Décryptage de l’affaire Panama Papers

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Le 4 avril dernier, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) suivi de 108 médias étrangers révélaient des données provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca & Co, grand spécialiste de la domiciliation de sociétés offshores. Ces médias ont eu accès à plus de 11 millions de fichiers dont les données s’étalent de 1977 à 2015 et révèlent que des chefs d’Etats, des milliardaires, des grands patrons, des figures du sport et de l’économie recourent, avec l’aide de certaines banques, à des montages de sociétés afin de dissimuler leurs avoirs[1].

I. L’affaire des « Panama Papers »

 A. Les sociétés offshore : “stairway to tax heaven[2]” ?

Les sociétés offshores, littéralement « au large des côtes », ont pour particularité d’être domiciliées à l’étranger sans y exercer d’activité réelle[3], pour la plupart. Il n’y a là rien d’illégal en soi, contrairement à ce qu’ont pu laisser croire certaines mises au pilori largement médiatisées. C’est en revanche « l’activité réelle qu’il y a derrière, et l’origine des flux financiers » qui pose question, comme l’a rappelé le secrétaire d’Etat au budget Christian Eckert[4].

Une grande partie des sociétés offshores enregistrées par Mossack Fonseca auraient pour seule activité l’ouverture et la gestion de comptes bancaires. En effet, plutôt que d’ouvrir un compte à leur nom, les clients lui préfèrent l’intermédiaire d’une société écran, à laquelle ils rattachent leur compte en tout anonymat au regard de leur Etat de résidence ; ce qui leur permet de soustraire leur patrimoine à l’impôt sur la fortune, notamment. De même, les clients peuvent choisir d’acheter un bien par l’intermédiaire de ces sociétés offshores pour dissimuler leur identité ou échapper aux droits de succession. Ainsi, le terme « offshore » est bien souvent devenu synonyme d’opacité et fraude fiscale, en partie à tort. Le problème n’est pas tant le recours à une société offshore, mais bien les motifs qui motivent le recours à ces montages fiscaux. En effet, on peut y avoir recours pour masquer des opérations financières qui doivent rester discrètes, sans pour autant être illégales, ou encore y rechercher une souplesse juridique certaine. Elles sont ainsi largement plébiscitées par les compagnies aériennes pour leurs opérations de leasing[5], ou par les assurances qui recherchent des règles prudentielles flexibles. Les sociétés offshores sont également utilisées par les ressortissants de pays politiquement instables afin de protéger leur patrimoine des expropriations ou autres atteintes à la propriété, et plus généralement par de nombreux entrepreneurs pour faciliter leur développement international.

Si les Panama Papers provoquent de telles secousses, c’est sans doute parce qu’ils révèlent des pratiques occultes par essence, et qui concernent l’ensemble de l’économie mondiale. Mossack Fonseca aurait en effet travaillé avec plus de 14 000 banques et autres intermédiaires dans 136 pays dans le monde, selon l’ICIJ[6]. Et l’impact de ce « leak » s’est également trouvé démultiplié par la révélation des liens étroits qu’entretiendraient de nombreuses personnalités de premier plan avec les paradis fiscaux. En effet, dès les premiers jours de l’affaire, le journal Le Monde fait état de 140 responsables politiques, dont 12 chefs d’Etat, issus de 50 pays, reliés à des sociétés offshores dans 21 paradis fiscaux[7]. Le monde du football a été largement montré du doigt, puisque plusieurs cadres de la fédération internationale de football seraient ainsi liés à des sociétés basées dans des paradis fiscaux. Mais l’affaire qui a eu le plus grand retentissement est sans doute celle concernant le premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson, forcé de démissionner suite à la révélation de sa société Wintris Inc. établie dans les îles Vierges britanniques[8] et dont il n’a jamais fait mention dans sa déclaration de patrimoine.

