Vers une évolution du règlement d’exemption relatif aux accords verticaux

À quelques mois de l’expiration, fixée au 31 mai 2022, du règlement 330/2010 d’exemption par catégorie pour les accords verticaux, une nouvelle phase a été lancée : La Commission européenne a ouvert une consultation publique du 18 décembre 2020 au 26 mars 2021 en vue du renouvellement dudit règlement ainsi que de ses lignes directrices. 

Le règlement d’exemption est applicable aux accords verticaux, c’est-à-dire aux accords conclus entre des acteurs opérant à des niveaux différents sur la chaîne de production (entre un fournisseur et un distributeur et/ou un acheteur par exemple). L’article 101 du TFUE porte sur l’interdiction des accords entre entreprises qui restreignent la concurrence. Le règlement d’exemption permet aux accords verticaux, en principe proscrits, de ne pas tomber sous le coup de l’article 101 du TFUE.

Par conséquent, un accord pourra être « exempté » de l’interdiction et considéré comme conforme au droit de la concurrence dès lors qu’il remplit certaines conditions précises : il bénéficie d’une zone de sécurité dite « safe harbor ». Le règlement d’exemption et ses lignes directrices sont donc un outil très utile et un gage de sécurité juridique pour les entreprises. Ils permettent en outre à ces acteurs du marché de s’autoévaluer sur la conformité ou non de leurs accords et contrats de distribution avec le droit de la concurrence.

Cependant, il est clair que de nombreuses choses ont changé entre l’adoption, le 20 avril 2010, du règlement d’exemption et nos jours. Les pratiques ont sensiblement muté, à commencer par la montée en puissance du numérique dans tous les domaines. En effet, l’accroissement de nouveaux acteurs du numérique au sein du marché, l’usage toujours plus important du numérique dans la vie des affaires et surtout, l’intensification du commerce en ligne y sont grandement pour quelque chose. 

Le « e-commerce » occupe aujourd’hui une place considérable dans l’économie et a modifié les modèles traditionnels de distribution. Dans une « étude dédiée aux incidences du e-commerce sur la politique de concurrence » publiée le 5 juin 2020 par l’Autorité de la Concurrence, cette dernière l’affirme en communiquant des chiffres : En France, « les achats en ligne représentent aujourd’hui un peu moins de 10 % du commerce de détail, avec une croissance rapide d’environ 14 % par an entre 2014 et 2018 ».

Ainsi, le fait que certaines dispositions du règlement n° 330/2010 soient inadaptées au marché tel qu’il est actuellement rend plus difficile son application mais également l’autoévaluation des entreprises. On comprend alors la volonté de la Commission européenne de combler les lacunes. 

  • Étape 1 

C’est ainsi que le 8 septembre 2020, la Commission européenne a tout d’abord publié ses conclusions concernant la première phase d’évaluation au sein desquelles elle a identifié les principales difficultés du règlement d’exemption. Malgré l’utilité indéniable du règlement d’exemption, l’évaluation identifie d’une part « certains endroits dans lesquels les règles pourraient ne pas fonctionner correctement ou pas aussi bien qu’elles le pourraient car elles n’apparaissent pas assez bien adaptées à l’évolution du marché (…), pas suffisamment claires, ne prennent pas en compte certains problèmes ou ne se réfèrent pas à la jurisprudence récente ». D’autre part, il est relevé qu’il existe encore des différences dans l’interprétation des règles de concurrence par les autorités nationales de concurrence. 

  • Étape 2 

Ensuite, le 23 octobre 2020, la Commission a publié une analyse d’impact détaillant les difficultés relevées et analysant plus en profondeur les carences et les possibles points d’amélioration du règlement d’exemption. Cette analyse d’impact a précisé les domaines qui pourraient être révisés et les solutions envisageables pour chaque domaine : 

– La double distribution : 

Il s’agit de la situation dans laquelle le fournisseur vend ses biens ou services directement au consommateur final et se retrouve en situation de concurrence avec ses propres distributeurs ; cette situation est couverte par le règlement. Cependant, avec la hausse du commerce en ligne les cas de double distribution ont également augmenté, le problème étant notamment que les grossistes et importateurs concernés par la double distribution ne bénéficient actuellement pas de l’exemption. 

