Obligation d’information du médecin en cas d’accouchement par voie basse

Dans la décision du 27 juin 2016, les juges du Conseil d’Etat (CE, 27 juin 2016, n° 386165) précisent que l’obligation d’information du patient incombant au médecin s’applique également à l’accouchement par voie basse.

 

« Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. […]

J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences ».[1]

 

La décision

Les faits ayant conduits à cette décision sont les suivants : une parturiente se présente dans un établissement public de santé pour un accouchement par voie basse (deuxième enfant). Des anomalies du rythme cardiaque fœtal apparaissent rapidement, en lien avec une rupture utérine. Une césarienne est alors réalisée en urgence. A sa naissance, l’enfant présente de graves lésions cérébrales consécutives à une encéphalopathie anoxo-ischémique en rapport direct avec la rupture utérine.

Les parents de l’enfant décident alors de porter l’affaire devant la justice administrative. Ils demandent à l’établissement public de santé le versement d’une provision au titre de la réparation des préjudices ayant résulté des conditions de prise en charge de l’accouchement de la demanderesse et de l’absence d’information sur les risques et bénéfices d’une éventuelle tentative d’accouchement par voie basse ou d’une césarienne.

Le juge des référés de première instance du tribunal administratif de Poitiers rejette cette demande.

Le dossier est alors soumis au juge des référés de la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Il retient qu’en s’abstenant d’informer la patiente du risque de rupture utérine inhérent à un accouchement par voie basse quand un précédent accouchement avait donné lieu à une césarienne, les médecins avaient commis une faute ayant fait perdre à l’intéressée une chance d’éviter cette rupture en demandant qu’une césarienne soit programmée. Un pourvoi est par la suite formé par l’établissement public de santé.

Les juges du Conseil d’Etat rappellent tout d’abord l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique[2] modifié par la Loi santé de janvier 2016, socle de l’obligation d’information médicale.

Ils précisent ensuite que « la circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ». Le médecin n’a donc pas respecté son devoir d’obligation d’information. Il a bien eu un manquement aux règles s’imposant à lui dans l’exercice de sa profession. Une faute a été commise.

Puis, les juges énoncent les cas où cette obligation est « renforcée », tel qu’en l’espèce, le premier accouchement de la patiente s’étant fait par césarienne. « En particulier, en présence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse, l’intéressée doit être informée de ce risque [de rupture utérine] ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention ».

La notion de risque est ici centrale. C’est bien la présence de risques d’un accouchement par voie basse et notamment de rupture utérine (même faible en cas de précédente césarienne, 1%) qui permet aux juges de consacrer cette nouvelle obligation. La décision des juges aurait-elle été la même avec une patiente ne présentant pas de risques particuliers ?

L’état de santé de la parturiente (rupture utérine) et du fœtus (anomalies du rythme cardiaque) apparaissent ici comme des circonstances aggravantes, qui renforcent le poids de cette obligation d’information, ou surtout l’absence d’information. L’information délivrée à la patiente sur l’accouchement par voie basse aurait dû être de la même qualité que celle délivrée sur la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention. Le médecin aurait dû l’informer qu’une rupture utérine était possible  dans les deux cas, à savoir avec un accouchement par voie basse ou une césarienne, Il aurait dû lui préciser qu’une rupture utérine lors d’un accouchement par voie basse pouvait avoir de très graves conséquences pour l’enfant si une césarienne était réalisée par la suite dans le but d’extraire au plus vite l’enfant.

Même s’il était probable que l’intéressée, informée des risques inhérents à chacune des voies, aurait malgré tout opté pour un accouchement par voie basse, le défaut d’information du risque de rupture utérine inhérent à un accouchement par voie basse est à l’origine d’une perte de chance d’éviter le dommage. Ainsi, le défaut d’information du risque de rupture utérine entraine pour les demandeurs un préjudice qui résulte de la perte d’une chance sérieuse.

Et après ?

Cette décision permet de définir une fois de plus les contours de la notion d’obligation d’information du patient en précisant une nouvelle fois son champ d’application. Désormais, est inclut dans les actes devant faire l’objet d’une telle obligation, un accouchement par voie basse. Cette décision novatrice contredit l’avis des juges du fond sur la question qui dans une précédente espèce avaient estimé qu’un accouchement par voie basse ne constituait pas « un acte médical dont les risques devaient être portés préalablement à la connaissance de la future accouchée en l’absence de risque liés à l’état de santé de la parturiente ou de son enfant » (CAA de Douai , 3 juillet 2007, n° 06DA01178).

Jusqu’ici, seuls les actes médicaux faisaient l’objet d’une telle obligation. Sont visés surtout ceux ayant une finalité thérapeutique (préventive ou curative) mais également des domaines dépourvus de finalité thérapeutique tel que celui de la recherche biomédicale (article L. 1122-1 du Code de la santé publique), du prélèvement d’organe sur le vivant  (articles L. 1231-1 et R. 1231-1 et suivants du CSP), du diagnostic prénatal (article R. 2131-2 du CSP), de l’assistance médicale à la procréation (article L. 2141-10 du CSP), de l’interruption volontaire de grossesse (article L. 2212-3 du CSP).

Le caractère non médical de l’accouchement par voie basse ne permet pas aux médecins d’y écarter l’application du devoir d’information.

Cette précision novatrice suit la ligne conductrice amorcée depuis quelques années par les juges du Conseil d’Etat, ainsi que le législateur, celles d’une meilleure garantie du droit du malade.

Reste à voir quelles seront les prochaines applications de cet arrêt. Il semble bien que ce soient les faits particuliers d’espèce qui aient conditionnés cette appréciation extensive de l’obligation d’information médicale. Quid, en l’absence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse ?

                                                                                                                       Elodie GUILBAUD

POUR EN SAVOIR PLUS

Sur l’obligation d’information médicale : La consécration d’un nouveau préjudice moral né du défaut d’information médicale – Farida Arhab-Girardin – RDSS 2010. 898

Et en peu de droit comparé : L’obligation d’information du médecin en France et en Italie – Marion Girer – Laurence Klesta – RDSS 2015. 853

Préjudice réparable en cas de défaut d’information médicale : la Cour de cassation réoriente sa jurisprudence (Civ. 1re, 23 janv. 2014, n° 12-22.123) – Patrice Jourdain – RTD Civ. 2014 p. 379

 

[1] Extrait du serment médical

[2] article L.1111-2 CSP

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