Retour sur le mécanisme français de l’action de groupe et sur son évolution éventuelle en droit financier

La loi Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014[1] a introduit en France l’action de groupe en droit de la consommation, mécanisme aujourd’hui codifié à l’article L. 423-1 du Code de la consommation. L’action de groupe, également connue sous le nom de recours collectif ou encore de class action, permet à un groupe d’individus ayant un intérêt commun de se regrouper, pour faire cesser des pratiques illégales dont ils ont été victimes, ou pour obtenir une indemnité consécutive à un préjudice subi.

L’adoption de cette procédure en France résulte d’un long cheminement, notamment européen. En effet, dès le mois de juin 2013, la Commission européenne avait émis une recommandation visant à encourager les États membres à adopter un système national de recours collectif[2] – étant précisé que cette recommandation visait à promouvoir un système d’action uniformisé et « calqué » sur le système nord-américain, ainsi que d’élaguer les dérives observées incidemment telles que les recours abusifs.

Seules des entités à but non lucratif sont autorisées à défendre les consommateurs. Aussi, l’action de groupe peut consister en une action en cessation dans le but de faire cesser les violations des droits des consommateurs, et en une action en réparation lorsqu’une pratique illicite a causé des dommages à plusieurs consommateurs. Ces entités, chargées de la défense des consommateurs, ne peuvent défendre que les victimes désirant s’inclure à l’action de groupe.

À noter que ces entités ne peuvent pas demander d’honoraires de résultat en cas de dénouement favorable. Par ailleurs, la Commission européenne préconise d’éviter toute allocation de dommages-intérêts à titre punitif.

Avant d’envisager l’action de groupe en France, il convient de faire un détour par les autres États membres de l’Union européenne, et surtout du côté de la « mère-patrie » de l’action de groupe, les États-Unis.

En Europe

De nombreux pays ont adopté un mécanisme de recours en cessation, lequel consiste en une demande en vue de faire cesser les violations des droits des consommateurs. Toutefois, une minorité d’États, tels que la Suède ou l’Italie, ont adopté un système d’action de groupe en réparation, applicable lorsqu’une pratique illicite a causé des dommages à plusieurs consommateurs.

En Italie par exemple, l’action de groupe est en vigueur depuis le 1er janvier 2010. Son champ d’application est limité, à l’instar de la France, au droit de la consommation. Il s’agit d’un choix par chacun des consommateurs d’agir en justice contre les pratiques d’une entreprise : en cela, la class action italienne se distingue de son homologue américain, où chaque personne pouvant être concernée peut recevoir les dommages et intérêts sans avoir été personnellement partie à l’action. Quelques actions ont été menées depuis 2010, mais peu ont abouti à un résultat positif. À titre d’illustration, lors d’une action menée par une quarantaine de personnes contre un tour-opérateur italien, seulement 11 plaignants se sont vus reconnaître un préjudice par les juridictions napolitaines.

Aux États-Unis

Comparé à la France, le système de class action aux États-Unis ne connaît quasiment aucune limite, et fait preuve d’une efficacité concrète, dans le sens où ils admettent une sanction punitive en sus des dommages et intérêts.

L’affaire Videndi, au début des années 2000, en est un bon exemple. En l’espèce, de nombreux actionnaires, résidents des États-Unis mais également de France, de Grande-Bretagne ou des Pays-Bas, ont pu obtenir une indemnisation des pertes subies par leurs actions, suite à la dissimulation de la part des dirigeants du groupe des difficultés de l’entreprise.

Pour rappel, des actionnaires français de la société – de droit français – Videndi, cotée à la bourse de New York, ayant acquis ou cédé leurs titres entre 2000 et 2002, estimaient qu’il y avait eu une violation du droit boursier américain, outre la dissimulation alléguée de la situation financière de la société, leur causant alors un préjudice financier. Une class action a ainsi été engagée le 18 juillet 2002 devant les juridictions nord-américaines.

