Une remise en cause de l’accouchement sous X par un arrêt récent de la Cour d’appel d’Angers

 


 

La loi du 8 janvier 1993 a introduit dans le code civil un article 326 qui dispose que « lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservés ». Cette disposition législative est à l’origine d’un débat ayant donné lieu aux conclusions d’une mission parlementaire, qui, remises fin janvier au Premier ministre, ont préconisé la suppression de « l’accouchement dans l’anonymat ». L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Angers le 26 janvier 2011 revient sur la question.

 


 

Cet article 326 du Code civil prive l’enfant d’une possible recherche en maternité légitime, l’empêchant alors de retrouver ses origines. La loi « Royal » du 22 janvier 2002 vient quelque peu tempérer cette impossibilité en instituant un Conseil national pour la recherche des origines personnelles, mais tout en maintenant le statut de l’accouchement secret. La réelle innovation est donc la possibilité pour la femme qui accouche de laisser sous pli fermé son identité avec des éléments supplémentaires qui ne sont pas identifiants.

 

Il faut noter que l’abandon initial de l’enfant demeure provisoire pendant deux mois. Durant cette période, la mère peut revenir sur sa décision et reconnaître l’enfant. Passé ce délai, l’enfant est considéré  comme pupille de l’Etat et peut alors être proposé à l’adoption.

 

L’arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Angers en date du 26 janvier 2010 illustre tout le processus complexe de l’accouchement sous X. Mais s’il n’est pas le premier à défrayer la chronique, seul son résultat est pour le moins inattendu.

 

I.   Le lien familial irrémédiablement rompu.

 

Ce n’est pas la première fois que la jurisprudence intervient pour se prononcer sur le cas de grands-parents souhaitant obtenir la garde de leur descendant né sous X et donc pupille de l’Etat. Il faut cependant noter qu’à la suite de l’accouchement secret, le lien de filiation entre la mère et l’enfant est dissout. C’est la raison pour laquelle il n’existe aucun lien juridique entre les parents de la mère et l’enfant, et ils n’ont aucune possibilité de s’opposer à l’adoption. C’est donc à ce titre que la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juillet 2009, a rejeté les demandes des grands-parents, désireux de renouer des liens avec leur descendant dont la mère avait mis fin à ses jours. La Haute juridiction a énoncé « qu’aucun lien de filiation n’étant établi du fait de l’accouchement sous X et l’absence de possession d’état, des grands-parents sont juridiquement des tiers par rapport à l’enfant et n’ont pas qualité pour intervenir à l’instance ».

 

On retrouve ce même phénomène concernant le père biologique de l’enfant. En effet, à ce jour aucune action en justice ne permet au père de voir reconnaître valablement ses droits. L’affaire Benjamin a permis d’illustrer cette situation. La Cour d’appel de Nancy énonce dans son arrêt du 23 février 2004 que « la reconnaissance de M. P s’est trouvée privée de toute efficacité du fait de la décision de Mme D d’accoucher sous X et de dissimuler à M. P tous les éléments susceptibles de retrouver l’enfant ». Selon les juges d’appel, admettre le contraire reviendrait à passer outre le droit à l’anonymat souhaité par la mère et que la loi lui reconnaît. Par là-même, comme le souligne la juridiction d’appel de Nancy, « le placement en vue de l’adoption met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine. Il fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ».

 

Ne peut-on pas voir ici de la part de la Cour d’appel une volonté non dissimulée de protéger la famille adoptante ? En effet, les enfants nés sous X entrent dans le processus de l’adoption. Il est donc essentiel que les parents sachent que la procédure dans laquelle ils s’engagent est sans risque pour eux.

 

C’est en cela que l’arrêt récemment rendu par la Cour d’appel d’Angers est semble surprenant.

 

Mais l’est-il réellement ?