– La restriction des ventes actives : 

Cela vise les restrictions du territoire au sein duquel, et des consommateurs auprès desquels, le vendeur peut démarcher et prospecter. Cette pratique ne bénéficie aujourd’hui pas du règlement d’exemption, sauf de rares situations. Néanmoins, les fournisseurs considèrent que cette règle est complexe, peu claire et qu’elle les empêche de concevoir leurs systèmes de distribution en fonction de leurs besoins commerciaux. De plus, pour les fournisseurs comme les distributeurs, les règles actuelles sont un obstacle à la protection effective de leur territoire dans le cadre d’un système de distribution sélective. 

– Les mesures indirectes qui restreignent les ventes en ligne : 

Les ventes en ligne étant généralement regardées comme des ventes passives, toute mesure directe (interdiction pure et simple) ou indirecte (fixation de critères plus contraignants ou de prix plus élevés pour la vente en ligne) qui restreint la vente en ligne est une « hardcore restriction » excluant l’application du règlement d’exemption. Or, les acteurs du marché estiment qu’il ne faut pas traiter les ventes en ligne et les ventes en magasin physique de façon identique et qu’il est nécessaire de différencier leurs approches, notamment concernant les mesures indirectes afin de bénéficier du règlement d’exemption. 

– Les obligations de parité : 

Il s’agit des clauses au sein d’un contrat qui imposent à une entreprise d’offrir à son co-contractant des conditions meilleures ou identiques à celles proposées sur tout autre canal de vente ou sur ses propres canaux de vente. Toutes les formes de clauses de parité sont actuellement couvertes par le règlement d’exemption, mais au regard de leur développement accru notamment par les plateformes en ligne, les autorités de la concurrence et tribunaux nationaux ont pu y identifier des effets anticoncurrentiels. 

  • Étape 3 (actuelle) 

La consultation publique sur la révision du règlement d’exemption des accords verticaux est ouverte depuis le 18 décembre 2020. À travers cette consultation publique, la Commission européenne invite les entreprises opérant au sein de l’Union Européenne, les organisations de consommateurs, les juristes et avocats spécialisés en droit de la concurrence et autres personnes intéressées à répondre à un questionnaire. 

Les personnes intéressées peuvent donc soumettre leurs points de vue et donner leur avis sur certains aspects de la législation jusqu’au 26 mars 2021. Elle sont invitées à s’exprimer tant sur les problématiques que sur les solutions possibles.

En somme, bien que le règlement d’exemption sur les restrictions verticales soit un outil précieux pour les entreprises, qu’il facilite grandement l’autoévaluation et qu’il permette à ces dernières de réduire leurs coûts de mise en conformité, il apparaît indispensable de procéder au renouvellement des règles actuelles et des lignes directrices. Il est nécessaire que ces règles soient adaptées à la réalité du marché tel qu’il a évolué, en tenant particulièrement compte de la montée du numérique afin de renforcer la sécurité juridique. 

Késiah Etame Yescot, LLM candidate in Competition Law & Economics à la Brussels School of Competition

 

Pour aller plus loin : 

• Commission européenne, Règlement 330/2010, 20 avril 2010

• Commission européenne, Lignes directrices sur les restrictions verticales, 10 mai 2010

• Commission européenne, « document de travail des services de la Commission : résumé de l’évaluation du règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords verticaux », 8 septembre 2020 

• Commission européenne, Inception impact assessment, 23 octobre 2020

• Commission européenne, communiqué de presse « Antitrust : Commission launch public consultation on revision of Vertical Block Exemption Regulation and Guidelines  », 18 décembre 2020

• Commission européenne, site officiel « règles de concurrence de l’UE – révision du règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords verticaux » – Feuille de route 

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