La politique de vaccination obligatoire à l’épreuve du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a rappelé par un arrêt en date du 8 février 2017 l’étendue de l’office du juge administratif dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir (REP) exercé en matière de droit de la santé.

La politique française de vaccination obligatoire

La loi française impose une obligation de vaccination pour les enfants de moins de 18 mois. Aux termes des articles L. 3111-2 et L. 3111-3 du code de la santé publique (CSP), les responsables légaux des mineurs ont l’obligation de faire vacciner leurs enfants pour seulement trois vaccins : la vaccination antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique (DTP)[1].

Cependant, tous les vaccins produits par les laboratoires pharmaceutiques à ce jour contiennent d’autres éléments tels que la coqueluche, l’haemophilus ou bien encore l’hépatite B.

Il existe par ailleurs une grande méfiance[2] en France par rapport aux vaccins (notamment due aux scandales sanitaires relatifs à l’hépatite B due aux scandales sanitaires relatifs à l’hépatite B, ou encore une application immodérée du principe de précaution lors de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1. La situation est pourtant paradoxale dans le sens où la France est un des rares pays à avoir une politique de vaccination obligatoire conjuguée à un des taux de vaccination les plus faibles d’Europe.

Une réflexion citoyenne sur la vaccination a été entreprise afin de rétablir la confiance des usagers du système de santé. Le 12 janvier 2016, la ministre de la santé, Marisol Touraine,  a rendu en ce sens un plan d’action pour la rénovation de la politique vaccinale dont le troisième axe vise notamment à « assurer un meilleur approvisionnement et à lutter contre les pénuries de vaccins[3]. ». A l’issue de cette concertation, le rapport[4] rendu par le comité d’orientation a soulevé dans ses recommandations la nécessité pour la politique de vaccination d’être à terme non-obligatoire. Néanmoins, il recommande à court terme un élargissement de l’obligation vaccinale avec clause d’exemption pour les parents souhaitant s’y soustraire.

La sanction judiciaire de la politique française de vaccination obligatoire

En l’espèce, les requérants réunis par une action de groupe formée par l’Institut pour la Protection de la Santé Naturelle demandent au ministre de la santé de prendre les mesures nécessaires à rendre disponibles des vaccins contenant seulement les obligations prévues aux articles L. 3111-2 et L. 3111-3 CSP.

Ils invoquent alors l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de refus du ministre de la santé de prendre de telles mesures. Liés par une situation de fait (l’absence de vaccins strictement DTP) et de droit (l’obligation vaccinale), les requérants soulèvent le fait que, de facto, les parents se voient dans une obligation légale d’appliquer des vaccins dont ils ne peuvent consentir librement pour leurs enfants. Ils décident alors d’agir dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir (REP) porté à l’encontre du silence gardé par l’administration sollicitée afin de rendre disponibles de tels vaccins.

Pour donner droit aux requérants, le Conseil d’Etat soulève que les titulaires des autorisations de mise sur le marché (AMM) qui leur permet de produire lesdits vaccins doivent prévoir en vertu des articles L. 5121-31 et L. 5121-32 CSP, un plan de gestion des pénuries. De plus, la haute juridiction relève que le ministre de la santé ne pouvait « se borner à « rappeler les laboratoires à leurs obligations » en refusant, par sa décision du 12 février 2016, de faire usage des pouvoirs qu’il détient en vue d’assurer la mise à disposition du public des vaccins. ». L’administration aurait pu alors user de son pouvoir de sanction à l’encontre des laboratoires ne respectant pas leur obligation de gestion des pénuries. Pour ce seul motif, le Conseil d’Etat décide d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus du ministre.

Des considérations en droit médical sous-jacentes

En droit médical, le consentement libre et éclairé à l’acte est la garantie du respect de la dignité du patient. Il trouve une assise juridique particulièrement forte[5] dans le fait qu’il se fonde sur la notion de dignité humaine. Celle-ci trouve sa valeur constitutionnelle (Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994) dans le fait qu’elle protège l’atteinte à l’intégrité du corps humain. En ce sens, la vaccination non consentie relèverait d’un acte invasif pouvant porter atteinte à l’intégrité du corps humain qui est protégé par les dispositions du droit de la bioéthique.