 

En effet, la réforme opérée par l’entrée en vigueur de la loi du 16 janvier 2009, modifiant notamment l’ordonnance du 4 juillet 2005, a ouvert une brèche pour les ascendants de l’enfant et surtout ceux issus de la ligne maternelle, grâce notamment à l’action autorisant l’enfant né sous X  d’effectuer une recherche de filiation maternelle.

 

Mais la situation de l’enfant concerné par l’arrêt est tout de même particulière. Car comme nous l’avons noté, l’accouchement sous X suppose le secret total sur ce dernier, et la volonté de cacher l’accouchement doit être totale. Or, la mère avait en l’espèce précédemment autorisé ses parents et particulièrement sa propre mère à voir l’enfant à la maternité. Le voile avait été levé, ce qui fonde certainement un des points qu’ont soulevé les grands-parents pour faire disparaître le statut choisi par leur fille. Cet enfant n’est donc plus un enfant né sous X, mais un enfant né sans filiation établie.

 

Aspirant à se voir reconnaître le statut de tuteur de leur petite-fille, ils ont saisi le juge des référés afin que soit autorisée une étude comparative de sang dans le but d’établir leur lien biologique avec l’enfant. L’expertise accordée par le juge reconnaît le lien biologique des grands-parents et de l’enfant. Néanmoins, le Tribunal de Grande Instance d’Angers n’a pas fait droit à leur demande arguant que le lien biologique n’est pas suffisant et que « l’auteur du recours doit avoir avec l’enfant un lien de droit ou de fait », ce que bien sûr ne possèdent pas les grands-parents biologiques du fait que la maternité de leur fille est inexistante. Pourtant, la Cour d’appel d’Angers est revenue sur la décision de première instance, en faisant droit à la demande des grands-parents biologiques.

 

Ne peut-on pas penser que cette décision rejoint la volonté du législateur de mettre en avant les relations entre l’enfant et ses grands-parents biologiques plutôt que celle entre l’enfant et ses parents adoptifs ? En effet, l’article 371-4 du code civil prévoit expressément le maintien des liens entre les grands-parents et l’enfant. De même, l’article 345-1 du même code va plus loin en énonçant que les grands-parents ont la possibilité de s’opposer à l’adoption plénière de leur descendant.

 

La Cour d’appel par son arrêt a ainsi donné primauté à la famille biologique, sans forcément prendre en considération le lien affectif créé avec la famille d’adoption. Malgré tout, il semble important, pour ces enfants nés sous X de savoir qui leur a donné la vie. Mais n’est-ce pas aller à l’encontre de la volonté de la mère ? Enfin, la juridiction d’appel a t-elle vraiment mesuré le risque que cela représente pour l’enfant ?

 

accouchement-sous-X

 

II.   Le respect du choix de la mère et la protection de l’enfant.

 

En accouchant dans le secret, une femme exprime sa volonté d’abandonner l’enfant, de cacher qu’elle l’a mis au monde. Les juges d’Angers ont pu ainsi considérer que la mère ayant rompu ce secret, son désir d’accoucher sous X n’était peut être pas réel. Et pourtant, elle avait clairement refusé l’hypothèse d’une garde de son enfant par ses grands-parents.

 

Par ailleurs, la loi du 22 janvier 2002 confirme  une préférence pour les intérêts de la mère qui est souvent dans une situation de grande détresse face à une grossesse non désirée ou encore déniée. En effet, il n’est pas rare de noter qu’au moment de l’abandon, la mère ne réalise pas ce qui lui est demandé tant son désarroi est grand. Cet arrêt ne va t-il pas remettre en question cette position du législateur ? Imaginons la situation d’une femme entrée dans un déni de grossesse se retrouvant dans un futur proche où son enfant serait élevé par ses propres parents. Cette situation ne serait-elle pas destructrice ? Les décisions récentes ne nous ont-elles pas montré à quel point le déni de grossesse peut entraîner de graves conséquences pouvant aller jusqu’à l’infanticide ? Renoncer à l’accouchement sous X pourrait conduire la femme apeurée à un avortement tardif, mettant sa vie en jeu, ou encore à un délaissement criminel au sens des articles 227-1 et 227-2 du code pénal. De plus, comment pourrait-elle reconstruire son existence, apaiser sa conscience, en offrant à l’enfant qu’elle n’a pas désiré, une vie, une éducation qu’elle aurait été parfaitement incapable de lui donner, si elle n’est pas à l’abri d’être « découverte » ?

