Affaire Yukos : la sentence arbitrale record de $50 milliards

D’une grande complexité, le cas Yukos, qui a mené à une sentence arbitrale record nécessite une compréhension des aspects juridiques, politiques et économiques.

 

Contexte factuel

En 2007, Yukos, géant énergétique russe dirigé par Mikhail Khodorkovsky, rival politique du Président russe, est liquidée.

Yukos est poursuivie pour blanchiment d’argent, fraude fiscale et abus de droit. Ceci mène à la neutralisation de ses actifs, l’annulation d’une fusion avec Sibneft ainsi que la vente forcée de la principale filiale Yuganskneftegaz (YNG) à Rosneft, une société détenue par les autorités russes. La justification de ces actions étant une créance fiscale de $24 milliards.

Les plaignants (70.5% des actionnaires) accusent la Fédération de Russie d’expropriation indirecte devant le Tribunal Arbitral Permanent de La Haye en se basant sur le Traité sur la Charte de l’Energie (Traite)[1].

 

La sentence arbitrale du 18 juillet 2014

Une exception est soulevée in limine litis, la question de la compétence du tribunal arbitral.

Signé mais non-ratifié, le tribunal arbitral estime que le Traité était applicable et affirme sa compétence. Le fait que la Russie ait notifié le dépositaire du Traité de la non-ratification n’a aucune influence sur les dispositions relatives à la résolution des différends.

Par la suite se pose la question de savoir si les infractions des plaignants font ou non obstacles à la protection du Traité.

La Russie refuse la protection du Traité aux actionnaires de Yukos étant donné le caractère jugé criminel de leurs investissements. Elle les qualifie de unclean hands[2]. Le tribunal analyse la façon dont les investissements sont effectués. Il conclu que la protection du Traité doit être garantie aux investisseurs. Plus tard, le tribunal arbitral prend néanmoins en compte la façon dont ces activités sont menées pour réduire le dédommagement accordé de 25%.

Pour finir, le tribunal s’est interrogé sur sa compétence concernant les questions fiscales

L’article 21 dispose que le Traité ne s’étend pas aux « taxation measures ». L’interprétation russe est que le champ d’application est limité aux taxes d’expropriation. Or, les plaignants n’invoquent que l’application de dispositions fiscales de manière générale. A cela, le tribunal arbitral oppose une interprétation extensive ainsi que le fait que la taxation n’est qu’un prétexte pour provoquer la banqueroute de Yukos.

 

La sentence et la suite

Le tribunal accorde une sentence arbitrale record de $50 milliards (sans compter les frais procéduraux). L’estimation a été réduite de 25% vue la contribution fautive des actionnaires[3]. Cette évaluation contestée porte sur la valorisation des actions et des dividendes non-perçus.

Le paiement était dû au 15 janvier 2015 mais n’a pas été effectué ; les intérêts ont donc commencé à courir.

Par ailleurs, la chute de la devise russe face au dollar[4] rend l’addition beaucoup plus lourde à assumer pour les autorités russes, qui la contestent.

La question de l’exécution de la sentence sera aussi passionnante que l’affaire elle-même.

 

Saïd Bakir

 

1 Articles 10 (1) et 13 (1) : traitement juste et équitable et expropriation indirecte des investisseurs

[2] « Mains sales » : leurs actions illégales priveraient les investisseurs de la protection de la charte

[3] Utilisation abusive du droit fiscal ainsi que de la convention entre la Russie et Chypre

[4] 1 USD : 61 RUB aujourd’hui – 1 USD : 34 RUB en juin 2014

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