Vers la fin de l’animal objet : une possible réforme du statut juridique de l’animal dans un futur proche en France ?

Depuis le XXIème siècle essentiellement, la question du statut juridique de l’animal suscite le débat en France. Notre Code civil, depuis 1804, confère à l’animal le statut de bien meuble ou immeuble dans certains cas particuliers, le faisant donc appartenir à la catégorie juridique des biens. Nombreux sont désormais ceux qui demandent à ce que ce statut fasse l’objet d’importantes modifications en faveur de l’animal, afin que ce dernier soit distingué clairement de tout bien meuble. L’évolution réclamée concerne notamment la reconnaissance du caractère sensible de l’animal au sein de ce Code. Il semble approprié d’évoquer cette question aujourd’hui, au vu des nombreuses interventions à ce sujet au cours des derniers mois. Notons, cependant, que malgré les nombreuses demandes de modification du statut de l’animal au sein du Code civil, force est de constater que pour le moment aucune modification notable n’a encore été effectuée.

I – L’animal objet : une assimilation dépassée au vu de l’évolution des relations hommes-animaux

L’assimilation de l’animal à un bien meuble et l’intégration de celle-ci dans notre droit interne remonte à 1804. A l’heure actuelle, ce Code fait donc de l’animal un objet de droit, contrairement aux personnes, et ce, malgré les nombreux textes qui visent désormais à le protéger pour lui-même. Rappelons qu’un objet de droit est le bien concerné par les droits et obligations que possède un sujet de droit, une personne. Un objet de droit est ainsi un bien qui ne possède pas la personnalité juridique qu’acquièrent à leur naissance les personnes physiques et qui leur permet de bénéficier d’une importante protection et de droits particuliers.

De nos jours, du fait d’une prise de conscience progressive au sein de la société, l’animal n’est plus considéré seulement comme une simple ressource, un outil au service de l’homme, mais aussi comme un compagnon et un être vivant à part entière, pourtant, son statut juridique reste inchangé. Il est aisé de constater qu’à présent, cette vision de l’animal non humain présente dans le Code civil est en contradiction avec celle du Code rural qui, dans son article L214-1, reconnait que celui-ci est un être sensible[1]. Incompatibilité, pourrait-on dire, également avec le Code pénal qui condamne les individus ayant infligé de mauvais traitements à un animal[2]. Ces dernières dispositions ne s’accordent désormais aucunement avec celles présentes dans notre Code civil et il apparait donc nécessaire, à présent, de mettre en conformité les diverses dispositions régissant le sort de l’animal. Précisons, toutefois, que le Code civil français n’assimile pas l’animal à une simple chaise ou à une table, il le distingue en effet en le nommant expressément, précisant ainsi que « sont meubles par leur nature les animaux et les corps … »[3]. Certains animaux peuvent également être des immeubles dans le cas où ils sont « placés pour le service et l’exploitation [d’un] fonds »[4], il s’agira plus particulièrement d’une exploitation agricole.

La modification des dispositions régissant le sort de l’animal dans le Code civil français pourrait avoir de multiples conséquences sur l’exploitation de l’animal par l’homme si ces modifications écrites étaient également suivies par des changements au niveau des pratiques. Ces conséquences conduiraient à accorder le droit français avec la façon dont est aujourd’hui appréhendé l’animal dans notre société.

Précisons cependant, que malgré son appartenance à la catégorie des biens ayant pour conséquences sa possible appropriation et commercialisation, l’animal fait l’objet d’une certaine protection du fait de son caractère d’être vivant. Ainsi, les attributs du droit de propriété ne peuvent s’exercer de toutes les façons lorsqu’ils concernent l’animal. Ce dernier ne peut être « utilisé » par son propriétaire comme bon lui semble, ne peut être détruit. L’usus et l’abusus se trouvent donc être limités, au profit de l’animal détenu par un individu.

S’agissant des animaux sauvages, ils font l’objet de dispositions particulières au sein du Code civil. Il ne sera pas question ici d’en faire le détail mais il convient de souligner qu’ils font l’objet d’une moindre protection que les autres animaux tout en appartenant également à la catégorie juridique des biens[5].

A ce jour, l’animal reste un bien, un objet de droit, mais cependant un bien « particulier ».