La société Videndi, estimant que la class action engagée aux États-Unis avait un caractère abusif, a introduit une instance devant les juridictions françaises. Néanmoins, dans un arrêt du 28 avril 2010, la Cour d’appel de Paris a estimé que les actionnaires français pouvaient débuter une class action devant les tribunaux américains[3].

Des actions similaires ont été entreprises en France, mais celles-ci ne peuvent parvenir à un résultat de même efficacité qu’une class action américaine. Dans une telle situation, le droit français a pour but d’indemniser, si possible, d’une partie des pertes, les actionnaires, mais également de reconnaître la responsabilité de la société et de son dirigeant.

En France, les suites de l’adoption de la loi Hamon

Dans les jours suivant l’entrée en vigueur de la loi Hamon, quelques actions de groupe ont été engagées en France – telle que UFC Que Choisir contre Foncia, ou encore CLCV contre AXA. Toutefois, cet engouement n’a que peu duré : moins d’une dizaine d’actions ont été intentées en France depuis un an. De plus, la crainte financière des entreprises face à ces actions n’est que relative, puisqu’il ne peut y avoir de dommages-intérêts punitifs, et seule la répercussion médiatique de ces actions pourrait causer un véritable trouble à l’entreprise mise en cause dans l’action.

À noter qu’il est désormais envisagé d’étendre l’action de groupe aux domaines de la santé[4] et de l’environnement. De plus, une proposition de loi instaurant un recours collectif en justice en cas de discrimination a été votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 10 juin 2015[5], afin de permettre à des personnes victimes de discriminations de la part d’un même auteur de le poursuivre en justice collectivement. Toutefois, à l’instar de l’action de groupe en droit de la consommation, seules les associations de lutte contre les discriminations – et les organisations syndicales représentatives – pourront démarrer un tel recours.

Le reproche principal à l’encontre de l’action de groupe française est qu’elle permet seulement la réparation du dommage, et non la punition de celui-ci. C’est, par ailleurs, sur ce point, que l’action collective serait intéressante, dans le sens où cette dernière permettrait de réparer le dommage matériel mais également le dommage moral. De plus, il convient qu’une entité prenne la décision d’intenter une telle action, ce qu’elle peut souverainement décider de ne pas faire si trop peu de personnes ont subi un préjudice – en raison du fait que ces actions sont très couteuses et n’ont pas systématiquement une issue en leur faveur.

Si à l’heure actuelle, l’action de groupe à la française ne concerne que le droit de la consommation, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour étendre l’action de groupe aux matières bancaires et boursières.

Il convient tout d’abord de rappeler que la loi autorise des associations d’actionnaires ou d’investisseurs à assurer collectivement la défense des intérêts individuels de leurs membres, aux termes des dispositions prévues aux articles L. 225-120 du Code de commerce et L. 452-2 du Code monétaire et financier.

En effet, l’article L. 225-120 du Code de commerce prévoit que « les actionnaires justifiant d’une inscription nominative depuis au moins deux ans et détenant ensemble au moins 5% des droits de vote peuvent se regrouper en associations destinées à représenter leurs intérêts au sein de la société ». De même, l’article L. 452-2 du Code monétaire et financier dispose que « lorsque plusieurs personnes physiques, identifiées en leur qualité d’investisseur, ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d’une même personne et qui ont une origine commune, toute association (…) peut, si elle a été mandatée par au moins deux des investisseurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction, au nom de ces investisseurs ».

Ainsi, le droit français prévoit qu’en matière de droit financier, les actionnaires puissent se regrouper pour exercer ensemble une action en justice, dès lors qu’ils s’estiment victimes d’un même fait ou d’une même personne. Mais il n’existe pas, à proprement parler, de class actions généralisées en droit financier français. Lorsqu’il était directeur de l’Autorité des marchés financiers, Monsieur Jean-Pierre Jouyet a plaidé pour la création d’une action de groupe en matière bancaire et financière au motif qu’il n’y avait pas lieu de créer une différence entre les victimes des infractions en la matière et les autres victimes.