L’obligation vaccinale constitue par ailleurs une atteinte rare et exceptionnelle à la liberté fondamentale du consentement libre et éclairé. Il est à noter que les recommandations du conseil d’orientation portent également sur l’information à donner aux patients en matière de vaccination, et notamment des risques réels ou supposés qu’elle comporte. Le droit à l’information est en droit médical le préalable nécessaire au consentement libre et éclairé du patient[6].

Même si elle trouve sa justification dans un objectif de santé publique[7], la France reste sur le sujet de la politique de vaccination en décalage par rapport à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[8]. Cette dernière a en effet déjà jugé qu’un traitement médical non volontaire, tel qu’une vaccination obligatoire, constitue «une ingérence injustifiée dans le droit à l’intégrité physique et morale d’une personne ». Enfin, la CEDH[9] contrôle la proportionnalité de cette l’ingérence  au regard de la protection de la santé publique et individuelle du patient qui relèvent du respect de la vie privée de l’article 8 de la convention. Le motif de santé publique reste un argument toutefois encore largement utilisé par les différentes juridictions.  La commission européenne des droits de l’homme avait ainsi pu admettre qu’ une campagne de vaccination obligeant les patients à « s’incliner devant l’ intérêt général et ne pas mettre en péril la santé de ses semblables lorsque sa vie n’est pas en danger. »[10] ne dépassait pas la marge d’appréciation laissée aux Etats. Le conseil constitutionnel[11] a quand à lui rappelé que l’obligation vaccinale n’enfreignait pas le droit à la protection de la santé[12] et répondait à un objectif d’éradication des maladies contagieuses.

Le pouvoir d’injonction du juge administratif en droit de la santé

La possibilité pour les citoyens de saisir le juge en matière de droit de la santé s’est progressivement améliorée. Dans l’arrêt du 8 février 2017, le juge a ainsi été saisi dans le cadre de l’article 184 de la loi santé[13]. Cette opportunité offre alors un large accès au prétoire pour les usagers en matière de santé sachant que le REP les exempte de l’obligation de se faire assister par un avocat.

Originellement reconnu comme le garant de la protection objective des administrés, le juge administratif s’est peu à peu arrogé la possibilité de protéger les citoyens en autorisant des recours davantage subjectifs. Cette évolution est notamment à l’origine de la disparition progressive de la théorie de la voie de fait[14]. Autrefois, les requérants auraient porté un recours devant le juge judiciaire en vertu de l’article 66 de la constitution pour dénoncer une atteinte disproportionnée à leur liberté individuelle, celle de pouvoir consentir de manière libre et éclairée à un acte médical. Une pareille hypothèse n’aurait sûrement pas donné suite considérant l’interprétation restrictive du domaine des libertés individuelles par le conseil constitutionnel.

L’atténuation de la portée de cette théorie a pu s’effectuer notamment par l’avènement de la loi du 8 février 1995 et de celle du 30 juin 2001 relative aux procédures de référé. Toutes deux offrent au juge administratif des pouvoirs élargis en matière d’exécution de la chose jugée.

En l’espèce, les requérants ont pu saisir le juge administratif à titre principal pour l’annulation d’un REP et à titre accessoire pour enjoindre l’administration de prendre les mesures critiquées au grief. En matière d’autorisation sanitaire, la technique de l’injonction jointe au REP a déjà pu être utilisée par exemple pour permettre l’installation d’un IRM[15].

La pratique judiciaire utilise également des annulations « en tant que ne pas » pour obtenir une meilleure exécution de la chose jugée. En matière de santé publique, le juge administratif a ainsi pu décider que l’annulation d’une décision du directeur général de l’AFSSPA (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) soit modulée dans le temps[16] afin d’éviter toute rupture d’approvisionnement en plasma thérapeutique[17].