La création, aujourd’hui, d’une toute nouvelle catégorie juridique au sein du Code civil spécialement pour l’animal apparait être peut-être la solution la plus appropriée pour satisfaire le plus possible d’individus se sentant concernés par cette question et être en accord avec la prise de conscience actuelle concernant le sort de l’animal.

 

II- Les possibilités de modifications du statut juridique de l’animal au sein du Code civil

Après la naissance du Code civil, et malgré l’évolution notable des relations hommes-animaux, l’animal reste pourtant en France un objet de droit. La reconnaissance dans le Code civil du caractère sensible de l’animal pourrait permettre d’accroitre la protection dont il bénéficie. Il s’agirait là d’un simple changement qui pourrait être effectué au sein du Code civil pour permettre à l’animal d’être reconnu comme un être vivant à part entière et de le distinguer clairement des autres biens.

Diverses propositions ont été faites depuis plusieurs années afin, notamment, de sortir l’animal de la catégorie des biens. Parmi elles, nous retrouvons entre autre :

-la possibilité de créer une troisième catégorie juridique, à coté de celles regroupant les biens pour l’une et les personnes pour l’autre,

-la possibilité de faire de l’animal un sujet de droit,

-la possibilité de le laisser dans la catégorie des biens mais en tant que bien « particulier » du fait de sa nature d’être vivant.
Nous n’aborderons cependant pas la possibilité de faire de l’animal un sujet de droit car il s’agit d’une possibilité bien trop controversée et dont la mise en œuvre est encore trop peu demandée. Madame Suzanne ANTOINE[6] est l’une des personnes qui a présenté au cours de ces dernières années des solutions de modifications du statut de l’animal en droit français. En 2005 elle a notamment remit un rapport à ce sujet au Garde des Sceaux[7].

Il sera ici mis en avant, notamment, les propositions faites par Madame Antoine dans son rapport et qui se trouvent être parmi les plus connues à ce jour. Ces propositions conduiraient à la mise en place d’une certaine cohérence entre les différents codes régissant le sort des espèces animales.

La première proposition faite par Madame Antoine conduirait à extraire les animaux de la catégorie des biens, ceux-ci seraient cités chacun expressément dans le titre du Livre II du Code civil : « Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété ». Ce titre conduit ainsi à faire la distinction entre les biens et les animaux. Le Titre Ier de ce second Livre serait alors intitulé « Des animaux » et comprendrait l’ensemble des textes régissant le sort de l’animal. Ces textes concerneraient plus particulièrement son appropriation, son usage et la reconnaissance de son caractère d’être sensible conduisant, ainsi, à prendre en considération la souffrance et le bien-être de l’animal. Notons toutefois que cette proposition fait preuve d’un certain spécisme[8] en précisant dans l’article 515-9 qui serait créé spécialement que : « Les animaux dotés d’un système nerveux supérieur, sont des êtres sensibles ». Seuls certains animaux bénéficieraient donc d’une protection accrue avec ces textes, notamment les vertébrés, et, parmi ces derniers, les mammifères.

La seconde proposition évoquée dans le rapport de 2005 conduirait quant à elle à l’intégration, au sein de ce même code, d’une nouvelle catégorie de biens. Les animaux seraient alors considérés comme des « biens protégés » et ne feraient plus partie des biens meubles et immeubles. Cette proposition n’aurait pas pour conséquence l’extraction de l’animal de la catégorie des biens mais permettrait la reconnaissance du caractère d’être sensible de celui-ci. Le Code civil, avec les nouvelles dispositions édictées du fait de cette proposition, serait plus protecteur de l’animal. Le Code préciserait, entre autre, que le droit de propriété serait limité dans le cas où celui-ci concerne l’animal[9], que le bien-être de l’animal devra être assuré par le propriétaire de ce dernier. Enfin, il sera souligné qu’ « ils ne doivent jamais être soumis à des mauvais traitements, à des sévices graves ou à des actes de cruauté », ce qui rappellerait les dispositions du Code pénal et mettrait en avant le fait que les animaux sont des êtres vivants devant être respectés et non de simples biens.