 

B. De nombreux gouvernements ont été ébranlés par ces révélations

Les Panama Papers n’auront pas non plus épargné les pays érigés en modèle dans le domaine de la fiscalité. L’onde de choc de leurs révélations a ainsi été particulièrement forte au Royaume-Uni dans la mesure où ses territoires d’outre-mer accueilleraient la moitié des sociétés-écrans établies par Mossack Fonseca. D’après le Guardian[9] les Iles Vierges Britanniques poursuivraient leurs affaires avec le cabinet Mossak Fonseca, alors même que celui-ci ne serait pas en mesure d’identifier plus de 5% des véritables propriétaires des entreprises avec qui il traite.

D’autre part, après plusieurs jours de fort intérêt médiatique sur le fonds offshore de son père, David Cameron a fini par admettre qu’il y avait détenu des parts (en s’acquittant d’impôts au Royaume Uni), qu’il a vendues juste avant de devenir Premier ministre. Cette affaire a été d’autant plus médiatisée que dans son programme électoral, David Cameron avait promis de lutter contre l’évasion fiscale en qualifiant un certain nombre de procédés comme moralement inacceptables et en promettant de lever le voile de confidentialité contre les pratiques des territoires offshore.  A la suite de cette affaire, il précise dans une allocution au Parlement que ces pratiques sont légales, que la transmission patrimoniale est un acte normal et que le gouvernement doit défendre le droit qu’a chaque citoyen de s’enrichir légalement. Cette affaire a incité David Cameron à prendre un certain nombre de mesures telles que la mise en place d’un échange automatique d’informations financières dès septembre 2016 et d’un registre des personnes exerçant un contrôle significatif sur les sociétés immatriculées dans les dépendances de la couronne et les territoires d’outre-mer (sauf Guernesey et Anguilla à ce jour). De plus, le premier ministre prévoit l’investissement de 10 millions de livres dans une agence (Task Force) regroupant HMRC, la National Crime Agency (NCA), la Financial Conduct Authority (FCA) et le Serious Tax Fraud (SFO)[10]. Néanmoins, cette affaire aura écorné la confiance de l’opinion publique dans l’action de  David Cameron et laisse l’impression qu’il existe un système fiscal à deux vitesse au Royaume Uni : un pour les personnes les plus fortunées et un autre pour les contribuables lambda.

En France, un certain nombre de personnalités ainsi qu’un parti politique ont été mentionnés dans cette affaire des « Panama Papers ». Une grande banque française a également été citée dans le journal Le Monde comme ayant créé 979 sociétés offshore par l’intermédiaire du cabinet Mossack Fonseca pour le compte de clients fortunés[11]. A ce jour, une centaine de ces sociétés resteraient actives. Dans un communiqué, le parquet national financier a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « blanchiment de fraudes fiscales aggravées » puisque les révélations portées par les médias sont « susceptibles de concerner des résidents fiscaux français ».[12]

Le scandale des Panama Papers a également pris une dimension américaine. En effet, Preet Bharara, le procureur fédéral du district sud de New York, a ouvert une enquête criminelle liée aux documents provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Il a également adressé une lettre au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dans laquelle il demande à parler « aussi vite que possible » aux représentants du ICIJ afin d’obtenir des informations supplémentaires ; alors qu’une partie de la base de données de Mossack Fonseca a été publiée le 9 mai dernier. L’administration de Barack Obama est également en train de finaliser un plan de lutte  contre l’opacité des sociétés-écrans crées aux Etats-Unis. En effet, si les Etats-Unis ont été relativement épargnés par les révélations sur les Panama Papers, ils sont régulièrement pointés du doigt pour la possibilité offerte par certains Etats (Delaware notamment), d’ouvrir une société sans préciser le nom de son bénéficiaire réel.

II. Les règles de droit antérieures à l’affaire des « Panama Papers »

 A. Règles applicables en France

La plupart des pays autorisent le recours à des sociétés offshores. En France, ces montages économiques sont légaux à condition de déclarer le compte lié à la société. En effet, l’article 1649A du Code général des impôts (CGI) dispose que les personnes physiques, les associations, les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer les comptes à l’étranger qu’elles détiennent directement ou par l’intermédiaire de structures. Les entreprises à caractère commercial n’ont donc pas l’obligation de déclarer leurs comptes à l’étranger.

