Fin de la saga judiciaire Pierre Fabre : confirmation de l'illicéité de l'interdiction de la vente en ligne


Lorsque des critères de sélection peuvent être adaptés aux sites internet, la vente en ligne dans un système de distribution sélective ne peut être interdite de manière absolue aux distributeurs agréés. La Cour d’appel de Paris vient d’en apporter la confirmation dans l’affaire Pierre Fabre Dermo-Cosmétique en date du 31 janvier 2013 [1].


L’Autorité de la concurrence (anciennement Conseil de la concurrence), constatant l’illicéité de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, s’est saisie d’office le 27 juin 2006.

Une instruction portait sur des pratiques, mises en œuvre par les onze sociétés les plus importantes du secteur, qui conditionnaient la revente de produits cosmétiques à la présence physique d’un diplômé en pharmacie dans le cadre d’un espace de vente physique, et donc de refuser ou restreindre la vente en ligne de ces produits.

Dix fabricants sur les onze en cause se sont alors engagés à modifier leurs contrats de distribution sélective afin de prévoir la possibilité pour les membres de leur réseau de vendre leurs produits en ligne.

Toutefois, la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (ci-après Pierre Fabre) n’a pas répondu favorablement à ces injonctions de cesser cette pratique qui avait pour effet d’interdire de facto la revente des produits en ligne.

Par conséquent, Pierre Fabre pouvait-il interdire aux distributeurs agréés de son réseau de distribution sélective de commercer en ligne ?

Ventes en ligne

Pour mémoire, rappelons que l’Autorité de la concurrence avait considéré, dans une décision du 29 octobre 2008 (n°08-D-25), que cette pratique était contraire aux règles européennes et avait enjoint Pierre Fabre d’autoriser contractuellement la vente sur Internet par les distributeurs agréés. Refusant de s’astreindre à l’injonction, Pierre Fabre avait alors saisi la Cour d’appel de Paris.

Par arrêt du 29 octobre 2009, la Cour d’appel de Paris a posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne une question préjudicielle aux fins de savoir dans quelle mesure cette interdiction générale et absolue faite aux distributeurs agréés d’un réseau de vendre sur Internet constituait une restriction caractérisée au sens de l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne [2], et a sursis à statuer sur le recours de la société Pierre Fabre.

En réponse à la question posée, la CJUE a considéré le 13 octobre 2011 que la clause litigieuse des contrats de distribution de Pierre Fabre n’était pas objectivement justifiée et constituait dès lors une pratique restrictive de concurrence (affaire C-439/09).

En marge de cette affaire, un distributeur agréé de Pierre Fabre avait violé la clause lui interdisant de vendre les produits sur Internet, et Pierre Fabre lui avait retiré son agrément. Contestant ce retrait, le distributeur agréé avait alors assigné Pierre Fabre. L’affaire est allée jusqu’en cassation, où la Haute Juridiction a cassé l’arrêt d’appel et a estimé, dans un arrêt du 20 mars 2012, qu’il fallait rechercher si les clauses litigieuses avaient pour objet de restreindre les ventes passives ou actives aux utilisateurs finals par les membres du système de distribution sélective.

La Cour d’appel de Paris a considéré dans un arrêt du 31 janvier 2013 que Pierre Fabre n’était pas en droit d’interdire purement et simplement ce mode de commercialisation à ses distributeurs. Cet arrêt, qui s’inscrit dans la droite ligne des précédents, énonce que la pratique d’interdiction de vente sur internet au sein d’un réseau de distribution sélective constitue une restriction caractérisée [3].

De son côté, Pierre Fabre défend le principe d’un conseil personnalisé délivré par un diplômé en pharmacie, répondant aux attentes d’efficacité et de sécurité des consommateurs, donc d’un accès sécurisé aux produits dermo-cosmétiques.

Selon la Cour d’appel, le principe est bien que la vente en ligne ne peut être interdite de façon absolue dans le cadre d’un système de distribution sélective, mais que toute justification objective au regard des propriétés des produits en cause pourrait justifier une exception.

En outre, le fournisseur (Pierre Fabre) peut tout à fait encadrer cette revente en ligne dans ses modalités pratiques (par exemple : charte graphique, hotline, présentation des produits, etc.) dès lors que « les critères de sélection du système de distribution sélectif définis par Pierre Fabre peuvent être adaptés aux sites internet ».

Enfin, la Cour d’appel rejette la demande d’exemption individuelle formulée par Pierre Fabre.

Sur le site internet de ce fournisseur, un communiqué de presse a été fait : « Pierre Fabre prend acte de cette décision et autorisera désormais la revente en ligne de ses produits par ses distributeurs agréés (…) ».

En conclusion, l’interdiction de vendre des produits sur Internet constitue une « restriction de concurrence » à moins d’être « objectivement justifiée ».

Morgan Hardy

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Pour en savoir plus :

[1] CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 31 janv. 2013, Sté Pierre Fabre Dermo-Cosmétique c/ Autorité de la concurrence.

[2] L’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne prohibe toute entente entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet de restreindre le libre jeu de la concurrence.

[3] G. Decocq, « Pierre Fabre devra vendre ses produits en ligne », Contrats Concurrence Consommation n° 3, Mars 2013, comm. 64.

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