Vers une réforme du droit de la responsabilité civile

Après la réforme du droit des contrats, entrée en vigueur depuis le 1er octobre 2016, une nouvelle réforme se profile : celle du droit de la responsabilité civile.

I- Le lancement de la réforme

Le Ministre de la Justice et garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, a annoncé cette réforme dans un communiqué le 29 avril 2016. Il devrait s’agir du dernier pan de la refonte du Code civil, du moins jusqu’à celle du droit des contrats spéciaux, qui pourrait arriver d’ici quelques années. L’annonce de cette réforme n’est pas une surprise, car des groupes de travail avaient commencé à travailler sur ce sujet depuis plusieurs années. A titre d’exemple, le groupe de travail « Pour une réforme du droit de la responsabilité civile » sous la direction de François Terré, et présidé par Jean-Claude Bizot, a rendu son rapport dès février 2012. De même que pour la réforme du droit des contrats, une consultation publique en ligne a été mise en place jusqu’au 31 juillet 2016. Celle-ci avait pour but de permettre aux particuliers, associations, professionnels (dont les assureurs), et universitaires de pouvoir formuler des propositions afin de compléter ou améliorer le projet. Mais contrairement à cette réforme, il s’agira d’un projet de loi, et non d’une ordonnance. Celui-ci devrait être transmis au gouvernement au premier trimestre de 2017, et sera ensuite transmis au Parlement.

II- Les raisons de la réforme

Dans le communiqué ministériel, il était expliqué que l’objectif était de codifier l’ensemble des dispositions relatives à la responsabilité civile, et de parvenir à une meilleure accessibilité et prévisibilité des textes relatifs à ce domaine. De plus, cela devrait permettre de réduire le volume de contentieux, relativement important, dans cette matière. Il est considéré que les articles consacrés à la responsabilité civile ne sont plus le reflet de la réalité, en raison d’une jurisprudence prolifique. Le législateur a créé au fil du temps des régimes spéciaux de responsabilité (accidents de la circulation, produits défectueux, responsabilité médicale,…) détachés du droit commun de la responsabilité civile. Le fait que l’ensemble du droit de la responsabilité civile ne soit pas codifié entrainait des problèmes d’intelligibilité de la loi, tant pour les non-juristes que pour les juristes étrangers.

III- Quelques changements occasionnés par la réforme

Bien qu’un grand nombre de modifications soient proposées par le projet de réforme, en voici certaines, particulièrement intéressantes.

Tout d’abord, la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation devrait être codifiée. Cela s’explique principalement par le fait que cette loi est importante étant donné qu’entre juillet 2014 et juillet 2015, 5 090 accidents corporels se sont produits. De plus, la codification de cette loi était vivement recommandée par le Sénat.

On note également une suppression de toutes « discriminations entre les catégories de victimes » (selon les mots du professeur Mazeaud). En effet, toutes les victimes d’accidents de la route seront traitées de la même manière, qu’elles soient conductrices ou non. Elles pourront obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices, indépendamment de leur faute, sauf si celle-ci était inexcusable, et qu’elle fut la cause unique de l’accident.

Il est également proposé d’accepter les clauses limitatives de responsabilité (visant à limiter le montant de la réparation du préjudice subi), qui ne l’étaient qu’en droit de la responsabilité contractuelle. Néanmoins dans ce nouveau cas de figure, cette responsabilité fera l’objet d‘une exception. Ainsi toute clause limitative de responsabilité sera nulle dès lors qu’elle sera liée à la réparation d’un préjudice corporel.

Le projet propose également de renforcer la fonction préventive de la responsabilité civile, en permettant au juge de prescrire toute mesure pour prévenir ou faire cesser un trouble illicite, et empêcher un éventuel dommage de se réaliser, en vertu de son pouvoir souverain. De ce fait, le président du tribunal de grande instance ne serait plus le seul à pouvoir agir en urgence, comme l’énonce actuellement l’article 808 du Code de Procédure Civile.

