Santé publique ou liberté d’expression : laquelle doit primer ?

 

 


 

 

Une loi interne protectrice de la santé publique peut-elle primer sur un droit fondamental comme la liberté d’expression ? La Cour européenne des Droits de l’Homme a tranché cette question dans un arrêt récent du 5 mars 2009.

 


 

 

Deux grandes sociétés d’édition françaises avaient été condamnées par les tribunaux français pour avoir publié dans certains de leurs magazines, des photos du pilote de Formule 1 Michael Schumacher, arborant un logo de marque de cigarettes.

 

Les deux sociétés furent condamnées à des amendes, en application de l’article L.3511-3 du code de la santé publique qui interdit toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac « quelle qu’en soit la finalité, dès lors que cette publicité a pour effet de rappeler les marques de tabac ».

 

L’affaire a été portée devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, garante du respect des droits fondamentaux exprimés dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Selon les deux maisons d’édition, la sévérité de la réglementation sur la publicité relative au tabac portait atteinte à leur liberté d’expression et constituait, d’autre part, une discrimination puisque cette même réglementation ne s’applique pas à certaines retransmissions télévisées.

 

 

 

Les juges européens ont écarté les prétentions des plaignants, jugeant que « des considérations primordiales de santé publique (…) peuvent primer sur des impératifs économiques et même sur certains droits fondamentaux tels que la liberté d’expression »

 

Et cela d’autant plus que les magazines en infraction s’adressaient au grand public et notamment aux jeunes « particulièrement sensibles à la réussite sportive et financière ».

 

La Cour a considéré que la réglementation française relative au tabac s’inscrit dans « une stratégie plus globale de lutte contre le fléau social du tabagisme ». Cette lutte justifie, selon la Cour, que puisse être portée atteinte à un droit fondamental comme la liberté d’expression.

 

Concernant la discrimination entre les différents supports médiatiques, les juges européens ont validé la différence de traitement opérée par la loi française. En effet, cette dernière tolère que les médias audiovisuels retransmettent les compétitions de sports mécaniques sans cacher les marques de tabac dès lors que la retransmission est en direct.

 

La CEDH a justifié cette réglementation particulière en affirmant que, contrairement aux médias télévisés, qui n’ont pas les moyens techniques pour dissimuler les marques en temps réel, « les médias écrits disposent du temps et des facilités techniques nécessaires pour modifier l’image et rendre flous les logos rappelant les produits du tabac. »

 

Cet arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme fait écho à la jurisprudence française qui a toujours refusé de distinguer entre un discours commercial et un discours informatif, et qui a condamné les organes de presse publicateurs de photographies où la marque de tabac est associée à un sportif ou une compétition.

 

Les juges européens confirment, à travers cet arrêt, qu’il peut être porté atteinte à des droits fondamentaux dés lors que rentrent en jeu des considérations supérieures, propres aux circonstances particulières du cas d’espèce et étudiées in concreto, telles que la protection de la santé publique.

 

Cet arrêt s’inscrit dans une ligne de jurisprudence constante de la Cour de Strasbourg, (c’est une jurisprudence constante depuis la loi Evin !!)et confirme la primauté accordée à la lutte contre le tabac, au grand désarroi des directeurs de publication qui, plus que jamais, vont devoir redoubler de vigilance…

 

 

Florian Saguez


 

Pour en savoir plus :

Tabac et CEDH : Dura lex, Sed lex ? Par Olivier Louis Seguy

 

F. Caballero, « Tabac, alcool et parrainage sportif », Rev. Jur. Eco. Sport 1992, n°20, p.25

 

Cass. Crim. 18 mars 2003, Bull. crim, n°72

 

 

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