La modulation dans le temps des effets de la décision du juge administratif dans le cadre de ses pouvoirs d’injonction n’est pas sans rappeler l’esprit des décisions d’incompétences négatives du conseil constitutionnel. Il est à remarquer ainsi l’utilisation de la formulation bien connue du conseil constitutionnel lorsqu’il soulève une incompétence négative du législateur « en l’état de la législation ». Ici, l’injonction du juge administratif s’opère notamment par rapport au fait qu’au vu de la situation législative, le ministre doit prendre des mesures destinées à rétablir les lacunes en matière de vaccination des administrés.

Si certains auteurs n’hésitent pas à parler d’ « obligation de légiférer[18] » lorsque le conseil constitutionnel soulève ces incompétences, force est de constater qu’ici, le Conseil d’Etat soulève dans sa décision les lacunes de la législation en matière de vaccination obligatoire ; et ce, par truchement de ses pouvoirs d’injonction face à l’administration défaillante. La haute juridiction affirme ainsi que « L’annulation de la décision attaquée implique nécessairement que, si la situation (…) perdure et à défaut d’élargissement par la loi de l’étendue des obligations vaccinales, le ministre chargé de la santé prenne des mesures ou saisisse les autorités compétentes en vue de l’adoption de mesures destinées à permettre la disponibilité de vaccins correspondant aux seules obligations (…) prévues aux articles L. 3111-2 et L. 3111-3 du code de la santé publique. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de lui enjoindre de prendre ces mesures dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. »

Ainsi, par l’arrêt du 8 février 2017, le Conseil d’Etat sanctionne la politique française actuelle des vaccinations obligatoires. En décalage par rapport à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne, Le ministère de la santé infléchit désormais sa stratégie. Passant d’une vision coercitive de la mise en œuvre des vaccins obligatoires à une approche participative et citoyenne, l’objectif est désormais d’assurer une plus grande information du public sur l’importance des vaccins tant sur le plan de la santé individuelle que collective.

Timothée VACCARO

POUR EN SAVOIR PLUS

BÉLANGER (Michel), DUGUET (Anne-Marie), dir., Droit, éthique et vaccination. L’obligation vaccinale en question, Bordeaux, LEH Édition, 2005 (v. numérique 2013), Ouvrages généraux.

BAYLET (René), « Vaccination et santé publique », RGDM, n° 16, 2005, p. 23-34.

 

[1] Arrêté du 28 février 1952 relatif aux obligations des médecins chargés des vaccinations antidiphtérique-antitétanique et antityphoparatyphoïdique et des examens médicaux préalables ainsi que l’arrêté du 19 mars 1965 RELATIF A LA VACCINATION ANTIPOLIOMYELITIQUE OBLIGATOIRE.

[2] BENKIMOUN Paul., Quatre Français sur dix estiment que les vaccins ne sont pas sûrs. Le Monde 09/09/2016

[3] Source

[4] Comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, rapport sur la vaccination, 30 novembre 2016

[5] Art. L.1111-4 CSP ; R.4127-36 CSP qui est la transcription des dispositions du code de déontologie médicale.

[6] Art. L. 1111-2 CSP

[7] Conseil d’Etat, 1 / 2 SSR, 26 novembre 2001, N° 222741

[8] CEDH 9 juill. 2002, Salvetti c.Italie , req. n° 42197/98. La Cour considère

[9] Affaire Boffa c. Saint-Marin (Ibid)

[10] Com. EDH, 15 janvier 1998, Boffa c. Saint-Marin, (irrecev.), n° 26536/95, non publié.

[11] Cons.const. 20 mars 2015, n°2015-458 QPC, Epx L.

[12] Alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 « Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. (…) »

[13] LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

[14] Voire en l’espèce T. confl. 17 juin 2013, Bergoend, n° C 3911

[15] TA Paris, 4 avr. 2000, SCM Radio des docteurs Hovasse Gignier Lasry Pernes et Convard – Clinique chirurgicale d’Antony, req. n° 9803355/6 et 9908353/6)

[16] Voire en ce sens CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC !, n°255886

[17] CE 23 juillet 2014, Société Octapharma France, n°349717

 

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