Omar el-Béchir, aujourd’hui ex-Président du Soudan, et accusé de plusieurs crimes internationaux, pourrait être conduit devant la Cour pénale internationale prochainement

Le Soudan a connu récemment une vague de protestations populaires ayant conduit à un coup d’État mené par l’armée, ce qui a eu pour conséquence de mener à la destitution, le jeudi 11 avril 2019, du président de la République autoproclamé Omar el-Béchir au pouvoir depuis 1993 et élu depuis 1996. La Guerre du Darfour, qui a débuté le 26 février 2003 et qui est toujours en cours, a soulevé de multiples questions et laisse à penser que des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ainsi que des crimes de génocide ont été perpétrés par différents protagonistes. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a alors intimé le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) d’enquêter sur la situation et sur le cas d’Omar el-Béchir, même si celui-ci est le ressortissant d’un État – le Soudan – non partie au Statut de Rome de 1998 instituant la CPI. Cette dernière se heurte au manque de volonté et de coopération des États parties au Statut qui ont refusé d’extrader Omar el-Béchir lorsqu’il était président. Sa destitution pourrait alors métamorphoser les suites de l’affaire et laisser planer la possibilité d’une extradition dans un futur plus ou moins proche.

La spécificité de l’affaire El Béchir

L’affaire el-Béchir est singulière et inédite en droit international. Tout d’abord, concernant la qualité de l’individu poursuivi. C’est la première fois que la CPI émet un mandat d’arrêt à l’encontre d’un chef d’État encore en exercice. Conformément à l’article 27 du Statut de Rome de 1998 qui fait défaut à la pertinence de la qualité d’officiel, les immunités diplomatiques ne peuvent être opposables devant la CPI. Ces dispositions du Statut reflètent le droit international en vigueur en ce qu’il exclut les exceptions d’immunité en matière de crimes internationaux. C’est sur ce fondement que deux mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre de l’ex-président, alors en exercice, le 4 mars 2009 et le 12 juillet 2010 par Louis Moreno Ocampo, alors Procureur de la CPI. Néanmoins, cet article n’est plus utile dans cette affaire puisque Omar el-Béchir n’exerce plus la fonction de chef d’État.

Ensuite, cette affaire présente une certaine originalité concernant l’exercice de la compétence de la Cour. En effet, selon l’article 13 du Statut de Rome, seuls les États parties et le Conseil de Sécurité des Nations Unies peuvent déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes internationaux paraissent avoir été commis. En outre, le Procureur peut se saisir proprio motu, c’est-à-dire de sa propre initiative, d’une situation et ouvrir une enquête sur le fondement de l’article 15 du Statut. Dans l’affaire du Darfour, c’est le Conseil de Sécurité qui, agissant en vertu de l’article VIII de la Charte des Nations Unies, a déféré la situation au Procureur le 31 mars 2005 par la résolution 1593 (2005). L’exercice de cette compétence a donné lieu à de vives contestations de la part des acteurs du conflit destinataires de la décision du Conseil, mais aussi à des critiques soulevées par certains détracteurs de la Cour. Ces derniers ont estimé que la justice exercée par cette institution serait une justice des puissants sur les plus faibles et une domination occidentale aux relents néocolonialistes. Ces critiques sont pour le moins injustifiées et inopportunes en raison du fait que le Conseil de Sécurité a eu l’approbation de tous les États africains lors de l’adoption de la résolution.

Enfin, la Cour ne peut juger les individus in absentia, c’est-à-dire par défaut, contrairement à certains droits nationaux. Leur présence à leur procès est alors obligatoire, en vertu de l’alinéa premier de l’article 63 du Statut a contrario. C’est ainsi que la Cour doit nécessairement compter sur la coopération des États pour pouvoir exercer sa compétence. Néanmoins, ceci a pour inconvénient de réduire drastiquement ses capacités puisqu’elle ne peut contraindre par la force les individus à comparaître devant elle. Elle est alors subordonnée à la volonté des États.

Le manque de coopération des Etats parties au Statut de Rome

La position de la CPI est pourtant claire concernant l’exécution des mandats d’arrêt décernés par ses soins. Les États parties ont l’obligation d’arrêter les personnes concernées, en vertu de leur devoir général de coopération affirmé par l’article 86 du Statut, et ce même si l’individu est le chef d’un État en visite diplomatique sur leur territoire. En refusant de le faire, les États s’exposent à une sanction qui sera prononcée soit par le Conseil de sécurité, soit par l’Assemblée des États parties. En pratique, cette sanction demeure symbolique. C’est ce qu’illustre cette affaire puisqu’en l’espèce, Omar el-Béchir, malgré les deux mandats d’arrêt à son encontre, a voyagé durant plusieurs années, sans jamais avoir été inquiété. L’Afrique du Sud et d’autres États africains l’ont accueilli sans l’arrêter et le déférer en opposant à la Cour l’argument de la qualité d’officiel, puisqu’il était encore président du Soudan, alors que cette justification ne dispose d’aucun fondement juridique, ce qu’avait rappelé la chambre préliminaire II de la Cour qui a conclu que l’Afrique du Sud avait manqué à ses obligations.

Dès lors, la destitution d’Omar el-Béchir peut ouvrir une brèche dans laquelle la Procureur Fatou Bensouda pourrait s’immiscer en faisant pression sur les nouveaux représentants de l’État Soudanais afin qu’ils l’extradent à La Haye pour qu’il puisse être jugé.

Le possible déferrement de El Béchir devant la Cour pénale internationale

La crainte de l’utilisation de la CPI à des fins politiques est justifiée dans la mesure où elle pourrait être employée par certains politiques dans le but de se libérer de leurs opposants. Non seulement les États parties peuvent le faire en vertu de l’article 13 du Statut, mais les États tiers non parties à la CPI le peuvent aussi conformément à l’article 12 alinéa 3. Ce fut le cas par exemple de l’affaire Gbagbo puisque la Côte d’Ivoire, à l’époque non partie au Statut, a déclaré reconnaître la compétence de la Cour le 18 avril 2003. Cette reconnaissance peut être perçue comme étant opportuniste. Néanmoins, il s’avère que cela aide la Cour à asseoir sa légitimité sur la scène internationale puisque sa compétence s’étend au-delà des carcans du Statut de Rome. Mais, il n’en demeure pas moins que cette utilisation opportuniste s’avère être un argument de poids entachant l’image et la légitimité de la Cour. Il convient alors de patienter et d’observer si l’État du Soudan, qui n’est pas partie au Statut de Rome, pourrait accepter la compétence de la Cour afin de faire juger son ex-président.

Rayman REMTOLA

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