N’était-ce pas donc le rôle de l’Etat que de remédier à la détresse de ces mères qui sont dans l’impossibilité d’assumer leur rôle ?

 

Toutefois dans son arrêt d’appel, la Cour met en avant la Convention de New-York du 20 décembre 1989, à laquelle la France est partie et dont l’article 7 dispose que « Tout enfant, dans la mesure du possible, doit connaître ses parents et être élevé par eux ». Les juges français ont donc rendu leur décision conforme à une convention supranationale à laquelle la France est partie et qu’elle est tenue de respecter, mais  dont la rédaction laisse tout de même une latitude aux Etats signataires. Les juges se sont donc servis de cette liberté et ont interprété cet article 7 de façon à justifier l’arrêt rendu pour privilégier « l’intérêt de l’enfant » et par là même les liens du sang. Cela dit, une interprétation à contrario de l’article 7 était tout aussi possible pour justifier le rejet des prétentions des demandeurs. Il faut donc plutôt se tourner vers le législateur qui devra trouver un juste équilibre entre le maintien d’un secret, qui peut se révéler protecteur pour la mère et l’enfant au moment d’une naissance problématique, et la transcription sans ambiguïté de l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant en droit interne.

 

De plus, et toujours dans l’intérêt de l’enfant, la juridiction d’appel va même plus loin, en annulant son statut de pupille de l’Etat et en confiant donc la garde pleine et entière aux grands-parents biologiques. Or, il s’agit des mêmes personnes dont la mère de naissance considère que le lien biologique qui les unit à son enfant n’est pas suffisant pour l’élever. On est donc en droit de se demander si ce sont réellement les intérêts de l’enfant que l’on a cherché à protéger ou plutôt si l’on a privilégié les liens du sang. On peut également penser que si la Cour s’est appuyée sur la Convention des droits de l’enfant, c’est aussi pour démontrer qu’un des droits fondamentaux de l’enfant est de grandir dans sa famille biologique, d’entretenir avec elle des relations. La filiation légitime serait donc au cœur de l’épanouissement futur de l’enfant, surtout si l’on regarde le combat mené par Melle Odière, née sous X, combattant pour obtenir des informations sur ses origines. Son combat est d’autant plus marquant que par un arrêt de la CEDH du 13 février 2003, la Cour a estimé que la loi française pour l’accouchement ne violait pas les droits de l’homme qui protègent le droit au respect de la vie privée et familiale, ne lui donnant donc que peu d’espoir d’obtenir les réponses qu’elle attend sur ses origines.

Mais pour en terminer avec l’espèce de l’arrêt, l’article 9 de la Convention de New-York précitée énonce que l’enfant a le droit de vivre avec ses parents, de savoir où se trouvent ses parents, sauf si cela est contre son intérêt. Or, la mère de cet enfant s’était clairement opposée à ce que celui-ci vive avec ses grands-parents. Ne peut-on pas penser qu’une décision de justice qui s’oppose à l’opposition claire et absolue d’une mère va à l’encontre des intérêts de son enfant ?

 

Dans ce cas d’espèce, il faut enfin souligner que n’a pas été abordée la situation du père biologique, comme ce fut le cas dans d’autres affaires, comme par exemple dans l’arrêt « Benjamin » rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 7 avril 2006 (Cass. Civ 1er 7 avril 2006 – N° 05-11.285 Bulletin 2006 I N° 195 p. 171). Quid juris donc concernant sa situation ? Pourrait-il se voir lui aussi reconnaître des droits s’il en faisait la demande en s’appuyant lui aussi  sur « l’intérêt de l’enfant » ?

 

Aline Gonzalez

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.