Le juge américain ne répond pas toujours aux questions qui lui sont posées. Il se déclare incompétent dans certains cas, notamment quand la question lui apparaît comme étant une question politique ou diplomatique.
La doctrine de la Political question
Alexander Hamilton écrivait déjà en 1788 dans le Federalist N°78 que le pouvoir judiciaire est le garant de la nouvelle Constitution et « de l’impartiale administration des lois » sans lequel tous les droits qu’elle protège n’auraient pas de réalité. Si le juge est tenu de faire respecter la Constitution, il est tenu de le faire dans les limites que celle-ci prévoit. Le pouvoir judiciaire n’est qu’un des trois pouvoirs établis par la Constitution américaine et doit donc être exercé dans le respect des prérogatives des deux autres pouvoirs, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, et de leurs prérogatives.
L’arrêt Marbury v. Madison est connu comme donnant au juge américain le pouvoir de contrôler la loi et de l’écarter si elle est contraire à la Constitution. Cependant, cette décision exclut également de ce champ du contrôle tout acte qui serait essentiellement politique.
« La Constitution des États-Unis investit le Président de certains pouvoirs politiques, dont il n’est responsable que devant le pays et sa conscience »[1]. Par ces mots, le Chief Justice Marshall a introduit dans la jurisprudence américaine une nouvelle théorie, celle de la political question, commandant au juge de se dessaisir d’une question lorsqu’il n’est pas l’organe approprié pour y répondre.
Un exemple de political question : la conduite des affaires étrangères
Une des prérogatives principales du pouvoir exécutif – en d’autres termes du Président des États-Unis – est la conduite des affaires étrangères. Aussi dans ce domaine, le juge se déclare en principe incompétent.
Dans l’affaire Goldwater v. Carter[2], plusieurs membres du Congrès avaient initié une action en justice contre la décision unilatérale du Président Jimmy Carter d’annuler le traité sino-américain de défense. Les juges de la Cour suprême décidèrent de décliner leur compétence sans même avoir entendu les arguments des parties. Le juge Powell écrivit dans son opinion que « le pouvoir judiciaire n’est pas prêt pour régler un différend entre le Congrès et le Président »[3]. Le juge Rehnquist ajouta que « l’affaire est « politique » car elle étend les conditions dans lesquelles le Congrès serait autorisé à nier le pouvoir du Président »[4].
Les relations internationales constituent un domaine dans lequel le juge n’est pas à son aise, ce qui le conduit à considérer avec prudence les affaires dans lesquelles sont impliquées des puissances souveraines étrangères. À cet égard une autre doctrine existe : celle de l’Act of State.
Le cas de l’Act of State
La doctrine de l’Act of State apparaît dans la jurisprudence américaine peu après Marbury v. Madison. Dans l’arrêt Hudson v. Guestier[5] rendu en 1808, le Chief Justice Marshall évoque « une règle spéciale de décision et non une abstention »[6]. En effet la doctrine de l’Act of state ne rend pas à proprement parler l’affaire « injugeable » mais la retire simplement des mains du pouvoir judiciaire.
Le plus célèbre arrêt dans lequel la doctrine de l’Act of State a été mise en œuvre est sûrement Banco Nacional de Cuba v. Sabbatino[7], rendu en 1964.
Banco Nacional de Cuba v. Sabbatino
En juillet 1960, le gouvernement cubain a répliqué aux mesures prises par les États-Unis contre le régime de Castro. Tous les ressortissants et les sociétés américains ont été expulsés du territoire. Parmi ces sociétés se trouvait la C.A.V, important producteur de sucre. Après que la société a quitté l’île, son activité commerciale a été reprise par l’État cubain. Seulement, un de ses client a continué de payer le représentant de la C.A.V – M. Sabbatino – en lieu et place de la Banque nationale cubaine. Aussi, le gouvernement cubain a engagé des poursuites contre les différentes parties devant un tribunal américain en paiement du sucre exporté. La C.A.V. et son client ont demandé l’inapplication de la doctrine de l’Act of State, en pensant que le jugement d’un tribunal américain leur serait plus favorable. Pour eux, la doctrine ne pouvait être appliquée car, d’abord, elle ne pouvait être mise en œuvre que sur la demande expresse du Département d’État, et ensuite, l’acte cubain d’expropriation violait le droit international et, enfin, en saisissant le juge américain Cuba avait abandonné son immunité.
En raison de son caractère très technique et sensible, l’affaire échut devant la Cour suprême. Les juges de Washington s’appliquèrent à contredire toute l’argumentation des défenseurs, en jugeant que l’application de la doctrine de l’Act of State ne requière pas l’intervention du pouvoir exécutif, que l’argument de violation du droit international ne serait être retenu en l’absence d’un consensus clair sur les expropriations pratiquées par un État souverain sur son territoire. La Cour rejetta l’argument tendant à considérer que Cuba avait renoncé à son immunité en sollicitant le juge américain, de la même manière que les États-Unis peuvent revendiquer leur capacité à poursuivre sans pouvoir être poursuivis. Ainsi la Cour suprême confirma l’applicabilité de la doctrine de l’Act of State et a renonça à trancher le litige.
Deux doctrines n’en formant qu’une seule ?
Certains juges de la Cour suprême, comme le juge Taney ou le juge Powell, ont considéré que les doctrines de l’Act of State et de la Political question étaient en réalité deux facettes d’un même problème. En effet, toutes deux sont sous-jacente à la Constitution et ont vocation à permettre un exercice paisible et sans interférences des trois pouvoirs. Finalement, il apparaît que l’Act of State serait le pendant extérieur de la Political question en matière d’affaires étrangères. Mais les questions considérées comme étant politiques sont nombreuses et aussi variées que le découpage des circonscriptions électorales, l’Impeachment ou encore l’établissement de contrats militaires avec des sociétés privées.
Alexis ANTOIS
[1] Marbury v. Madison, 5 U.S. 137 (1803).
[2] Goldwater v. Carter, 444 U.S. 996 (1979).
[3] Goldwater v. Carter, op. cit., traduction de l’auteur.
[4] Ibid.
[5] Hudson v. Guestier, 8 U.S. 293 (1808)
[6] Hudson v. Guestier, op. cit., traduction de l’auteur.
[7] Banco Nacional de Cuba v. Sabbatino, 376 U.S. 398 (1964).