L’institution du référé contractuel signe-t-elle la mort du recours « Tropic » ?

 


 

L’un des grands sujets de discorde et de débat doctrinaux de ces dernières années, le contentieux des contrats administratifs, a trouvé un nouvel élément pour l’alimenter : l’instauration du référé contractuel, par l’adoption de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009. Celui-ci se présente comme le recours symétrique au référé précontractuel après la signature du contrat, et pousse à s’interroger sur les conditions de sa cohabitation avec le recours institué par l’arrêt « Tropic », rendu par l’assemblée du Conseil d’Etat le 16 juillet 2007.

 


 

En décembre 2007, le Parlement européen et le conseil de l’Union européenne adoptaient la directive 2007/66/CE, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique. Constatant les faiblesses existant dans un certain nombre d’Etats membres en la matière, ce texte commandait l’amélioration des procédures de recours en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées, c’est-à-dire avant que le contrat ne soit signé, ou peu de temps après sa signature. Le juge administratif français avait, d’une certaine manière, anticipé sur cette directive en instaurant – pour compléter l’adoption par ordonnance du référé précontractuel –, par son arrêt d’assemblée du 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, un nouveau recours en contestation de la validité des contrats.

 

Cette décision ouvrait la possibilité pour « tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif » de former devant le juge administratif « un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires ».

 

Innovation dans le contentieux administratif, cet arrêt ouvrait en effet la saisine du juge du contrat à d’autres que les parties au contrat elles-mêmes, pourvu qu’ils aient la qualité de concurrent évincé, et que le contrat ait été signé. Cela rendait possible une intervention directe contre le contrat, alors même que le référé précontractuel n’était plus ouvert, intervention permettant d’obtenir des résultats importants puisque portée dans un recours de plein contentieux.

 

Le juge saisi à bon escient, appréciant les conséquences des vices entachant la légalité du contrat, pouvait ainsi en prononcer la résiliation ou modifier certaines de ses clauses, soit décider de la poursuite de son exécution, soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit de l’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé.

 

Par l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009, le droit français a achevé de consommer la transposition de la directive « recours » du 11 décembre 2007. Ce texte institue en effet un nouveau « référé contractuel », sorte de pendant post-signature du référé précontractuel.

 

 

 

 

Comme son proche cousin, c’est un recours en référé, c’est-à-dire examiné par un magistrat statuant seul, permettant une décision rapide ; il partage néanmoins avec lui ce caractère de référé difforme puisqu’il ne répond à aucune nécessité exigée d’urgence, et qu’il ne tend pas – à part, peut-être, la suspension – à l’obtention du prononcé de mesures provisoires.

 

Il a pour objet principal de viser à sanctionner, après la signature du contrat, les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence, et est personnellement ouvert de la même façon que le référé précontractuel, à cette exception prêt que les deux ne peuvent être cumulés par la même personne.

 

Les pouvoirs du juge sont dans son cadre assez étendus, allant de la simple pénalité financière à l’annulation du contrat (obligatoire dans certaines hypothèses, Cf. article L. 551-18 du Code de justice administrative).

 

La question de son introduction en droit français pose inévitablement, lorsque l’on essaie de dresser un panorama actualisé du contentieux administratif contractuel, celle de sa coexistence avec les recours qui lui préexistaient.

 

Evidemment, le référé contractuel et le recours en contestation de validité du contrat se chevauchent : ils visent largement un public commun (les concurrents intéressés qui n’ont pas été retenus au terme de la procédure de passation) affecté par des situations comparables (candidat intéressé à la passation d’un contrat, éconduit d’une manière ou d’une autre), mais diffèrent en de nombreux points.

 

D’abord, le référé contractuel instauré par l’ordonnance du 7 mai 2009 est ouvert aussi bien pour des contrats qualifiés en droit français d’administratifs, ou de droit privé : il a vocation à recouvrir les contrats « de la commande publique », au sens du droit communautaire (certains organismes réputés « de droit privé » en droit français et donc insusceptibles – généralement – de passer des contrats administratifs sont pourtant considérés par le droit communautaire comme des organismes de droit public, et donc à même d’être des commanditaires publics), et sera mis en œuvre aussi bien devant les juridictions administratives que judiciaires, selon la nature du contrat en droit interne.

 

 

 

 

Autre différence majeure : les pouvoirs du juge, et la nature de la requête formulée devant lui. Dans le cadre du recours de pleine juridiction institué par l’arrêt « Tropic », le juge peut être saisi de demandes indemnitaires, situation inenvisageable dans celui du référé contractuel. Ce dernier vise avant tout une action rapide, et correspond à la recherche d’une re-passation du contrat, l’allocation d’indemnités ne présentant alors pas d’attrait particulier.

 

L’intérêt à agir sera aussi source de distinction puisqu’il est reconnu au représentant de l’Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local dans le cadre du référé contractuel, rémanence déformée du déféré préfectoral.

Au fond, il faut retenir que l’objectif poursuivi par l’introduction de ce dernier est celui de la satisfaction, par l’acheteur public, des obligations de publicité et de mise en concurrence qui pèsent sur la passation d’un contrat déterminé, et que c’est ici la matrice de sa personnalité : il est un recours en référé, et ne permet au juge que d’agir sur le contrat lui-même, ainsi que contre l’acheteur qui aura illégalement procédé, sans que cela ne profite au requérant d’autre manière que par le possible renouvellement de la procédure de passation du contrat.

Il bouscule certainement le paysage contentieux, puisqu’il est un recours beaucoup plus léger qu’un recours « Tropic » et qu’il apportera à ce titre l’avantage de sa réactivité aux candidats à l’accès à la commande publique. Il ne permet cependant pas tout ce que ce dernier permet, et dans cette mesure, ne le prive pas de tout intérêt ni de raison d’être. Ils se chevauchent, certes, mais ne se superposent pas, et ce décalage justifie que les deux continuent à faire partie ensemble du contentieux administratif contractuel.

 

 

Alexis Grisoni

 

 

Pour en savoir plus :

Un rappel sur l’arrêt Tropic.

Le texte de l’ordonnance du 7 mai 2009.

Le rapport présentant le recours au Président de la République

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.