Une intégration partielle des « punitive damages » issue du droit américain est également envisagée ayant pour seule différence la fixation d’un montant maximum prévu par la loi. En effet, la seule limite en droit américain est celle de l’excès, comme l’a jugé la Cour suprême américaine en 2003. La limite en droit français serait, en l’état actuel, de deux millions d’euros, ou le décuple du gain ou de l’économie réalisé par l’auteur du dommage, dans le cas d’une personne physique. Pour une personne morale, il sera de 10% du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé. Un tel montant peut paraître important pour une multinationale, faisant ainsi douter de l’effectivité d’un plafonnement. Aussi une entreprise internationale ayant un chiffre d’affaire de plusieurs dizaines de milliards d’euros se verra imposer des dommages et intérêts punitifs extrêmement élevés, malgré la limite théorique. L’amende devrait être affectée à un fond d’indemnisation, ou au trésor public. De plus pour pouvoir en bénéficier il faudra qu’une faute lourde ait été commise, le juge devra motiver spécialement sa décision d’allouer des dommages et intérêts punitifs.

Cette double limite du montant et d’une faute lourde s’explique par la méfiance traditionnelle des pays européens vis-à-vis de cette notion, et par le fait que l’absence de réelle limitation soit parfois critiquée par les assurances américaines. Ainsi, lors des auditions au Sénat quant à la réforme, l’introduction de ces dommages et intérêts fut critiquée tant par la représentante du MEDEF, que par celui de l’ADC (Aide à la Défense des Consommateurs), la jugeant peu efficace et pouvant provoquer des dérives.

Une autre notion inspirée du Common Law devant faire son apparition est la « mitigation ». Cela signifie que la victime devrait prendre les mesures visant à minimiser son dommage. L’apparition de la mitigation permettrait de renforcer la place de la bonne foi en droit de la responsabilité, et, selon Geneviève Viney, professeure émérite à l’Université Paris I, de responsabiliser les victimes. L’introduction de cette notion a été approuvée pour ces raisons, bien que selon l’ADC, cela pourrait entrainer des contestations systématiques du montant de l’indemnisation demandé, fondées sur une éventuelle possibilité, pour la victime, de réduire son préjudice. En conséquence, cela permet d’éviter que les victimes laissent leur préjudice augmenter afin de maximiser leur indemnisation, alors qu’elles ont la capacité de le limiter. Par exemple, si un particulier a une fuite d’eau, il devra la faire réparer par un plombier dans un délai raisonnable, et non attendre qu’il y ait des dommages importants du fait de la fuite.

Enfin, le projet de réforme prévoit une sous-section relative aux règles particulières résultant d’un dommage environnemental. Néanmoins, cette partie est vide, dans l’attente de proposition provenant de la concertation publique en ligne mentionnée plus tôt, ainsi que du futur débat parlementaire. Cela démontre une volonté politique de créer un cadre légal plus protecteur de l’environnement, mais le projet n’a pas encore abouti sur ce point.

Néanmoins, cette réforme devrait être adoptée sous la prochaine législature. Affaire à suivre…

Cyril AUFRECHTER

Sources

Communiqué de presse de Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 29 avril 2016.

Discours de Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, pour le lancement des travaux de la réforme du droit de la responsabilité civile, le 29 avril 2016.

« Réforme du droit de la responsabilité : à vos marques, prêts ? Critiquez !!! » Par Denis Mazeaud le 9 mai 2016.

Rapport du Sénat relatif à la réforme du droit de la responsabilité civile du 2 août 2016.

Groupe de travail sur le projet intitulé « Pour une réforme du droit de la responsabilité civile » sous la direction de François Terré, et sous la présidence de Jean-Claude Bizot (février 2012).

Rapport d’information n° 558 (2008-2009) de MM. Alain ANZIANI et Laurent BÉTEILLE, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 juillet 2009.

State Farm Mut. Automobile Ins. Co. v. Campbell, Cour suprême des Etats-Unis, 7 avril 2003.

Pour aller plus loin :

L’avant-projet de loi: http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/avpjl-responsabilite-civile.pdf

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