Vincent Lepaul.

Références :

[1] Loi rectificative du 16 aout 2012  n°2012-958, Article 6.

[2] Créée par une loi de finance rectificative pour 1995 n°95-885 puis supprimée par une loi de finance pour 2005 du 24 décembre 2004 n°2004-1484 pour faire face à la concurrence fiscale entre les Etats membres.

[3] OPCVM : Organisme de Placement Collectif en Valeurs mobilières.

[4] Arrêt CJUE 3ème chambre du 10 mai 2012 n°C-338/11

[5] Information sur le BOFIP : BOI-IS-AUT-30-20160601.

[6] Directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 qui a modifié la directive n°90/435/CEE du 23 juillet 1990.

[7] Affaire CE 27 juin 2016 n°399024 AFEP et autres.

[8] Arrêt CJUE 1ère chambre n° C-365/16 du 17 mai 2017 AFEP et autres.

[9] Arrêt Métro Holding SA, 3 février 2016 n°2015-520.

[10] CE 27 juin 2016 n°399506 Sct Layher – Décision CC 30 septembre 2016 n°2016-571 CPC – Sct Layher.

[11] Loi de finance rectificative pour 2016 du 29 décembre 2016 n°2016-19-18, article 95.

[12] CE 7 juillet 2017 n°399757

[13] article 6 et 13 DDHC.

[14] Saisine du CC du 7 juillet 2017 décision 2017-660 QPC de la Sct Soparfi.

[15] Décision CC 6 octobre 2017 n°2017-660 QPC

[16] Communiqué de presse du Conseil constitutionnel 2017-660 QPC.

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