De fait, l’affaire Benefic, relative à une commercialisation par la Poste d’un fonds à formule auprès de plus de 300 000 épargnants, n’a donné lieu qu’à 94 procès civils et deux procédures pénales, malgré un manquement avéré de l’entreprise à ses obligations. Cet échec procédural est la conséquence d’une absence de procédure d’action de groupe, laquelle a dissuadé les épargnants d’agir en justice.

La situation est telle que les épargnants, victimes d’un même préjudice, peuvent seulement engager des actions à l’étranger, dès lors que la société responsable est cotée et que le pays prévoit la possibilité d’engager de telles procédures[6].

Si de nombreux actionnaires minoritaires pensent qu’une procédure d’action de groupe en matière financière et boursière serait dissuasive puisque la responsabilité des dirigeants des sociétés incriminés pourrait être engagée, les représentants des entreprises, en revanche, estiment que les actions existantes permettent déjà d’assurer une certaine protection aux actionnaires et épargnants.

De même, selon Madame Véronique Magnier[7], professeur de droit privé à l’Université Paris XI, une action de groupe en droit financier devrait seulement concerner la faute commise par les dirigeants sociaux portant atteinte à un droit de l’actionnaire – tel que, par exemple, un manquement à l’obligation d’information. De plus, d’autres détracteurs, tels que les représentants de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris et le MEDEF, ont pu souligner le paradoxe de l’hypothèse dans laquelle les épargnants ou les actionnaires reçoivent une indemnisation au terme d’un procès faisant droit à leurs demande. En effet, une telle indemnisation est susceptible de dégrader la situation financière de l’entreprise en question – dégradation qui, paradoxalement, peut porter un plus grand préjudice financier aux mêmes épargnants et actionnaires.

Des propositions ont ainsi été émises par un groupe de travail au Sénat[8]. Pour accorder une action de groupe en matière de droit financier, il faudrait tout d’abord s’assurer d’établir un contrôle de la part de l’Autorité des marchés financiers, afin de limiter les dérives que peut connaître l’action de groupe à l’étranger.

De plus, il serait envisagé que les actions de groupe concernent précisément les infractions boursières portant atteinte à la transparence des marchés et définies aux articles L. 465-1 et L. 465-2 du Code monétaire et financier, c’est-à-dire : le délit d’initié, le délit de communication d’informations privilégiées, le délit de diffusion de fausses informations et le délit de manipulation des cours et d’entrave au libre établissement des cours. Pourraient éventuellement s’ajouter les manquements commis au titre de la commercialisation des produits financiers.

Enfin, selon ledit rapport d’information du Sénat, les litiges opposant un épargnant à son établissement bancaire ou financier – intéressant, par exemple, le crédit bancaire ou le droit au compte – pourraient être entendus au sens large du droit de la consommation.

Actuellement, l’action de groupe en France n’en est qu’à ses prémices, de telle sorte qu’il convient d’observer les résultats des premières actions avant de pouvoir envisager une modification des règles mises en place. L’affaire Volkswaggen, ayant des conséquences internationales, peut à ce titre être une opportunité de comparer les actions intentées dans les différents pays, pour analyser quel système est le plus protecteur des consommateurs.

Charlotte Poilliot

[1] L. « Hamon » n° 20144-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, JO 18 mars 2014, p. 5400.

[2] Recomm. de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union, JOUE L 201 du 26 juill. 2013.

[3] Paris, 28 avr. 2010, n° 10/01643.

[4] Projet de l. n° 2014-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

[5] AN, Compte rendu intégral de la séance du 10 juin 2015, disponible sur < http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015/20150257.asp#P551284 >

[6] Par ex., l’affaire Vivendi évoquée précédemment.

[7] V. Magnier, Les class action d’investisseurs en produits financiers, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p. 33.

[8] L. Béteille et R. Yung, L’action de groupe à la française : parachever la protection des consommateurs, Rapp. n° 499, 26 mai 2010.

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