Zoom sur les essais thérapeutiques

Quelques mois après l’essai thérapeutique de Rennes entraînant la mort cérébrale d’une personne et l’hospitalisation de cinq autres, les essais médiaux font l’objet de vifs débats. Le docteur Yves Donazzolo, Président d’Eurofins Optimed et membre de l’Association des prestataires de services en recherche clinique et épidémiologique énonce que « c’est la première fois qu’un tel accident survient ». Après la poussée de polémiques sur les raisons de ce tournant désastreux, la réflexion se porte sur l’après, à savoir la légitimité et l’utilité de tels essais médicaux ainsi que leur devenir.

L’utilité des essais médicaux

Le « médical» est un enjeu majeur. Avec 1795 essais cliniques réalisés en 2015, la France reste un pays important en terme de recherches et de développements des médicaments. (1)

Les essais cliniques sont la phase « maîtresse » du développement d’un médicament. Après les phases de recherche en laboratoire et sur les animaux qui permettent d’évaluer l’activité d’un produit et sa toxicité, des études cliniques réalisées chez l’homme sont organisées pour évaluer et préciser la sécurité́ d’emploi (phase 1), le devenir du produit dans l’organisme et confirmer l’efficacité thérapeutique de la molécule sur une maladie donnée (phases 2 et 3). Les trois phases d’essais sont des étapes incontournables car leurs résultats conditionnent la mise sur le marché du nouveau médicament. Les essais construisent donc le « disque dur » du nouveau médicament : parce qu’ils sont réalisés sur l’homme, ils contribuent à créer un médicament, efficace et sûr, à partir des données accumulées dans cette étape d’apprentissage (2).

La construction progressive d’une nécessaire légitimité

Sans essais cliniques, pas de nouveaux médicaments. Près de 20 000 essais sont en cours dans le monde, selon la base de données publique américaine ClinicalTrials.gov. Stratégiques pour les industries pharmaceutiques, ils sont cependant l’une des facettes les moins connues de leur activité mais aussi l’une des plus risquées (3).

En 1988 il était indispensable de doter la France d’une loi qui, à la fois, organiserait la recherche biomédicale et garantirait la protection des patients. Cette nécessité première permettant d’organiser la protection des patients a pour origine un projet de loi rédigé par Jacques Dangoumeau qui a vu le jour en 1985, suivi deux ans plus tard d’un rapport du Conseil d’état « De l’éthique au droit ». S’inspirant des grands textes éthiques internationaux et du guide des Bonnes Pratiques Cliniques, le Sénateur Huriet présentait devant la Commission des affaires sociales du Sénat un projet de loi « relatif aux essais chez l’homme d’une substance à visée thérapeutique ou diagnostique destinée à faire l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché » qui par la suite fût adoptée (4).

Cette loi entraine de profonds bouleversements dans l’organisation de la recherche en France mais pourtant, elle a été immédiatement bien accueillie, tant par l’industrie pharmaceutique qui l’avait souhaité que par l’immense majorité des médecins-investigateurs.

Aussi, chaque année a lieu l’organisation d’une journée internationale des essais cliniques qui aborde différents aspects pouvant susciter controverse dans ces pratiques. Le principal sujet de discussion lors du dernier évènement en date de Mai 2015 était la transparence dans les essais cliniques (5). En effet, l’objectif principal consister à donner aux médecins un accès à tous les résultats des essais cliniques, actuels et passés, révélant aussi bien des résultats positifs que négatifs, leur permettant ainsi de prendre des décisions mieux informées et donc d’améliorer le traitement des patients. Au niveau européen, une nouvelle réglementation sur les essais cliniques accorde une plus grande importance à la transparence. Le constat est alors le suivant : il y a une réelle volonté de donner plus de force aux essais médicaux car elle s’avère être une pratique pas encore aboutit mais relativement nécessaire.

Mais alors, quels peuvent-être les différents facteurs dans le ralentissement des essais médicaux ?

