Créanciers, veillez à préserver les intérêts de la caution

La première chambre civile de la Cour de cassation a récemment affirmé que pour être déchargée, la caution peut invoquer le défaut de déclaration de créance par le créancier à la procédure collective du débiteur principal, ceci entraînant la perte d’un droit préférentiel au sens de l’article 2314 du Code civil.

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L’article 2314 du Code civil, l’une des nombreuses règles protectrices de la caution, prévoit que la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier (prévue à l’article 2306 du Code civil), ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la caution.

Un arrêt du 3 juillet 2013 [1] illustre la mise en œuvre de cette disposition. En l’espèce, une banque était créancière d’un débiteur au titre d’un contrat de prêt garanti par un cautionnement solidaire. Le créancier, qui n’avait pas déclaré sa créance à la procédure collective de son débiteur tombé en liquidation, a assigné la caution en paiement. Après avoir repris les conditions de l’article 2314 du Code civil, la Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel qui avait rejeté cette demande en considérant que le droit de participer aux répartitions et dividendes constitue un droit préférentiel et que la perte de ce droit entraine la décharge de la caution en raison de la perte du bénéfice de subrogation.

Cette décharge est donc soumise à conditions.

La première condition est l’existence d’un droit préférentiel. Il se définit comme un avantage particulier du créancier pour le recouvrement de sa créance [3], ce qui exclut le simple droit de gage général. La Cour considère que les juges du fond, qui ont relevé que si « le défaut de déclaration n’éteint pas la créance, le créancier ne peut plus participer aux répartitions et dividendes prévus dans le cadre de la procédure collective », ont fait ressortir que le droit de participer aux répartitions et dividendes constitue un droit préférentiel. Cette solution n’est pas nouvelle mais elle est désormais affirmée par la première chambre civile. Celle-ci vient ainsi s’aligner sur la position de la chambre commerciale qui avait déjà admis [2] que le défaut de déclaration de créance à la procédure collective du débiteur, causant la perte d’un dividende dans la procédure en cause, doit être assimilée à la perte d’un droit au sens de l’article 2314 du Code civil.

Deuxième condition : la perte de ce droit du fait exclusif du créancier. Les termes de l’article 2314 ne parlent pas de « faute » mais de « fait » exclusif du créancier, notion brillant par son caractère vague et excessivement large. Toutefois il est à noter que la jurisprudence privilégie la caractérisation d’une faute. Le présent arrêt s’attache d’ailleurs à évoquer une « omission fautive » du créancier. La perte du droit préférentiel doit être imputable au créancier mais il peut très bien s’agir d’une faute d’abstention, comme en l’espèce, ou d’une faute non-intentionnelle. Il est également intéressant de noter que c’est le caractère professionnel du créancier qui permet ici de relever une faute, car en cette qualité, le créancier avait accès au BODACC où sont publiées les décisions de redressement ou de liquidation judiciaires. Dès lors, celui-ci ne peut invoquer le fait de ne pas avoir été prévenu de la procédure collective par le débiteur ou la caution, il était censé connaitre l’état de cette procédure.

Dernière condition (jurisprudentielle): la perte doit avoir causé un préjudice réel à la caution. La Cour affirme qu’il revient au créancier, pour ne pas encourir la déchéance de ses droits contre la caution, d’établir que la subrogation n’aurait de toute manière pas été efficace, et ne lui aurait apporté aucun avantage. Nous sommes face à un renversement de la charge de la preuve. En l’espèce, le créancier n’ayant pas apporté cette preuve, la caution a pu être déchargée.

L’intérêt de l’arrêt du 3 juillet 2013 est qu’il donne l’occasion de réfléchir sur la volonté affirmée du législateur et des juridictions de maintenir, ou plutôt de rétablir, l’équilibre du contrat de cautionnement (d’autant plus dans l’hypothèse où le créancier est un professionnel) et de mettre en valeur la nécessité pour les parties d’agir de bonne foi, de préserver les intérêts de l’autre et de coopérer pour atteindre la meilleure exécution possible de leur contrat, en un mot : le solidarisme contractuel.

Pauline RICHARD

Pour en savoir plus :

(1) Cass. 1ère Civ. 3 juillet 2013, n° 12-21.126 (Publié au bulletin)

(2) Cass. Com. 12 juillet 2011, n° 09-71.113 et Cass. Com. 19 février 2013, n° 11-28.423

Sur le bénéfice de subrogation : D. HOUTCHIEFF, « Contribution à une théorie du bénéfice de subrogation »

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