De nombreuses personnes se servent ainsi de comptes de sociétés basées dans des paradis fiscaux, sans pour autant apparaître prima facie comme le bénéficiaire ultime. Cette pratique, lorsqu’elle a pour but d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales, est illégale. Cependant, les administrations fiscales sont souvent bien en peine d’identifier ces personnes dont l’identité est généralement cachée derrière des « hommes de paille », et en particulier face à des Etats peu coopératifs.

Si la société ne détient pas de compte mais sert uniquement à détenir des biens, alors elle ne devra être déclarée que si elle verse des dividendes ou si le contribuable est assujetti à l’ISF car dans ce cas il est taxable sur son patrimoine mondial. Enfin, si la société offshore exerce une activité commerciale en France, il faut également la déclarer au titre de l’Impôt sur les sociétés (IS). Néanmoins, les bénéfices réalisés dans des entreprises exploitées à l’étranger, par des sociétés ayant leur siège en France ne sont pas redevables d’impôts en France. Il existe cependant des dispositifs anti-abus. D’après l’article 123 bis du CGI,  il est possible d’imposer en France à l’impôt sur les sociétés les bénéfices réalisés par une entreprise ou toute autre entité juridique située hors de France, dès lors qu’elle est détenue à au moins 10% par des résidents fiscaux français et que cette entité est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238A du CGI. L’article 209B du CGI prévoit la même règle pour les personnes morales établies en France et détenant directement ou indirectement plus de 50% des actions, parts, droits financiers ou droits de vote d’une entité juridique établie hors de France et qui est soumise à un régime fiscal privilégié.

Ainsi le problème ne réside-t-il pas tant dans le fait, bien légal, d’avoir recours à une société offshore, mais bien plus dans les motifs qui motivent le recours à ces sociétés et dans la réticence que les juridictions concernées ont à collaborer avec les autres administrations fiscales. Les pressions internationales, notamment du G20, ont contraint certains Etats à modifier leurs pratiques, mais des progrès restent à accomplir.

Il convient cependant de marquer à nouveau la distinction entre optimisation fiscale et fraude fiscale. En effet, l’optimisation, bien qu’elle ne connaisse pas de définition légale, peut recouvrer l’ensemble des pratiques légales que le contribuable met en œuvre afin de minorer le montant de l’impôt qu’il devra verser. Au contraire, l’évasion désigne l’ensemble des pratiques visant à réduire l’imposition, y compris les comportements frauduleux. La fraude, quant à elle, implique une violation de la loi dans le but d’échapper à l’impôt[13]. Ces comportements frauduleux sont sévèrement sanctionnés par le Code général des impôts. D’après l’article 1728 du CGI, le retard ou l’absence de déclaration fiscale entraîne une majoration de 10 % du montant d’impôts dû, puis de 40 % en cas de persistance de l’infraction. Mais la majoration s’élève à 80 % quand l’administration découvre une activité occulte. Afin de déterminer le montant de la pénalité, c’est l’intention du contribuable qui est prise en compte par l’Administration. L’article 1741 du CGI prévoit donc une majoration de 40 % en cas de « manquement délibéré » du contribuable et de 80 % en cas de « manœuvres frauduleuses » ou d’« abus de droit ».

D’autre part, l’article 1741 du CGI définit le délit de fraude fiscale et sanctionne les personnes physiques ou morales s’étant frauduleusement soustraites ou ayant tenté de se soustraire à l’établissement de l’impôt. L’auteur d’une fraude fiscale encourt 50 000€ d’amende et 5 ans d’emprisonnement. Les peines sont portées à 2 000 000 € et sept ans d’emprisonnement lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen :

1° Soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;

2° Soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;

3° Soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents, au sens de l’article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

4° Soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;

5° Soit d’un acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle.