Il ne va sans dire qu’une telle réalisation est semée d’impasses. Les recherches biomédicales doivent répondre à de nombreux critères organisationnels et éthiques encadrés par la loi pour garantir la sécurité des participants. La finalité est celle de la recherche clinique en France lourdement pénalisée par les contraintes bureaucratiques et l’existence de « guichets » multiples à la différence d’autres pays européens.

Le docteur Yves Donazzolo explique que « tous les effets indésirables graves et inattendus sont déclarés à l’ANSM et l’essai est arrêté en cas de problème. » Ces essais doivent se dérouler dans des lieux autorisés après inspection par les autorités régionales de santé permettant alors de ne pas commettre d’erreur d’une importante gravité.

Pourtant, ce formalisme contraignant bien qu’objet de critiques, ne s’avère que plus protecteur. À titre d’exemple, dans un article publié en octobre 2015 dans la revue internationale Acta Paediatrica, un médecin italien dénonce les douleurs inutiles infligées à des nouveau-nés inclus dans certains essais cliniques. En France, de tels essais cliniques seraient retoqués par les comités de protection des personnes (CPP), qui supervisent les aspects éthiques.

Malgré de nombreuses étapes dans la mise en œuvre d’un essai, les « erreurs » ne sont pas écartées, les accidents sont rares mais ils restent présents. Chaque année, des milliers de volontaires participent à de tels essais cliniques. Sur les quinze dernières années moins de dix cas en France, avec des conséquences infiniment graves, ont été constatés. À l’étranger, parmi les précédents recensés, six hommes avaient ainsi été hospitalisés en 2006 en soins intensifs dans un hôpital de Londres après l’essai clinique d’un nouveau traitement contre la leucémie, la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques.

Cinq ans plus tôt, une jeune femme en parfaite santé de 24 ans, Ellen Roche, était morte aux Etats-Unis alors qu’elle participait à un essai clinique d’un médicament expérimental contre l’asthme, l’hexamethonium, conduit par l’Université Johns Hopkins. Il s’agissait du premier décès d’un cobaye humain depuis 1986 dans cette prestigieuse université.

Gilles Petitot, spécialiste du secteur note qu’« il ne faudrait pas que ces accidents soient préjudiciables au recrutement de volontaires, indispensables pour l’avancée de la médecine » pouvant alors constituer un véritable problème.

L’amorce inévitable d’un blocage des essais cliniques

Si les bienfaits des essais cliniques semblent alors incontestables pour le progrès médical, « le business encadré mais risqué » peut provoquer un coup de revers. Certes les réglementations européennes et françaises imposent des contrôles drastiques à toutes les étapes ; « mais une erreur humaine est toujours possible. Un produit toxique peut être introduit de manière inhabituelle dans la chaîne de fabrication, par pollution avec une autre molécule, générant une interaction dramatique. Un préparateur peut aussi se tromper de dosage » (6).

De même, fait sans précédent en France depuis 2015, six comités de protection des instances bénévoles indispensables au bon fonctionnement de la recherche sur les médicaments, ont décidé de ne plus accepter de nouveaux dossiers d’essais. Pour comprendre ce ras-le-bol, il faut remonter au travail même de ces CPP qui devient de plus en plus lourd et mal reconnu, annonçant un changement de leur statut en tant que salariés alors qu’ils font avancer la recherche clinique en France, dans le respect du rapport bénéfice/risque pour le patient.

Si les essais cliniques constituent une pratique jusqu’à ce jour en permanente construction mêlant une divergence d’opinions, le Professeur François Chapuis souligne qu’ «il faut protéger ce système qui marche dans une société où le souci du bien commun disparaît».

Mélissa Vidal

(1) Le monde « Qu’est-ce qu’un essai clinique » le 15/01/2016

(2) Site internet Leem.org : « Essais cliniques ; pourquoi ils sont indispensables »

(3) Le monde « Essais cliniques : un business en plein boom » le 22/01/2016

(4) Eric Lemaire, conseiller Axa

(5) BMI-system : La transparence des essais cliniques

(6) Le figaro « un blocage des essais cliniques s’amorcent en France » le 12/02/2015

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