S’agissant de la possibilité de création d’une toute nouvelle catégorie juridique, cela pourrait conduire à l’élaboration d’un Livre VI dans le Code civil. Un sixième livre qui serait consacré à l’animal et en ferait ainsi un être à part entière. Il regrouperait l’ensemble des textes régissant le sort de l’animal et permettrait la mise en place d’une protection accrue de celui-ci car il serait dès lors considéré comme un être vivant à part entière dans notre Code. Ce livre pourrait notamment consacrer les limitations de l’abusus et de l’usus lorsqu’ils portent sur l’animal, le caractère sensible de ce dernier etc.

 

Même s’il est certain qu’il faudra encore attendre quelques années avant qu’une modification majeure du Code civil ne soit opérée et ait des conséquences concrètes sur l’exploitation animale, il est également certain que cette modification aura lieu. Les relations entre les êtres humains et les autres animaux ont évolué de façon significative et ce changement apparait donc à présent nécessaire afin de mettre en conformité les textes juridiques avec les mœurs actuelles et les découvertes scientifiques[10]. D’autre part, la mise en conformité du Code civil avec les autres Codes régissant le sort de l’animal ainsi que les législations étrangères et de l’Union européenne doit également avoir lieu, et le changement du statut juridique de l’animal au sein de notre droit positif s’avère donc indispensable pour y parvenir[11].

 

Emeline BERTHOME DORÉ

Première année de thèse en droit de l’environnement – droit de la santé publique

Pour en savoir plus

–       Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA 1/2009, Le projet de réforme du droit des biens – Vers un nouveau régime juridique de l’animal ? Suzanne ANTOINE, p. 11-20.

–       Revue Pouvoirs n°131 – Les animaux – novembre 2009, Quel droit pour les animaux ? Quel statut juridique pour l’animal ?, Sonia DESMOULIN-CANSELIER, p.43-56.

–       http://www.actu-environnement.com/ae/news/animal-statut-juridique-code-civil-21454.php4 , L’animal doit-il juridiquement rester un bien ?, Laurent RADISSON. Article sur la récente adoption d’un amendement modifiant le Code civil et reconnaissant à l’animal le caractère d’être vivant et sensible.

–       Livre de référence à ce sujet : Les Droits des animaux, Tom REGAN, 2013.

–       Livre également intéressant avec des interviews de trois intellectuels travaillant sur le sujet : Les animaux aussi ont des droits, Boris CYRULNIK (éthologue et neuropsychiatre), Elisabeth DE FONTENAY (philosophe), et Peter SINGER (créateur du mouvement de libération animale).

–       Site internet : Les cahiers antispécistes : de nombreux articles sur l’exploitation animale, son statut juridique, le spécisme etc. http://www.cahiers-antispecistes.org/



[1] Codification des dispositions de l’article 9 de la loi sur la protection de la nature de 1976. Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, JORF 13 juillet 1976.

[2] Articles 521-1 et R654-1 Code pénal

[3] Article 528 du Code civil.

[4] Article 524 Code civil.

[5] Articles 713 et 714 du Code civil.

[6] Suzanne ANTOINE est Docteur en droit, fut Présidente de chambre honoraire de la Cour d’appel de Paris, et trésorière de la Ligue française des droits de l’animal.

[7] Rapport sur le régime juridique de l’animal rédigé par Madame Suzanne ANTOINE, 10 mai 2005. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/054000297/0000.pdf

[8] Discrimination mais en fonction des espèces.

[9] Usus et abusus limités lorsque portant sur l’animal propriété d’un homme. Cela découlerait des dispositions nouvelles qui préciseraient dans quelles conditions un animal doit être détenu par un individu.

[10] Parmi ces découvertes : animaux capables de ressentir la douleur, capacité de communication et d’apprentissage etc.

[11] Il doit être noté qu’à l’heure où sont écrites ces dernières lignes, un amendement vient d’être adopté par l’Assemblée Nationale reconnaissant au sein du Code civil le caractère d’être vivant et sensible de l’animal. Il convient toutefois de souligner que cet amendement modifie également les articles 524 et 528 de ce Code en ôtant le terme « animaux » dans leur premier alinéa ce qui a pour conséquence de supprimer la distinction claire qui était faite entre les animaux et les autres biens. Il convient désormais d’attendre l’actualisation du Code civil afin de constater l’ensemble des changements qui concerneront l’animal.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1808/AN/59.asp 15 et 16 avril 2014, pour une « MODERNISATION ET SIMPLIFICATION DU DROIT DANS LES DOMAINES DE LA JUSTICE ET DES AFFAIRES INTÉRIEURES ».

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