Il y a précisément un an, la Direction générale des finances publiques publiait une liste des schémas fiscaux nocifs, afin de préciser la ligne à ne pas franchir, d’en dissuader le franchissement, et d’inciter les contribuables à régulariser d’eux-mêmes leur situation[14]. C’est dans cette lignée qu’elle a souhaité développer les procédures de régularisation, en les rendant particulièrement efficaces puisque chaque semaine entre 100 et 150 dossiers sont déposés, rien que pour les particuliers.

Notons par ailleurs que le champ de l’optimisation fiscale a été réduit ces dernières années, en même temps que celui de l’abus de droit a été élargi[15]. L’abus de droit permet de sanctionner des actes qui ne sont pas expressément reconnus comme frauduleux par les textes, tout en étant abusifs. De cette façon, le juge fiscal a pu condamner tout acte ayant été inspiré par aucun autre motif que celui d’échapper à l’impôt. Depuis la loi de finance rectificative pour 2008, l’article L64 du LPF permet à l’administration fiscale d’écarter tout acte ayant un caractère fictif ou ayant pour but d’éluder l’impôt ou d’atténuer les charges fiscales en s’appuyant sur une application littérale des textes contraire à l’objectif poursuivi par leurs auteurs. Il semble néanmoins que l’application de l’abus de droit soit délicate dans la mesure où il faut prouver que le but poursuivi par le contribuable était exclusivement fiscal. Or, d’après Olivier Sivieude, Chef du service du contrôle fiscal à la Direction Générale des Finances Publiques, « il est assez facile pour les entreprises […] de dire que leur but n’était pas exclusivement fiscal : elles trouvent toujours un petit élément économique ; elles peuvent par exemple affirmer qu’elles voulaient regrouper dans tel Etat toutes leurs opérations européennes[16] […] ».

B.  Règles de droit applicables au niveau international

La lutte contre la fraude fiscale est très vite devenue un enjeu important de la politique fiscale de l’Union Européenne. A cet égard, la directive 2011/16/UE concerne la coopération administrative dans le domaine fiscal. Cette directive met en place les échanges d’informations sur demande, les échanges spontanés et automatiques, la participation aux enquêtes administratives ainsi que les contrôles simultanés. De même, un système électronique sécurisé a été mis en place pour l’échange d’informations. En 2014, cette directive a été modifiée afin d’étendre la coopération entre les autorités fiscales à l’échange automatique d’informations relatives aux comptes financiers. Cet échange automatique d’informations concerne l’ensemble des impôts et taxes de toute nature, à l’exception de ceux couverts par d’autres actes législatifs de l’Union concernant la coopération administrative (TVA, droits d’accise…)  L’échange automatique consiste en la fourniture d’informations relatives aux revenus d’un résident, aux décisions fiscales en matières transfrontalières ainsi qu’aux accords préalables en matière de prix de transfert.

De son côté, l’OCDE fait de la lutte contre l’évasion fiscale une de ses priorité, avec notamment son plan d’actions « Base Erosion and Profit Shifting », dit BEPS[17]. Ce projet comporte en effet de nouveaux standards minimums concernant les déclarations pays par pays qui permettront aux autorités fiscales d’avoir une vision globale de l’activité des multinationales grâce à des déclarations concernant le lieu d’exercice de leur activité, le montant de leur chiffre d’affaires ou encore l’impôt acquitté dans chaque pays. De plus, l’action 13 du plan BEPS porte sur une approche standardisée de la documentation et de la fixation des prix de transfert. Ces mesures ont pour objectif d’éviter que des contribuables n’utilisent des structures ad hoc fortement capitalisées dans le but de transférer des bénéfices vers des territoires à fiscalité privilégiée. L’action 12 du projet BEPS porte également sur les règles de communication obligatoire d’informations qui reste l’une des principales difficultés rencontrées par les administrations fiscales.

