Victimes de harcèlement : méfiez-vous du délai de prescription

Le 3 novembre 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé qu’un procès-verbal de synthèse, transmis au procureur de la République à l’issue d’une enquête, ne saurait constituer une cause d’interruption du délai de prescription de l’action publique. De nombreux scandales[1] ont éclaté ces dernières années, impliquant des maires qui auraient harcelé moralement ou sexuellement leurs collaboratrices. Si, en théorie, ces actes sont répréhensibles, encore faut-il que l’action publique ne soit pas prescrite.

L’ABSENCE D’EFFET INTERRUPTIF DE LA REMISE DU PROCÈS-VERBAL DE SYNTHÈSE

Le 20 juillet 2010, une secrétaire de mairie, dont la plainte avait été classée sans suite, fait citer le maire devant le Tribunal correctionnel pour des faits de harcèlement moral commis depuis le 21 décembre 2005. Le maire tendait à opposer l’exception de la prescription de l’action publique, les faits étant antérieurs au 20 juillet 2007. En effet, le délai de prescription en matière délictuelle est en principe de trois ans.

Si la juridiction de première instance avait écarté l’exception pour relaxer le prévenu, la Cour d’appel de Paris l’a écarté pour mieux condamner l’édile. Celui-ci a été reconnu coupable du délit de harcèlement moral et condamné à réparer le préjudice moral en résultant ainsi qu’à rembourser à l’assurance les indemnités journalières versées à la plaignante pour cause d’arrêt maladie.

Dans un premier temps, les juges du fond rappellent que le point de départ du délai de prescription correspond aux derniers agissements de l’agent poursuivi. Il convient de préciser que la suspension du contrat de travail par un arrêt maladie n’exclut pas un éventuel harcèlement moral. En effet, la secrétaire pouvait craindre pour l’avenir de son poste et les conditions de travail y afférent.

Dans un second temps, la Cour d’appel énonce que si le délai de prescription de l’action publique est de trois ans en matière de délit, tout acte d’instruction ou de poursuite interrompt ce délai. Les juges du fond relèvent alors que la réception du procès-verbal de synthèse consécutif à l’enquête, le 19 juin 2008, interrompait le délai de prescription. Ladite interruption permettait alors une remise à zéro du délai de prescription et, par voie de conséquence, rendait la citation recevable.

Le maire s’est pourvu en alléguant que les diligences du procureur et la remise du procès-verbal de synthèse ne peuvent constituer un acte interruptif du délai de prescription.

C’est au visa des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale que la chambre criminelle casse l’arrêt d’appel et affirme que « la prescription de l’action publique n’est pas interrompue par la transmission d’un rapport de synthèse d’enquête au procureur de la République ». Dès lors, le maire ne peut être poursuivi pour les faits de harcèlement rapportés.

UN RISQUE D’IMPUNITÉ À NUANCER

Force est de constater que, d’ordinaire, la Cour de cassation use d’une appréciation large des causes d’interruption. Ainsi, a pu être considérée comme telle la réquisition aux fins d’inscription d’un profil ADN au FNAEG faite par un enquêteur[2], le soit-transmis délivré par un membre du ministère public à un autre[3], ou encore un acte émanant d’un juge d’instruction[4].

Néanmoins, il est certains cas, plus rares, où les Hauts magistrats dénient cette qualification au compte-rendu transmis par un commissaire à un juge d’instruction[5].

En effet, si l’acte a bien été diligenté par le ministère public, il ne peut constituer ni un acte de poursuite, ni un acte d’instruction dans l’espèce commentée. L’acte d’instruction aurait nécessité l’ouverture d’une information judiciaire, facultative en matière délictuelle. Quant à l’acte de poursuite, il est effectué dans le but de traduire devant une juridiction pénale l’auteur d’une infraction. Ce qui n’a pu être engagé, faute de preuves suffisantes.

Ainsi, la décision est fondée en droit mais peut paraître étonnante au regard des finalités visées par la prescription. Tout d’abord, d’un point de vue pratique, la prescription tend à éviter l’altération des preuves et les incertitudes des témoignages. Bien qu’il y ait eu une enquête quelques années auparavant, cet élément ne porte pas à discussion. Ensuite, la prescription tend à maintenir la tranquillité publique. Or, dans ce type d’affaire, c’est davantage l’impunité de l’agent qui pourrait causer des troubles à l’ordre public, et ce d’autant plus dans un contexte de méfiance à l’égard des élus politiques.

De même, cette décision semblerait aller à l’encontre de la répression nouvellement redéfinie des délits de harcèlement si la question ne portait pas uniquement sur la prescription.

Enfin, la prescription du délai pourra être vue comme une sanction de la négligence. La conséquence nous paraît regrettable pour la plaignante qui a pourtant agit en temps dans les délais.

D’aucuns pourront être heurtés par le message qui en résulte pour la société. Ainsi, peu importe l’infraction, celui qui porte plainte dans les délais fait confiance au système judiciaire. Pourtant, plus l’enquête diligentée par le ministère public sera longue et infructueuse, moins le justiciable pourra engager des poursuites à l’issue d’un classement sans suite, le délai pour agir étant éteint.

Léo OLIVIER

[1] V. en ce sens : Cass. crim. 8 avril 2014, n°12-83214 ;

CA Douai, 6e chambre correctionnelle, 13 janvier 2015, n° 13/01282 ; MSP-2015-215, 6 octobre 2015 ;

[2]Cass. crim., 12 déc. 2012, n° 12-85.274

[3]Cass. crim., 5 mars 2013, n° 12-84.527

[4]Cass. crim., 19 nov. 2014, n° 13-87.375

[5][5]Cass. crim., 12 nov. 2014, n° 13-84.764

 

 Pour en savoir + 

Arrêt disponible sur Légifrance : Cass. crim., 3 nov. 2015, n° 14- 80.844

 

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