Qui perd gagne ?

 


 

Le contentieux des marchés publics connaît depuis quelques années un remous digne des grandes marées. Après le tsunami « Société Tropic Travaux Signalisation », 16 Juillet 2007 CE Ass, c’est presque un siècle de considérants ciselés que le Conseil d’Etat se devait de revoir, épousseter ou balayer. L’arrêt du Conseil d’Etat du 8 Février 20101« Commune de la Rochelle » se situe dans la lignée de ce grand nettoyage de printemps.

 

 



 

Rien ne le destinait à être publié au Recueil Lebon. Rien, si ce n’est ce coup de massue que les magistrats du Palais royal souhaitaient asséner une fois pour toutes, réitérant une solution pour le moins intéressante.

 

En guise de préliminaires, le concurrent irrégulièrement évincé d’une procédure de marché public est recevable à présenter devant le juge administratif des conclusions tendant à l’annulation du contrat, le cas échéant assorties de demandes indemnitaires, ou tout simplement d’engager une action en responsabilité pour faute contre l’administration.

 

Procéduralement, le juge saisi de telles conclusions, dans l’exercice du seul contrôle restreint sanctionnant l’erreur manifeste d’appréciation, doit prendre en compte, non pas les références des candidats, mais doit se baser « exclusivement sur la valeur intrinsèque des offres » présentées : seule ces offres doivent être prises en compte par la Commission d’Appel d’Offres dont la décision est contrôlée par le Conseil d’Etat.

 

Il est constant2 que le candidat irrégulièrement évincé d’un marché public entaché d’un vice et qui possédait une chance sérieuse de le remporter a droit au remboursement de l’intégralité du manque à gagner qu’il aurait perçu en en devenant l’attributaire.

 

Premier point intéressant : le candidat à droit du fait de la perte d’une chance au remboursement intégral du manque à gagner.

 

La Cour de Cassation proclame ainsi : « La réparation du préjudice consistant dans la perte d’une chance doit être mesurée à la valeur de la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée »3. Le Conseil d’Etat de renchérir : « l’indemnisation doit être évaluée à la fraction du dommage imputable à la perte de chance »4.

 

 

Conseil d'Etat

 

 

Ces solutions se comprennent aisément en prenant en compte l’incertitude de succès de la tentative, incertitude toute empreinte d’aléa. De manière tautologique, l’incertitude rend le résultat incertain, donc non indemnisable : « l’aléa chasse la lésion »

 

Le préjudice résultant de la perte d’une chance ne se confond ni avec la perte certaine du résultat (le damnum emergens) ni avec le gain manqué (lucrum cessans).

 

C’est donc bien le régime de la réparation du préjudice matériel, caché sous le masque de la qualification de perte de chance, que le Conseil d’Etat met en place au bénéfice du candidat irréguliérement évincé.

 

Sur sa lancée, le Conseil précise également le régime d’indemnisation : sont indemnisés « les frais de présentation de l’offre », mais pas « les frais généraux de l’entreprise affectés à ce marché », indemnisation qui doit être déterminée « non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché ». Ce sont des alambics que nous offrent les magistrats suprêmes.

 

Comment différencier « les frais de présentation » et les « frais généraux » liés au marché ? S’il est incontestable que les frais postaux entrent dans la première catégorie, quid des frais d’étude réalisée en interne par des salariés ?

Et le candidat malheureux a tout de même de quoi se réjouir : il sera indemnisé du bénéfice net, tout comme s’il avait remporté, donc exécuté le marché, sans supporter en retour les aléas d’exécution : retards, malfaçons, et tous ces termes barbares des travaux publics qui réduisent d’autant le bénéfice de l’entreprise.

 

Quand les juges disent « noir » pour juger « blanc », les étudiants publicistes n’ont plus qu’à brûler leur GAJA.

 

 

Hicham Rassafi

 

 

Notes

 

[1] « Commune de la Rochelle », 8 Janvier 2010, CE 7éme et 2éme sous sections réunies, n°3140756, publié au Lebon (PESP)

 

[2] « Commune d’Amiens »,  CE, 27 Janvier 2006, n°259374 (PESP)

 

[3] Cass. Com 7 Janvier 2004, n° 01-17.426

 

[4] « TELLE » et « AP-HP » CE Sect., 5 Janvier 2000.


 

 

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