D’autre part, l’OCDE a également mis en place certains standards concernant l’échange automatique d’informations. Le Common Reporting Standard (CRS)[18] a pour objectif la transmission d’informations financières concernant tous les types de revenus d’investissement, mais aussi le solde des comptes et les revenus tirés de la vente de produits financiers. Les institutions financières tenues à cette obligation ne sont pas uniquement les banques, mais également les entreprises d’assurance ou encore les courtiers. Le CRS impose l’identification des individus qui contrôlent effectivement ces entités et décrit des procédures de due diligence que les institutions financières doivent suivre afin de déterminer les comptes concernés par cet échange d’informations. Ces standards proposés par l’OCDE se composent également d’un modèle d’accord entre autorités compétentes, appelé Competent Authority Agreement (CAA), et qui contient des clauses relatives au traitement des données, aux infrastructures à mettre en place et aux modalités pour l’échange d’informations. Afin d’encourager les Etats dans leur politique de transparence, l’OCDE propose aussi un modèle d’accord bilatéral et un modèle d’accord multilatéral. A l’heure actuelle, 99 juridictions ont accepté d’appliquer le CRS qui devrait être applicable d’ici 2017 pour la plupart.

Enfin, depuis 2009, le forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements renforce la mise en place de ces normes. Ce forum compte 125 membres et a pour but d’assurer l’application des normes et standards internationaux de transparence et d’échange de renseignements dans le domaine de la fiscalité, notamment par un processus d’examen par les membres eux-mêmes. En 2015, ce processus d’examen a permis à des territoires tels que les Iles Caïman, Singapour ou Jersey de mettre en place de véritables règles de transparence et d’être reconnus par le forum comme étant en grande partie conformes aux standards internationaux de transparence et d’échange d’informations[19].

III. Les effets des Panama Papers

 A. Conséquences des Panama Papers en France

Quelques jours après les révélations liées aux « Panama Papers », la France a décidé de réinscrire Panama sur la liste des Etats et Territoires Non Coopératifs (ETNC). Le gouvernement français a cependant expliqué que la décision d’inscrire Panama sur la liste des ETNC était uniquement fondée sur des éléments de fait et de droit objectifs, que l’affaire des « Panama Papers » est venue conforter. En effet, l’article 238-0 A du CGI dispose que « sont considérés comme non coopératifs, à la date du 1er janvier 2010, les Etats et territoires non membres de la Communauté européenne […] qui, à cette date, n’ont pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze Etats ou territoires une telle convention ». D’autre part, l’Etat français a considéré que les modalités d’échange d’information prévues à l’article 24 de la convention fiscale franco-panaméenne n’étaient pas respectées et qu’il était donc fondé à procéder à l’inscription de Panama sur la liste des ETNC. Notons également que Panama figurait déjà sur la liste paneuropéenne des juridictions fiscales non coopératives de pays tiers publiée par la Commission européenne en juillet 2015. De même, de graves lacunes avaient déjà été constatées dans le cadre de travaux d’évaluation menés par le Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations en matière fiscale. La décision de la France d’inscrire Panama sur la liste des ETNC n’est donc pas isolée, et s’inscrit dans une logique de lutte contre la corruption et l’opacité économique, portée notamment par le projet de loi Sapin II.

Suite à la décision d’inscrire Panama sur la liste des ETNC, Michel Sapin a reçu son homologue panaméen le 25 avril dernier. Au cours de cette rencontre, le ministre des Finances et des Comptes Publics a fermement réaffirmé sa volonté d’une totale transparence en matière d’échange de renseignements et a demandé à ce que Panama signe au plus vite la convention multilatérale d’assistance administrative de l’OCDE et du Conseil de l’Europe. Le ministre panaméen a exprimé la volonté de son gouvernement de progresser vers une plus grande transparence, sans toutefois en préciser le calendrier.

Face aux révélations des Panama Papers, la France a ainsi réitéré son engagement envers la transparence de l’économie et la lutte contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscale agressive. Cette affaire a été l’occasion pour Michel Sapin de rappeler les propositions que la France a faites concernant la transparence et l’échange d’informations, avec un système de liste noire doté de sanctions effectives. Dans cet esprit, la France prévoit une renégociation de la convention fiscale qu’elle a signée avec le Panama. Elle aspire également à la mise en place d’un accord au niveau du G20 sur la création d’une liste noire, qui permettrait d’identifier, selon les critères et l’évaluation du Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations, les territoires non coopératifs sur le plan fiscal[20]. Cette liste noire devrait par ailleurs permettre la mise en place de sanctions efficaces et coordonnées entre les différents Etats.

La France souhaite également que l’Union Européenne mette en place une directive prévoyant un dispositif dissuasif de mesures communes à l’encontre des Etats et territoires reconnus comme étant non coopératifs au plan international. Cette directive devrait obligatoirement être applicable dans les 28 Etats membres de l’Union Européenne. Le plan d’action déployé par Michel Sapin prévoit en outre l’instauration de registres uniformisés des bénéficiaires effectifs de toutes les personnes morales (y compris les trusts et les fondations), et ce, dans tous les Etats. Rappelons néanmoins que le Royaume-Uni reste fermement opposé à la mise en place d’un registre des bénéficiaires ultimes des trusts. Dans cet esprit, la France compte rendre public son registre des bénéficiaires effectifs et demande que l’ensemble des pays fasse de même[21].

 

B. Conséquences internationales en termes d’action coordonnée

Après les révélations du Consortium international de journalistes sur les Panama Papers, le réseau JITSIC (Joint International Tax Shelter Information & Collaboration network) s’est réuni à Paris le 13 avril dernier. Le JITSIC est un réseau de 46 administrations fiscales, dont l’ensemble des membres du G20, qui se sont engagées à accroître la coopération dans le domaine fiscal. Il semblerait qu’avec ces révélations, le JITSIC soit devenu un lieu approprié de collaboration entre les administrations fiscales souhaitant mettre en place de nouvelles mesures pour prévenir l’évasion fiscale. A ce jour les discussions au sein du JITSIC concernant l’affaire des « Panama Papers » restent néanmoins confidentielles.

De son côté, le G5 (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Espagne) a profité des assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale pour encourager les membres du G20 à mettre en place une nouvelle liste noire des paradis fiscaux ainsi que des sanctions efficaces à leur encontre. Dans une lettre ouverte[22] signée par les ministres des finances de ces 5 pays, le G5 dit vouloir mettre fin à l’opacité des sociétés écrans localisées dans des paradis fiscaux en mettant en place un registre international des propriétaires et des bénéficiaires réels des diverses entités juridiques. Cette lettre ne fait cependant pas mention de la mise en place d’une liste noire ou de sanctions effectives.

L’Union Européenne, quant à elle, ne semble pas être d’accord sur la marche à suivre. En effet, alors que la Commission souhaite que les multinationales publient le montant de leurs bénéfices et des impôts qu’elles paient dans les différents pays dans lesquels elles exercent une activité, certains Etats tels que l’Allemagne, Malte ou l’Autriche y sont fermement opposés. En effet, le ministre allemand des finances a exprimé certaines réserves en estimant qu’il y avait « parfois une contradiction entre efficacité et transparence » et qu’une telle mesure placerait les entreprises européennes dans une situation désavantageuse par rapport à leurs rivaux mondiaux. La France et le Royaume-Uni supportent cette nouvelle mesure, de même que le Parlement européen. Le 22 avril, le conseil « Affaires économiques et financières » (ECOFIN) [23] s’est réuni afin discuter des efforts à mettre en œuvre concernant la lutte contre l’évasion et la planification fiscale agressive. De cette discussion, il ressort que les ministres sont favorables à l’établissement, à l’échelle européenne, d’une liste noire des Etats et territoires non coopératifs et de mesures défensives en collaboration avec l’OCDE. La Présidence a également invité la Commission à mettre en place des mesures dissuasives plus efficaces pour les intermédiaires facilitant les schémas d’évasion fiscale et s’est félicité du projet d’échange automatique d’information concernant les bénéficiaire et propriétaires effectifs des entités juridiques.

En revanche, la directive européenne sur le secret des affaires, votée le 14 avril dernier, a été vivement critiquée. Ce texte vise à défendre le secret des affaires des entreprises européennes et à les protéger contre l’espionnage industriel et économique. On craint que les lanceurs d’alerte ne soient plus protégés puisque la directive fait porter la charge de la preuve sur les lanceurs d’alerte et non sur les entreprises.  Néanmoins, la protection du secret des affaires ne devrait pas s’étendre aux cas où la divulgation d’informations « pertinentes » permet de servir « l’intérêt public » telles que révélation d’une faute professionnelle ou d’une activité illégale[24]. Le problème réside en la définition de « pertinent » et « d’intérêt public ». Ce sera donc au juge de déterminer au cas par cas ce qu’il était « pertinent » de dévoiler dans « l’intérêt public ». Les Etats européens disposent de 2 ans pour transposer cette directive dans leur législation nationale.

Il ne fait aucun doute que le Sommet Anti-Corruption devant se tenir à Londres le 12 mai prochain comportera un volet fiscal en lien avec les révélations des Panama Papers.

Peut-être peut-on également relever dans l’approche des Panama Papers qui a été relayée dans les médias, un paradigme où les considérations morales priment sur les considérations juridiques. Si l’une et l’autre sont des perspectives intéressantes pour aborder une affaire de cette complexité, on pourra regretter que la perspective morale soit parfois revêtue d’oripeaux juridiques, corrodant une distinction pourtant fondamentale. On doit peut-être à cette confusion entre illégalité et illégitimité le fait que les politiques aient été bien plus sévèrement épinglés par les affaires que les dirigeants et entrepreneurs pourtant largement concernés.

Gageons que les révélations des Panama Papers, celles passées et celles à venir, seront l’opportunité de faire la part des choses, dans les esprits comme dans les réglementations, entre des activités occultes mais légales et une criminalité internationale en col blanc.

Jean CHUILON

Master 2 OFIS

[1]http://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/03/panama-papers-comment-le-monde-a-travaille-sur-plus-de-11-millions-de-fichiers_4894836_4890278.html

[2]https://panamapapers.icij.org/stairway_tax_heaven_game/

[3]http://www.capital.fr/a-la-une/actualites/c-est-quoi-une-societe-offshore-1115438

[4]http://www.bfmtv.com/politique/panama-papers-toutes-les-informations-seront-exploitees-assure-eckert-964289.html

[5]http://www.juritravail.com/lexique/credit-bail.html

[6]https://panamapapers.icij.org/

[7]http://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/04/panama-papers-ces-12-dirigeants-mondiaux-qui-ont-utilise-des-societes-offshore_4894962_4890278.html

[8]http://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/03/panama-papers-en-islande-le-chef-du-gouvernement-et-deux-ministres-sur-la-sellette_4894864_4890278.html

[9]http://www.theguardian.com/news/2016/apr/04/british-virgin-islands-failed-to-crack-down-on-mossack-fonseca-panama-papers

[10]Discours de David Cameron devant le Parlement le 11 Avril 2016

[11]Interview de Michel Sapin dans Le Monde

[12]http://www.franceinfo.fr/actu/justice/article/panama-papers-une-enquete-ouverte-pour-blanchiment-de-fraudes-fiscales-aggravees-779709

[13]http://www.economie.gouv.fr/facileco/evasion-fraude-optimisation-fiscale

[14]http://www.lefigaro.fr/impots/2015/04/01/05003-20150401ARTFIG00419-bercy-devoile-sa-carte-des-schemas-fiscaux-abusifs.php

[15]http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/934-PGP

[16]Commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

[17]OCDE (2015), Exposé des actions 2015, Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, OCDE

[18]OCDE (2015), Common Reporting Standard, Standard for automatic exchange of financial account information, OCDE

[19]OCDE (Février 2015), OECD Secretary-General Report to G20 Finance Ministers

[20]http://www.economie.gouv.fr/michel-sapin-rappelle-plan-daction-pour-reunions-washington

[21]Communiqué de presse du ministère des finances et des comptes publics « Michel Sapin rappelle son plan d’action pour les réunions de Washington »

[22]Chancellor’s letter to G20 counterparts

[23]Informal ECOFIN – Line to take NL Presidency

[24]Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 14 avril 2016 en vue de l’adoption de la directive (UE) 2016/… du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites

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